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Muriel Pénicaud : "On ne se limitera pas à une réformette de l'apprentissage"

Dans une interview au JDD, la ministre du Travail indique avoir été confrontée au harcèlement sexuel lorsqu’elle a débuté sa carrière. Elle présente aussi les axes de la future réforme de la formation professionnelle et de l’apprentissage.

Rémy Dessarts, David Revault d’Allonnes et Emmanuelle Souffi , Mis à jour le
Muriel Pénicaud dit être informée de trois cas de harcèlement sexuel au ministère du Travail.
Muriel Pénicaud dit être informée de trois cas de harcèlement sexuel au ministère du Travail. © Photo Bernard Bisson

Comme "80% des femmes de [son] entourage", dit-elle, Muriel Pénicaud a déjà été confrontée au harcèlement sexuel. Dans un entretien accordé au JDD, la ministre du Travail indique que les faits se sont produits "lors de [son] premier emploi dans le public", quand elle était jeune. Elle annonce par ailleurs avoir été informée de trois cas de harcèlement sexuel au sein de son ministère , des cas "que l’on est en train d’examiner". Côté réformes, avant la concertation menée avec les partenaires sociaux sur la formation professionnelle et l’apprentissage, la ministre met en avant une "flexisécurité" à la française qui comprend davantage de souplesse et de contrôles.

Libérer, protéger : après les ordonnances sur le Code du travail (dont le projet de ratification sera présenté à l'Assemblée nationale le 20 novembre), le deuxième axe du mantra présidentiel s'annonce avec la réforme de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Pour la ministre du Travail, le temps est venu de changer en profondeur un système coûteux et inefficace.

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Relancer l'apprentissage est une vieille lune. Comment comptez-vous faire mieux que vos prédécesseurs?
La seconde phase de notre action sera aussi structurante que la première, sur le Code du travail. Il ne s'agit pas de se limiter à une réformette, d'ajuster un peu le Meccano : ce serait se tromper de combat. Notre pays a besoin d'une transformation de la formation professionnelle et d'une révolution copernicienne sur l'apprentissage. Développer les compétences, c'est vital, stratégique, pour l'individu et la collectivité. La compétence est la meilleure protection contre le chômage. D'après certaines études, 50 % des emplois vont être profondément modifiés d'ici dix ans! Certains disparaîtront, d'autres se créeront. Or, nos systèmes sont beaucoup trop rigides et trop lents.

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L'apprentissage doit être un moyen d'émancipation sociale

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Faut-il assouplir les dispositifs de formation?
Les systèmes où l'on force les jeunes et les salariés à aller dans telle ou telle voie et à rester dans une case ne peuvent plus fonctionner. Nous devons retrouver l'inspiration de la loi Delors de 1971, qui faisait de la ­liberté de choix un socle. Aujourd'hui, ceux qui choisissent leur formation sont minoritaires, même dans les entreprises. L'apprentissage est trop perçu comme une orientation par l'échec. Il doit être un moyen d'émancipation sociale.

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Les modèles allemand, danois et suisse vous inspirent-ils?
Nous ne cherchons pas à faire des copier-coller mais à nous inspirer des meilleures pratiques. Seuls 7 % des jeunes Français sont apprentis, contre 15 % en Allemagne, alors que c'est une voie de réussite avec plus de 70 % d'emplois stables à l'issue. Nous devons bâtir notre propre modèle à partir de notre histoire sociale. La France a été un précurseur en matière de formation continue : à nous de reprendre cette avance en inventant une "flexisécurité" à la française. Au Danemark, où je suis allée récemment, les partenaires sociaux définissent eux-mêmes le contenu des diplômes professionnels. En Suisse, on peut être apprenti boulanger et faire médecine ensuite – pas chez nous, faute de passerelles. Avec Jean-Michel Blanquer [ministre de l'Éducation nationale] et Frédérique Vidal [ministre de l'Enseignement supérieur], nous souhaitons en développer. L'apprentissage doit devenir une pédagogie alternative.

Lever les freins à l'essor de l'apprentissage

Quels sont les principaux freins à l'essor de l'apprentissage?
Les jeunes craignent d'être coincés dans une filière à 16 ans. Ils sous-estiment que c'est une voie d'excellence, qui permet d'aller d'un CAP à un diplôme d'ingénieur. La difficulté à trouver une entreprise d'accueil ou des places dans les centres de formation d'apprentis sont d'autres points de blocage. Le calendrier scolaire joue contre eux : s'ils trouvent une entreprise en janvier, elle doit attendre septembre pour les embaucher. Nous voulons qu'on puisse entrer en apprentissage toute l'année. Avec Jean-Michel Blanquer, nous voulons intégrer les cursus d'apprentissage sur Affelnet [dispositif d'inscription informatisé au lycée]. Les entreprises, elles, trouvent que les diplômes ne sont pas toujours adaptés à l'évolution de leurs métiers. Face à ces verrous, il n'y a pas de sujet tabou. Tout sera mis sur la table avec les partenaires sociaux, les Régions, les chambres consulaires, les praticiens de terrain…

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Allez-vous revenir sur le compte personnel de formation (CPF), qui ne fonctionne pas?
Le principe est sain, mais la mise en œuvre n'a pas été à la hauteur. Pour beaucoup, c'est resté un droit formel, compliqué d'accès. Il faut rendre le CPF accessible à tous, par exemple via une « appli » simple qui afficherait pour chaque actif le nombre d'heures sur son compte, les offres d'emploi dans sa Région, les formations qui y préparent et leur taux d'insertion. On pourrait même s'y inscrire directement, sans intermédiaire administratif. Et pour ceux qui en ont besoin, nous mettrons en place un ­accompagnement renforcé et personnalisé.

