Coût d'un licenciement abusif : le simulateur qui fait polémique

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  758  mots
Après la publication de la très décriée ordonnance fixant un barème des indemnités prud'homales dues à un salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le gouvernement a mis en ligne un simulateur qui permet aux entreprises de calculer le "coût" d'un tel licenciement abusif et ainsi de provisionner. Une initiative qui fait polémique.
Le site service-public.fr a mis en place un simulateur qui permet, en deux clics, de connaître le coût potentiel maximum pour une entreprise, d'un licenciement abusif. Du "cynisme" pour les syndicats.

Voilà un simulateur qui déclenche la polémique. La nouvelle serait passée quasiment inaperçue si le quotidien Le Parisien, dans son édition du vendredi 4 novembre, n'avait pas mis un coup de projecteur sur le sujet : depuis la mi-octobre, le site service-public.fr a mis en ligne un simulateur sur les indemnités prud'homales qui devraient être versées par une entreprise en cas de licenciement abusif. De fait, en deux « clics » (taille de l'entreprise, ancienneté du salarié) l'employeur peut connaître la fourchette (le plancher et le plafond) des montants qu'il devra verser.

Une initiative jugée « cynique » par l'Unsa qui s'offusque qu'un site officiel de la République permette aux entreprises de calculer le « coût » d'un licenciement abusif... A l'inverse, le Medef a salué « une bonne initiative » qui permet d'anticiper le coût d'un licenciement.

Mais pourquoi un tel simulateur ?

Celui-ci a été installé dans la foulée de l'une des « ordonnances Macron » réformant le Code du travail. Celle-ci a été publiée au « Journal Officiel » du 23 septembre, elle prévoit un barème d'indemnisation par les Conseil de prud'hommes en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Concrètement, le texte fixe un plancher et un plafond d'indemnisation -compris entre un mois et 20 mois de salaire- qui s'imposent aux juges en fonction de la taille de l'entreprise et de l'ancienneté du salarié injustement licencié et qui refuse sa réintégration dans l'entreprise.

Cette question du barème des indemnités prud'homales n'a pas quitté l'actualité depuis plus de deux ans. Il a fallu trois tentatives pour que ce barème s'impose dans le Code du travail. Déjà, dans la « loi Macron » de 2015, celui qui était alors ministre de l'Economie avait tenté d'introduire ce barème mais cette disposition avait été retoquée par le Conseil Constitutionnel. Ensuite, deuxième tentative en 2016, une première mouture du projet de loi El Khomri prévoyait d'introduire le barème, mais devant le tollé syndical -notamment de la CFDT- Manuel Valls, le Premier ministre d'alors, y avait renoncé. La troisième tentative, les ordonnances, fût la bonne. Et ce, pour le plus grand bonheur des organisations patronales qui dénonçaient depuis des années la « loterie » des prud'hommes: une affaire similaire pouvant donner lieu à des dommages et intérêts très divers en fonction du Conseil des prud'hommes compétent.

Un simulateur à prendre avec des pincettes

A l'inverse, côté syndical, cette nouveauté ne passe pas car le juge doit pouvoir librement décider de la réparation intégrale d'un éventuel préjudice, sans se trouver enfermé par un barème. C'est pour cette raison que l'initiative gouvernementale d'instituer un simulateur est très mal perçue, car elle va encore davantage aider les entreprises à calculer le « prix » d'un licenciement abusif et donc éventuellement de « provisionner » les montants dus. Sans parler du fait, que ce barème et ce simulateur vont aussi permettre aux entreprises de négocier à la baisse les indemnités versées en cas de rupture conventionnelle, c'est-à-dire lors d'un départ négocié avec un salarié.

Jusqu'ici, en effet, un salarié acceptant une rupture conventionnelle pouvait pour obtenir de meilleures indemnités de départ de l'entreprise agiter « le saut dans l'inconnu » que représentait pour l'employeur le risque de se retrouver devant un conseil de prud'hommes. Ce n'est plus le cas maintenant que le barème existe. C'était d'ailleurs tout l'esprit des ordonnances qui cherchaient à « rassurer » et « sécuriser » les entreprises en cas de licenciement... afin de faciliter les embauches.

Il n'en reste pas moins que le simulateur gouvernemental ne constitue pas une sécurité totale. En effet, le barème des indemnités prud'homales ne concerne pas les licenciements considérés comme nuls, c'est-à-dire les licenciements manifestement discriminatoires, ou encore concernant des personnes victimes de harcèlement moral ou sexuel ou encore un licenciement en rapport avec l'exercice du droit de grève ou de la liberté syndicale, etc.

Or, avec l'instauration du barème, de nombreux avocats vont, bien entendu, tenter d'aller sur le terrain de la nullité du licenciement qui donne droit à une indemnité minimum d'au moins six mois de salaire... sans plafond.

L'entreprise devra aussi tenir compte du fait que les ordonnances Macron, en « compensation » de l'instauration d'un barème pour les dommages et intérêts prud'homaux, ont aussi augmenté l'indemnité légale de licenciement qui passe de 20% à 25% d'un mois de salaire par année d'ancienneté jusqu'à dix ans.