C’est la chaîne saoudienne Al-Arabiya qui l’a annoncé : ce samedi 5 novembre, onze princes saoudiens – parmi lesquels le prince et milliardaire Al-Walid ben Talal – et des dizaines de ministres, anciens et actuels, ont été arrêtés en Arabie Saoudite. Une vague d’arrestations accompagnée du limogeage des chefs de la Garde nationale saoudienne, une force d’élite intérieure, et de ceux de la Marine.

Officiellement, ces actions sont le fait d’une commission anticorruption créée quelques heures auparavant par décret royal. Une entité dirigée par le prince héritier Mohammed ben Salmane, âgé de 32 ans et surnommé MBS. Cette commission toute-puissante a le droit “de mener des enquêtes, d’ordonner des arrestations, de retirer les passeports, de geler les comptes bancaires et les actifs des individus impliqués dans des pratiques de corruption”, précise Al-Arabiya

En l’occurrence, les faits reprochés aux dignitaires en détention concernent les inondations qui ont dévasté en 2009 et en 2011 la ville portuaire de Jeddah, située dans l’ouest du royaume, sur la mer Rouge, faisant plus de 120 morts. Mais aussi l’épidémie de coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV), qui a sévi en 2014 dans le Royaume, notamment dans la ville de Jeddah. A l’époque, les autorités avaient tardé à appréhender le phénomène et à prendre les mesures pour l’endiguer. Autant de manquements bien réels et impopulaires.

Le fait du prince

Mais ces actions confirment aussi la toute-puissance du prince héritier Mohammed ben Salmane, vice-Premier ministre et ministre de la Défense. Son ascension fulgurante s’est accompagnée de sa part, de vives critiques du fondamentalisme religieux auquel est associé son pays et d’un vaste plan de réformes, mais aussi d’un durcissement des relations avec le Qatar et l’Iran et d’une répression croissante dans le Royaume, comme en témoignent les arrestations massives effectuées en septembre dernier.

“Ces arrestations ont pour but de réduire au silence ceux qui plaident, en Arabie Saoudite, pour une sortie de crise avec le Qatar, ceux qui critiquent la conduite de la guerre au Yémen et enfin ceux qui désapprouvent les réformes entreprises par le prince Mohammed ben Salmane”, commente le journaliste et spécialiste du Moyen-Orient James Dorsey dans son blog The Turbulent World of Middle East Soccer (le monde turbulent du foot du Moyen-Orient). 

Pour l’heure, poursuit-il, le prince doit encore mener à bien les aspects économiques de son plan Vision 2030. Depuis l’annonce de cet ambitieux train de réformes, il s’est surtout concentré sur de très médiatiques décisions, comme le fait d’autoriser les femmes à conduire et à accéder aux stades.

Mais le plus dur reste à faire : transformer en profondeur une économie et une société fondées sur la rente pétrolière. Et ça, il devra le faire seul. En effet, poursuit James Dorsey, “les dernières mesures de répression rompent avec la tradition du consensus et du secret qui avait cours au sein de la famille royale – une tradition qui trouverait son équivalent dans le fonctionnement du Kremlin sous l’Union soviétique”.

Les limogeages et les arrestations suggèrent que le Prince Mohamed, plutôt que de nouer des alliances, cherche à enserrer d’une main de fer la famille royale, l’armée et la garde nationale.” 

Cette volonté d’étouffer l’opposition amène à s’interroger sur la façon dont le prince entend mener ses réformes, conclut James Dorsey : “il entreprend une réécriture unilatérale du contrat social dans le Royaume, plutôt que de rechercher un consensus”.

“On a du mal à croire que MBS réussira à mener son ambitieux programme à bien seulement à coups de décrets royaux. Il doit susciter davantage d’adhésion. Et pour l’obtenir, il doit apprendre à tolérer le débat et le désaccord”, commentait l’hebdomadaire britannique The Economist en septembre dernier après la décision d’autoriser les femmes saoudiennes à conduire. “Et au final, ajoutait-il, MBS devra peut-être passer par une forme de consultation démocratique.”