Récit

Grands groupes : les députés votent une surtaxe «exceptionnelle»

Pour dédommager les firmes françaises qui ont payé, entre 2012 et 2017 une taxe sur les dividendes annulée par la justice, le gouvernement a fait adopter, lundi soir, une hausse temporaire de leur propre impôt sur les sociétés.

publié le 7 novembre 2017 à 7h39
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A prélèvement express, vote express. Saisis en urgence, les députés ont adopté lundi soir le collectif budgétaire mis sur pied en quelques semaines par le gouvernement pour collecter la moitié des sommes à rembourser aux grands groupes français touchés depuis 2012 par la taxe de 3% sur les dividendes. Début octobre, le Conseil constitutionnel a retoqué dans sa totalité cette «contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés» qui rapportait jusqu'ici 1,8 milliard d'euros chaque année au budget de l'Etat. Résultat : l'Etat est contraint de dédommager 10 milliards d'euros (intérêts compris) aux grandes entreprises. Une première moitié sera à la charge de l'Etat, l'autre moitié sera donc récupérée via deux «contributions», l'une «exceptionnelle» et l'autre «additionnelle» de l'impôt sur les sociétés des entreprises qui réalisent plus d'un milliard d'euros de chiffres d'affaires. Au lieu de s'acquitter l'an prochain d'un taux normal de 33,3%, les 320 plus grands groupes français qui réalisent plus de 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires verront leur taux d'impôt sur les sociétés grimper à 38,3%. A ce taux «exceptionnel» s'appliquera, pour les groupes dont l'activité dépassera 3 milliards d'euros en 2017, une taxe «additionnelle» pour atteindre le niveau de leur impôt sur les sociétés à 43,3%.

«Il faut que les reliquats du passé soient soldés», a lancé Bruno Le Maire, venu défendre à la tribune de l'Assemblée la solution à un feuilleton devenu objet de polémique depuis plusieurs semaines entre le nouvel exécutif et l'ancienne majorité. Le ministre de l'Economie et des Finances s'est montré bien moins véhément à l'égard de cette dernière. Plus question pour lui de parler de «scandale d'Etat» : «Je ne reviens pas sur le passé», a-t-il dit d'emblée. Le Maire s'est contenté d'appeler les grandes entreprises au civisme et justifié la rapidité de ce projet de loi de finances rectificative pour 2017, présenté en plein milieu des discussions budgétaires pour 2018, pour tenir les engagements européens de la France : «Nous resterons sous la barre des 3% à partir de 2017», a-t-il répété, visant, au passage, la gauche de l'hémicycle : «Je sais bien que pour certains, cela n'a aucune espèce d'importance.» Présent, le chef de file des députés France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, lève le nez de son journal, ne répond pas.

«Qui a permis un désordre pareil?!»

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Laissée de côté par le ministre, l'expression «scandale d'Etat» est reprise par le député France insoumise Eric Coquerel : «Haha! Monsieur Le Maire! Vous nous aviez promis des réponses!» tance alors Mélenchon avant de reprendre le micro pour tenter de mouiller - sans le nommer - Emmanuel Macron, secrétaire général adjoint de l'Elysée chargé des questions économiques du temps de la création de la taxe de 3% sur les dividendes et son actuel secrétaire général, directeur de cabinet à Bercy à cette même époque : «Comment se fait-il que personne dans l'Etat […] ne se soit rendu compte de rien?! […] Qui a permis un désordre pareil?!» Réponse de Le Maire un peu plus tard - Mélenchon a déjà quitté l'hémicycle - en défense du chef de l'Etat et de son entourage : «Dans une démocratie, ce sont les ministres qui décident et pas les conseillers.» Pour rappel, Le Maire a commandé un rapport à l'inspection générale des finances pour établir les «responsabilités» dans cette affaire.

A la gauche de l'hémicycle, on a choisi ce lundi soir de mettre le gouvernement devant ses choix économiques. Le député communiste du Nord, Fabien Roussel, a proposé ainsi de «pérenniser» cette surtaxe. Sourires désapprobateurs de Le Maire. Comme Roussel, Eric Coquerel (FI) a exigé que le gouvernement revienne sur les réformes fiscales en faveur des plus aisés. En effet : la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) et la mise en place d'un prélèvement forfaitaire unique de 30% sur les revenus du capital coûteront 4,5 milliards d'euros selon le gouvernement en 2018. Le gouvernement refuse et a décidé de mettre de côté 5 milliards d'euros en 2018 pour le reste du remboursement de ces grands groupes. Le Maire a déjà prévenu que ce choix fera passer le déficit public de 2,6% prévu pour l'an prochain à 2,8% du PIB. Fabien Roussel moquant, au passage, «cette soudaine tolérance au déficit» du ministre «quand il s'agit de rembourser des grands groupes».

Seize très grandes entreprises gagnantes

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Face au gouvernement, droite et gauche se sont unis lundi soir pour dénoncer une loi fabriquée «dans l'urgence». «On avance à l'aveugle», a critiqué le président de la commission des Finances, Eric Woerth (LR). L'ex-ministre du Budget a réclamé les identités des dix entreprises «particulièrement perdantes». «En vingt-quatre ans de présence continue ici, je n'ai jamais connu une telle cadence infernale!» a abondé son prédécesseur à ce poste, Gilles Carrez (LR). Membre de la droite «constructive» - donc prête potentiellement à aider le gouvernement - Charles de Courson y est allé de ses reproches sur «l'incroyable précipitation» de l'exécutif, mettant en doute la «sincérité» de ce texte. L'ex-rapporteure générale du budget, la socialiste Valérie Rabault, n'a, elle, cessé de réclamer des chiffres au ministre de l'Economie et des Finances : «Pour l'instant, nous n'avons rien.»

Le ministre en a ramené, après une suspension de séance, quelques-uns. Sur les très grandes entreprises, celle ayant un chiffre d'affaires supérieur à 13,9 milliards d'euros, 30 «seront redevables» de cette surtaxe, selon Le Maire dont 14 «perdantes» (elles paieront 80 millions d'euros en moyenne) et 16 «gagnantes» (166 millions d'euros en moyenne perçus grâce au remboursement). Quand aux plus «petites» touchées par cette nouvelle contribution : 32 seront redevables dont 26 «perdantes» (1,88 million d'euros à payer en moyenne à l'Etat) et 6 «gagnantes» (4,33 millions d'euros perçus en moyenne).

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Avant ces réponses, même le rapporteur général du budget, le député des Hautes-Alpes Joël Giraud, y est allé de sa mise en garde au gouvernement : l'élu, pourtant LREM même si ancien de la majorité Hollande, a ainsi regretté la «rapidité d'élaboration» de cette loi et demandé «plus de temps» pour les discussions au Parlement. Réponse de Le Maire : «La seule chose (dont) je ne dispose pas […] c'est de temps. Si nous attendons […] nous ne respecterons pas nos engagements européens et nous affaiblirons la voix de la France.» Un vent d'agacement parlementaire qui n'est pas allé, chez les députés LREM, plus loin que le banc du rapporteur général. Tous les députés marcheurs, accompagnés de ceux du Modem, ont soutenu la proposition du gouvernement adoptée après six heures de débats dans l'hémicycle : 39 voix pour, 16 contre et 3 abstentions.