Quotas de pêche : thon rouge, l'impossible équation

Le pays du Soleil levant engloutit 80 à 90 % des thons rouges pris dans les filets des senneurs de Méditerranée.

Le pays du Soleil levant engloutit 80 à 90 % des thons rouges pris dans les filets des senneurs de Méditerranée.

Photo archives patrick nosetto

Les stocks seraient reconstitués. Aiguisant appétits et inquiétudes

À la criée de Tokyo, le thon rouge affole toujours les matins frais. Le premier d'entre eux, en début d'année, a été emporté par un restaurateur au prix de 605 000 €. Soit 81 € le sushi. La folie ne s'est pas démentie depuis, au grand dam des organisations non gouvernementales. "Présenter au client un volume énorme de thon risque de faire oublier que c'est en réalité une espèce en danger", remarque la porte-parole de Greenpeace au Japon.

Un quota trop élevé risquant d'inverser la courbe vers un nouveau déclin de cette population

L'enthousiasme est plus mesuré chez Christian Molinero, président du Comité dans la région Paca. "Le thon est en meilleure santé, c'est évident. Mais si on peut penser que le thon est revenu, en quantité, à un niveau jamais vu depuis dix ans, il faut rester prudent. Les scientifiques ont plusieurs interprétations à cause des effets de déplacement des thons". Pêchés entre Atlantique et Méditerranée, les rapides thonidés ont l'art de dérouter les experts en comptage. "Des espèces migrent en fonction de nombreux critères, salinité de l'eau, nourriture, nature des eaux et il est parfois difficile de les suivre précisément", reprend Christian Molinero. "Le stock est conforme au plan de restauration, mais les scientifiques ne sont pas sûrs qu'il soit restauré", résume Alessandro Buzzi, expert au WWF. L'ONG au petit panda reste donc circonspecte après les prescriptions de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (Cicta). Réuni à Madrid il y a un mois, son comité scientifique a proposé de relever les quotas de pêche. Actuellement de 23 655 tonnes entre Atlantique Est et Méditerranée, ils pourraient grimper à 36 000 tonnes d'ici 2020. Du jamais vu. "Tout le monde saisit l'opportunité de la reconstitution du stock pour demander une hausse du quota", indique Alessandro Buzzi.

Une telle demande est notamment formulée par l'Espagne, quand les Français réclament 30 000 tonnes. "Actuellement, la France a droit à 4 000 des 23 655 tonnes, précise Christian Molinero. Les pêcheurs attendent un peu plus, mais il ne s'agit pas d'ouvrir les vannes n'importe comment."

"90% des stocks sont surexploités"

L’arraisonnement, fin août, près de Lorient en Bretagne, d’un navire portugais avec à son bord 45 tonnes de thons et requins pêchés illégalement, a rappelé crûment la réalité. Chaque année, selon l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), un peu plus de 30% du stock mondial de poissons, soit environ 26 millions de tonnes, est victime de la surpêche. Au sommet de la chaîne alimentaire, le thon en est la principale cible. Les conséquences sont directes en termes d’équilibre écologique des océans. Elles le sont également pour l’économie de la pêche, impactée par le travail forcé, donc illégal, dans de nombreux pays. 

En juin dernier, à l’ONU, dix-huit organisations non gouvernementales ont signé, avec 48 entreprises de pêche, dont quelques géants mondiaux du thon en boîte, la "Déclaration de traçabilité Thon 2020". Un document dans lequel ils s’engagent à interdire la mise sur le marché du thon pêché illégalement, ainsi qu’à empêcher le travail forcé en mer. Un vœu pieu qui s’inscrit en parallèle de la "MedFish4Ever"

Cette convention a engagé, à Malte au printemps, quinze pays, dont la France, à "éliminer la pêche illégale" en Méditerranée. Dans son texte final, la Commission européenne chargée de rassembler ces bonnes volontés invite les quelque 300 000 pêcheurs de Méditerranée, dont 80% sont des artisans, à collecter les données sur les populations de poissons. "La diminution des stocks halieutiques de la Méditerranée menace ces emplois : environ 90 % des stocks évalués sont surexploités. La sécurité alimentaire, les moyens de subsistance, la stabilité et la sécurité régionales sont menacées", souligne la convention.

Depuis qu’elle a été mise en place en 2005, l’agence de contrôle des pêches illégales en Méditerranée a constaté que 40% des bateaux en infraction tractaient des cages à thons vivants vers des fermes aquacoles. Des lieux d’engraissage desquels les poissons partent ensuite, pour l’essentiel, vers le Japon. Dans un rapport, l’association écologiste américaine PEW caractérise une différence de 141% entre les quantités de thon rouge commercialisées et les quotas de pêche fixés par la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA).