L'explosion des troubles psychiques liés aux modalités d'organisation du travail et de management

L'explosion des troubles psychiques liés aux modalités d'organisation du travail et de management

Au cours des trente dernières années, nos modes de vie au travail ont évolué sous l’effet conjugué des modifications en profondeur de la gouvernance des entreprises, de l’intensification des exigences au travail et de l’injonction de mobilisation subjective adressée aux salariés du privé et aux agents de la fonction publique.

  1. S’agissant de la gouvernance, il est communément admis que l’équilibre construit après la Seconde Guerre Mondiale entre détenteurs de capital, producteurs de travail et détenteurs du pouvoir d’organisation et de direction s’est rompu au profit des premiers. La prédominance du capitalisme financier a contribué à raccourcir les délais de retour sur investissement et à évaluer la dite création de valeur à partir d’indicateurs financiers partiellement déconnectés des finalités du développement économique : assurer des conditions de vie satisfaisantes au plus grand nombre, formulation qui paraît assez modeste au regard des enjeux portés par le discours sur la Responsabilité Sociale des Entreprises. Sur le terrain, les salariés ne reconnaissent pas dans la lecture des multiples indicateurs dont ils sont abreuvés la réalité de leur travail quotidien, leur contribution à la production collective de biens et de services et les réalisations obtenues grâce à leur investissement physique et psychique. Cette évolution n’épargne pas la fonction publique où la vision gestionnaire des soins, de l’éducation et plus largement des services publics garants de la cohésion sociale prévaut sur une vision plus structurale et institutionnelle.
  2. Il est tout aussi communément admis que les exigences au travail se sont accrues, avec des entreprises qui s’efforcent de concilier contraintes de type industriel, contraintes de type commercial et révolutions technologiques, et soumettent leurs salariés à des changements permanents pour s’adapter à la demande du marché et rester compétitives. L’instabilité organisationnelle devient une norme et déstabilise les longs processus d’apprentissage et de transmission de règles de métier, fondements des identités professionnelles.
  3. Pourtant, la promesse d’émancipation et d’épanouissement par le travail demeure toujours aussi forte, voire s’est accrue dans des sociétés qui prônent des valeurs telles que l’autonomie, l’initiative, le dépassement de soi, le culte de la performance et la capacité à se rendre maître de ses comportements et de ses émotions. Le terreau des gains de productivité dans le secteur privé et la fonction publique gît dans l’engagement des salariés et des agents à fournir des biens et services de qualité aux clients, usagers ou citoyens. La performance des organisations est largement fonction de leur capacité à accroître la mobilisation subjective de leurs employés afin que la foi de ceux-ci en la promesse de réalisation de soi les amène à faire appel à leurs ressources psychiques les plus intimes pour répondre à la multiplicité des demandes qui leur sont adressées, voire même composer avec les plus paradoxales d’entre elles.

Cette situation n’est pas sans conséquence sur la santé des salariés et des agents parmi lesquels les pathologies de surcharge se multiplient : stress, hyperactivité, troubles cardio-vasculaires, épuisement professionnel (burn-out), troubles musculo-squelettiques, effondrement anxio-dépressif… Actuellement, aucun métier, secteur d’activité ou statut n’est épargné par cette explosion des troubles somatiques et/ou psychiques liés à ces nouveaux modes de vie au travail.

  • C’est ici un technicien de l’aéronautique qui enchaîne les interventions à l’étranger avec un temps de préparation toujours plus réduit car « on ne peut pas demander d’attendre à un client dont la machine immobilisée à terre lui coûte des milliers d’euros par jour » et qui se retrouve plongé dans une forme de confusion mentale proche du délire paranoïaque ;
  • C’est là un consultant dont les 80 heures de travail par semaine ne l’empêche pas de s’interroger sur les conséquences des stratégies de réduction de coût qu’il préconise, fait une syncope chez un client dont les employés ne l’ont pas accueilli avec les meilleures dispositions, ne reçoit que mépris et indifférence de ses managers dont il a sollicité le soutien et s’effondre au moment où il est affecté à une mission « encore pire que les autres » ;
  • C’est enfin là une chargée de communication d’un office de tourisme qui ne sait plus comment mener et présenter ses projets pour satisfaire une directrice incapable de prendre une décision et qui, à force « d’avoir systématiquement des bâtons dans les roues », redoute avec angoisse les confrontations avec sa directrice, ne parvient plus à échapper à des ruminations anxieuses quant à la valeur de son travail, voire la justesse de ses raisonnements, et perd progressivement tout intérêt dans sa vie personnelle.