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Les organismes de formation les moins sérieux seront éliminés

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Comment mieux contrôler les organismes de formation?
Sur 75.000 organismes, 8.000 captent l'essentiel du marché. N'importe qui peut en créer un – il suffit d'avoir un casier judiciaire vierge et de remplir une déclaration d'activité ! Nous voulons conditionner les financements publics à une certification, avec obligation de publier les taux d'emploi à l'issue de la formation. Le marché s'autorégulera mieux et les organismes les moins sérieux seront éliminés d'eux-mêmes. Surtout, tout le monde pourra sélectionner son organisme en connaissance de cause.

A la fin du mois, une concertation sur l'assurance chômage

Comptez-vous fusionner les contrats d'apprentissage et de professionnalisation?
Une fusion simplifierait la lecture du système, mais le contrat d'apprentissage est assez rigide alors que le contrat de professionnalisation est une cavalerie légère. Il ne faudrait pas que l'un contamine l'autre, donc ce sujet n'est pas le plus urgent. En ­revanche, on peut regarder avec les ­partenaires sociaux et les Régions comment injecter dans le contrat d'apprentissage les souplesses du contrat de professionnalisation, et travailler sur les différences de rémunération qui ne se justifient pas forcément.

La "flexisécurité" n'implique-t-elle pas une assurance chômage plus ouverte?
Sur ce point, les concertations démarreront à la fin du mois. On ne souhaite pas transformer la durée ni le montant de l'indemnisation, mais offrir plus de liberté de choix, ce qui suppose d'ouvrir le filet de sécurité qu'est l'assurance chômage à des personnes qui n'y ont pas accès, comme les démissionnaires et les indépendants. Les protections sociales organisées par statut, qui fonctionnaient bien dans les années 1970, ne sont plus adaptées à des parcours professionnels diversifiés.

Les contrôles doivent-ils être renforcés?
La grande majorité des demandeurs d'emploi n'ont qu'une envie : retrouver un travail. Les fraudeurs ou ceux qui abusent sont minoritaires ; pour eux, il faut des sanctions, donc des contrôles. En France, le travail construit une identité et un lien social. Ne plus en avoir reste un drame. Contrôler, c'est aussi mieux accompagner. Au Danemark, les rendez-vous avec le conseiller sont hebdomadaires, les formations sont proposées dès l'inscription. Chez nous, il faut attendre sept mois pour en avoir une!

Pour Muriel Pénicaud, "rien de nouveau" dans l'affaire Business France

Emmanuel Macron "président des riches", vous démentez?
C'est n'importe quoi! Nous donnons la priorité à l'école dans les quartiers défavorisés, en passant à un enseignant pour douze élèves en CP. Le pouvoir d'achat des travailleurs va augmenter fortement pour que le travail paie, les minima sociaux aussi. L'opposition est dans la caricature : elle fustige la baisse des emplois aidés, que nous allons rendre plus efficaces, mais elle n'évoque pas les 15 milliards d'euros d'investissement sur la formation et les compétences qui sont sans précédent.

Jean-Luc Mélenchon estime que vous avez pour le moment gagné la partie…
Ce n'est pas un jeu. La France insoumise tente, avec un succès mitigé, de se présenter comme le représentant des salariés. Moi, je regarde la Constitution et je suis légitimiste : ce sont les syndicats qui défendent les travailleurs. Donc c'est avec eux que je négocie.

Dans l'affaire Business France , l'instruction suit son cours… Qu'en attendez-vous?
Je le répète une fois encore : il n'y a rien de nouveau pour moi. Je fais confiance à la justice.

Trois cas de harcèlement sexuel examinés au ministère du Travail

Faut-il renforcer la législation sur les violences sexistes au travail?
Soixante-dix pour cent des cas ne sont jamais dénoncés ; 40 % des femmes qui parlent disent en subir des conséquences professionnelles. C'est comme pour l'égalité salariale : on a les lois qu'il faut, mais elles ne sont pas toujours appliquées. Ce qui se passe depuis trois semaines, cette prise de conscience, c'est positif. Il faut que la honte change de camp et que les hommes et les femmes s'engagent. Employeurs et syndicats ont leur responsabilité. J'invite les entreprises à former leurs managers à repérer les comportements de sexisme et de harcèlement, comme je vais m'en assurer dans mon ministère.

Votre ministère est concerné?
On a été informés de trois cas, que l'on est en train d'examiner. Seuls 2.400 recours pour harcèlement sexuel ont été déposés à l'Inspection du travail ces trois dernières années.

Vous-même, y avez-vous été confrontée?
Oui. Lors de mon premier ­emploi dans le secteur public, quand j'étais jeune. Tout comme 80 % des femmes de mon entourage qui font face au sexisme ordinaire.

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