Cinquante ans après avoir couru le marathon de Boston, bousculant un milieu alors exclusivement masculin, Kathrine Switzer court toujours et sera dimanche, à 70 ans, au départ du marathon de New York.

Les photos en noir et blanc de Jock Semple, directeur de course du marathon de Boston 1967 qui voulait empêcher Switzer de participer à sa course, ont cristallisé une époque.

On y voit un sexagénaire au regard halluciné qui tente d'agripper une femme en train de courir au milieu d'un groupe d'hommes.

«Je m'en souviens comme si c'était hier, parce que ça a été un moment phare de ma vie», explique cette fille de soldat américain, née en Allemagne en 1947. «Ça a changé ma vie et, du coup, celle de millions de femmes.»

Trois ans avant la création du marathon de New York, la vénérable course de Boston, déjà vieille de 70 ans, supportait mal la présence d'une jeune femme de 20 ans, qui allait devenir la première à franchir officiellement la ligne d'arrivée.

En prenant part au marathon, Kathrine Switzer n'avait pourtant pas l'intention de faire des vagues, aucun désir de réaliser un acte politique.

Mais une fois arrivée, au bout d'environ 4H20, «je me suis radicalisée», se souvient-elle. Et depuis ce jour, elle se bat pour élargir les frontières de la course.

«J'ai reçu beaucoup de courriers haineux, il y a eu beaucoup d'agitations de la part des officiels», explique cette femme gracile aux cheveux longs et à l'élégance naturelle.

Suspendue par la fédération américaine d'athlétisme, disqualifiée du marathon de Boston, Kathrine Switzer aura l'outrecuidance de faire remarquer aux organisateurs que le règlement de l'épreuve ne contenait aucune mention relative au sexe des participants.

«Vous auriez dû le savoir», lui ont-ils rétorqué.

L'âge, nouvelle frontière

Depuis, la marathonienne a contribué à l'organisation de centaines d'épreuves féminines dans le monde, plaidé publiquement pour l'inclusion des femmes et fait campagne, avec d'autres, pour l'inscription d'une épreuve féminine de marathon aux Jeux olympiques, devenue réalité en 1984.

«Cela a changé le paysage», dit-elle. En 2016, 63% des coureurs aux États-Unis étaient des femmes, du jamais vu, selon l'étude annuelle réalisée par le site spécialisé Running USA.

Elles «ne courent pas pour perdre du poids», dit Switzer, «mais pour prendre confiance en elles-mêmes et avoir le sentiment d'avoir accompli quelque chose. Cela change fondamentalement leur vie. Elles n'ont plus peur de rien.»

Il y a deux ans, Kathrine Switzer a créé sa fondation, 261 Fearless, son numéro de dossard lors du marathon de Boston 1967, avec toujours l'ambition d'inciter plus de femmes à «mettre un pied devant l'autre», selon sa propre expression.

Après Boston en 1967, elle a couru beaucoup d'autres marathons, remportant même le marathon de New York en 1974.

Devenue journaliste, auteur et activiste, elle a ensuite déserté les courses pendant des décennies, se contentant de couvrir, 28 années durant, le marathon de New York pour la télévision, calée à l'arrière d'une moto.

Il y a huit ans, elle a décidé de s'y remettre, même si elle n'avait jamais arrêté de courir «pour (s)'amuser et explorer la physiologie d'une femme plus âgée».

Dimanche, elle sera au départ du marathon de New York pour la première fois depuis 1975. «Je me suis dit: j'ai 70 ans. Quand vais-je le faire si je ne le fais pas maintenant?»

L'âge, c'est le nouveau combat de cette femme au regard pétillant et à l'enthousiasme permanent.

«Ce que j'ai découvert, c'est que vous n'êtes jamais trop vieux, jamais trop lent ou hors de forme pour devenir un athlète.»

«Les gens parlent des gens âgés comme ils parlaient de moi il y a 50 ans. Ils disent: vous devriez y aller doucement, vous allez vous blesser. Alors que plus vous en faites, plus vous pouvez en faire. Nous sommes devant une nouvelle frontière.»

Photo archives AP

Jock Semple (en noir sur la photo), directeur de course du marathon de Boston de 1967, tent d'empêcher Kathrine Switzer de participer à sa course.