Les personnes les plus vulnérables au regard de cette évolution de nos modes de vie au travail sont les salariés et les agents les plus impliqués dans l’exercice de leur métier, ceux qui après avoir tenté de conjuguer toutes les contradictions organisationnelles se rendent malades par impossibilité de se reconnaître dans ce qu’ils font. Ces personnes ne sont pas pour autant définitivement hors circuit pour le monde du travail : les prises en charge bifocales, médicale et psychologique, leur permettent de s’apaiser, de (re)construire une représentation plus distanciée de la situation, de clarifier leur position subjective et de retrouver un rôle professionnel satisfaisant.

L’organisation du secteur de la santé pourrait améliorer l’accès à ces prises en charge par une meilleure coordination entre médecins du travail, médecins généralistes, psychiatres et psychologues, mais aussi infirmiers et assistants sociaux du travail. Il s’agirait de rendre plus visibles localement, dans les territoires d’emploi, les actions de ces différents professionnels, afin de constituer des réseaux de soin plus pragmatiques et efficaces.

Cependant ce sont les entreprises elles-mêmes qui disposent des ressources les plus pertinentes pour réduire les troubles psychosociaux au travail. A elles de prendre le risque de sortir de la spirale de l’immédiateté et la réactivité, à elles de prendre le risque d’interroger leurs modalités de fonctionnement collectif au regard des finalités de leur activité, à elles de prendre le risque d’écouter la parole de leurs cadres, agents de maîtrise, ouvriers et employés et de prendre en compte leurs suggestions. Ici encore les actions efficaces sont celles menées au plus près du terrain en redonnant aux salariés et aux agents du pouvoir d’agir : par souci de concision, je n’évoquerai pas ici d’exemples d’interventions en prévention des risques psychosociaux et préfère vous renvoyer au réjouissant livre de d’Isaac Getz et de Brian Carney « Liberté & Cie – Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises » qui regorge d’exemples d’entreprises qui réussissent à concilier qualité de vie au travail et performance économique.



Youness Toualbia

Sciences du Végétal / Informatique & Communication

5y

Les troubles psychques pregnants chez certaines personnes ressortent en cas de stress intense. Celui que j'ai vécu dans votre entreprise, Antoine. J'ai de la ressource, ne vous en faites pas. Marc Pondaven, êtes vous au courant de ce qui se passe dans votre dos ? Des 10000 euros de perte annuelle liée à une mauvaise gestion (ex : palettes non recyclées, consommables gaspillés).

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thierry ponsot

fondateur de irpforma, site santé travail pour tous chez irpforma

6y

ne comptez pas trop sur les représentants du personnel surtout avec la disparition programmée des chsct. j'en suis venu à la conclusion après 25 ans d'expérience de formation des élus ,qu'il fallait que les salariés se prennent en charge par eux mêmes en adoptant des stratégies ; quant au management, leur demander de résoudre les problèmes qu'eux mêmes ont par ailleurs crées , n'est ce pas demander au pyromane de devenir pompier? je pense que la solution réside dans l'autovaccination volontaire des "malades au travail" pour qu'ils se guérissent eux mêmes en "soignant" leur travail et eux mêmes par la même occasion; le contre poison est le poison le plus efficace contre les poisons, et on peut se le fabriquer... vous pouvez explorer cela sur le site 'https://irpforma.wordpress.com/

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thierry ponsot

fondateur de irpforma, site santé travail pour tous chez irpforma

6y

le diagnostique est précis mais les solutions beaucoup moins: s'en remettre à des coordinations d'institutions et d'institutionnels??? et si les salariés pouvaient eux mêmes commencer à lutter contre les risques psychosociaux en développant leurs propres capacité stratégiques à le faire?

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Michel Albouy

Professeur émérite chez Université Grenoble Alpes

6y

Merci Armelle pour cet article qui fait un excellent état de la situation du monde du travail actuel. Dans le monde académque la pression s'exerce sur les articles à publier dans les revues classées et c'est un énorme stress. Outre que faire une recherche est par nature long et aléatoire, l'attente des réviseurs (anonymes) est source de stress.

Fabienne Le Goc Le Sager

Cadre Coordonnateur Bretagne en OncoGériatrie . 5ème adjointe culture patrimoine tourisme vie associative mairie de Trégunc

6y

Article pertinent. Oui au parcours coordonné de prise en charge dans le cadre d’une filière RPS ville hôpital .... Et l'hôpital n’échappe pas non plus malheureusement à ce constat.

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