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Tariq Ramadan : l'université d'Oxford interpellée par ses étudiants met en place une cellule d'écoute

Les étudiants du département où il enseigne ont exigé une réunion après avoir appris par la presse les accusations dont il fait l'objet.
par Sonia Delesalle-Stolper, correspondante à Londres
publié le 6 novembre 2017 à 18h06

Ça râle et ça murmure dans les allées pavées de l'université d'Oxford, dans les couloirs du St Antony's College et plus particulièrement autour de la maison à colombages, l'ancien presbytère d'une église victorienne de la fin du XIXe siècle, qui abrite le Centre du Moyen Orient. C'est ici qu'enseigne Tariq Ramadan, dans le département d'études islamiques contemporaines. Les étudiants ont modérément apprécié d'apprendre par la presse, et non par leur université, que le professeur faisait l'objet de plaintes pour viols et agressions sexuelles en France. D'autant qu'entre-temps, Tariq Ramadan est venu donner un cours.

A la demande expresse des étudiants, la faculté a donc organisé mardi dernier une réunion confidentielle, mais dont le quotidien de l'université d'Oxford, Cherwell, a relaté le contenu. L'université avait publié initialement un très bref communiqué indiquant être au courant des allégations, les prendre au sérieux mais ne pas avoir d'autres commentaires à faire.

Devant les étudiants, le directeur du Middle East Center, Eugene Rogan, s’est excusé à plusieurs reprises d’avoir attendu dix jours avant de rencontrer les étudiants à ce sujet. Il a expliqué ce retard par le fait que les allégations avaient été soulevées dans un pays étranger doté d’un système légal différent. Il a confirmé que Tariq Ramadan continuerait à enseigner à Oxford University, mais a ajouté que si des étudiants en manifestaient le souhait, une personne extérieure pourrait être présente pendant les cours.

Tariq Ramadan enseigne depuis octobre 2009 à Oxford, notamment en master en études contemporaines islamiques. Pour l'année universitaire 2017-2018, il enseigne la philosophie islamique et la théologie. Selon Cherwell, plusieurs membres du personnel du département, présents à la réunion, ont incité les étudiants à ne pas parler à la presse. «Il ne s'agit pas seulement de violence sexuelle. Pour certains étudiants, il s'agit d'une autre manière pour les Européens de s'attaquer à un intellectuel musulman éminent. Nous devons protéger les étudiants musulmans qui croient et ont confiance en lui et restaurer cette confiance, a déclaré le professeur Rogan. Nous ne pouvons pas vous dire ce que vous devriez dire. Mais j'encourage chacun à faire preuve de jugement moral sur la manière dont vous exprimez vos inquiétudes – de ne pas victimiser les femmes qui ont produit les allégations ou les hommes qui ont fait l'objet d'accusations contre lesquelles ils n'ont pas eu la possibilité de se défendre.»

Au cours de la même réunion, Karen O’Brien, chef du département des Sciences humaines, a confirmé que Tariq Ramada continuerait pour le moment à superviser ses étudiants en thèse, mais a indiqué que chaque étudiant aurait un entretien privé pour établir la manière dont il ou elle souhaite que ces supervisions (qui se déroulent en général en tête-à-tête, entre le professeur et l’étudiant) se déroulent.

Une étudiante a confié au journal qu'il «aurait dû y avoir une discussion plus franche et ouverte avec les étudiantes sur quoi faire pour qu'elles se sentent en sécurité». Avec ça, «il y a peu de chances pour qu'elles expriment leurs inquiétudes et disent ce qu'elles ressentent». Un autre étudiant s'est dit «choqué par la manière dont l'université a géré la situation. Même si le professeur Ramadan est présumé innocent tant qu'il n'a pas été reconnu coupable, cela n'excuse en rien l'absence totale de communication du Centre du Moyen-Orient envers les étudiants concernés. L'histoire a éclaté il y a plus de deux semaines. Nous aurions au moins pu recevoir un email de la faculté».

Un porte-parole d'Oxford University a déclaré à Libération que «même si nous reconnaissons à quel point les allégations sont graves et inquiétantes, il n'y a pas eu d'inculpation formelle. Le professeur Ramadan n'a pas été détenu, interrogé ou informé s'il serait poursuivi. Qui plus est, il dément catégoriquement les accusations contre lui. Le professeur Tariq Ramadan a demandé personnellement à ses avocats de poursuivre les accusatrices pour diffamation. En tant qu'employeur […] nous avons le devoir – comme quiconque – d'être juste envers les accusateurs et l'accusé».

Cependant, le porte-parole a souligné que l'université avait très tôt reconnu «la gravité des accusations […] et nous ne sous-estimons pas l'impact et le risque qu'elles provoquent anxiété et angoisse au sein de notre communauté». Dans le cadre du code de conduite de l'université concernant les cas de harcèlement ou d'agressions sexuelles, des «arrangements sont en place pour des discussions confidentielles pour quiconque souffrirait d'angoisse ou de crainte pour sa sécurité personnelle». Des entretiens individuels ont été organisés avec chacun des étudiants sous la responsabilité de Tariq Ramadan. Le porte-parole a refusé de donner le nombre d'étudiants concernés dans la mesure «où ces entretiens sont en cours et totalement confidentiels».

Le département d’études contemporaines islamiques est le résultat d’un accord signé en 2009 entre l’université d’Oxford et le collège d’études islamiques de l’université Hamad Bin Khalifa (HBKU), basée à Doha au Qatar. Tariq Ramadan est impliqué depuis son lancement dans ce projet.

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