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Énergie

Total veut faire du biocarburant en important massivement de l’huile de palme

La raffinerie de Total, dans les Bouches-du-Rhône, se prépare à produire du « biocarburant ». Problème : elle fonctionnera à base d’huile de palme, qui est une cause majeure de déforestation et d’émissions de gaz à effet de serre dans les pays tropicaux.

  • Marseille (Bouches-du-Rhône), correspondance

Samedi 4 novembre, 29 militants des Amis de la Terre et des collectifs Alternatiba de Martigues, Aix-en-Provence et Marseille ont occupé pendant près d’une heure la station essence du groupe Carrefour à Châteauneuf-les-Martigues. L’action visait à alerter contre la présence d’huile de palme dans les biocarburants. Il s’agissait plus largement de protester contre la reconversion en bio-raffinerie du site de Total à la Mède, sur la même commune. Malgré le démenti de la direction au niveau national et un contexte peu favorable, tout semble indiquer que le site produira du biocarburant à base d’huile de palme. Problème : l’importation d’huile de palme participe à la déforestation dans les pays tropicaux, et donc aussi à l’émission de gaz à effet de serre.

Retour sur une affaire où, une fois de plus, les grands discours sur l’environnement et le climat sont démentis par les intérêts économiques. En 2015, le pétrolier Total annonçait la reconversion de sa raffinerie de la Mède (à Châteauneuf-les-Martigues, dans les Bouches-du-Rhône), pour créer la première « bioraffinerie » de France. En raison du caractère déficitaire du raffinage de pétrole brut depuis plusieurs années sur le site, la firme justifiait l’arrêt total de cette activité fin 2016. La décision s’accompagnait de la suppression de 180 emplois sur 430 et d’un nouveau plan « d’avenir » pour la raffinerie : la production de biodiesel dit HVO (huile végétale hydrotraitée).

Contrairement au procédé traditionnel d’estérification, la production de biocarburant à base d’HVO permet d’incorporer à un taux de quasiment 100 %, des huiles jusqu’alors inutilisables dans les biocarburants pour moteurs diesel. Parmi elles, on compte des huiles usagées, mais aussi de l’huile de palme. L’annonce par Total de ce projet avait ainsi suscité une vive réaction des organisations écologistes. Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes aux Amis de la Terre, s’en était ainsi inquiété dans une tribune publiée par Reporterre en décembre 2016, écrivant qu’ « à elle seule, cette usine doublerait la consommation française d’huile de palme ».

À un peu plus de six mois du début de la production de biodiesel sur le site, Reporterre a pu se procurer les dossiers déposés en préfecture par Total. Si la firme n’a toujours pas déposé de plan d’approvisionnement officiel, et que l’autorisation d’exploiter n’a pas encore été délivrée par la préfecture, on peut déjà constater l’incohérence entre les déclarations de l’entreprise et les intentions chiffrées dans ces documents.

 Total veut produire 500.000 tonnes par an de biodiesel

Comme le détaillent les dossiers administratifs qui ont récemment disparu du site internet de la préfecture des Bouches-du-Rhône, Total veut produire 500.000 tonnes par an de biodiesel.

Pour ce faire, la bioraffinerie prévoit de traiter 650.000 tonnes par an d’huiles végétales, dont 450.000 tonnes par an d’huiles végétales certifiées durables, l’huile de palme brute étant mentionnée en « première approche ». S’y ajoutent 100.000 tonnes par an d’un produit dérivé de l’huile de palme issu du raffinage appelé PFAD (acides gras distillés d’huile de palme) et 100.000 tonnes par an d’huiles usagées et résiduelles (issues de fabrications industrielles).

Pour autant, Total n’assume pas le choix de l’huile de palme publiquement, mettant plutôt en avant l’activité de transformation d’huiles usagées. Comme l’explique à Reporterre une porte-parole de la compagnie jointe au téléphone au siège national de la compagnie, « Il n’est pas du tout acté que l’on fasse une grande majorité d’huile de palme, ce qui est très clair c’est que l’on a fait exprès de concevoir la bioraffinerie, pour pouvoir traiter 30 % à 40 % d’huiles alimentaires usagées ou d’huiles résiduelles ».

La réalité semble pourtant plus complexe. D’abord parce que ces 30 à 40 % d’huiles incluent 100.000 tonnes de PFAD. Comme le souligne Sylvain Angerand, ce résidu direct du raffinage d’huile de palme « participe des mêmes problèmes de déforestation et d’émissions ». Ensuite parce que, comme nous le révèle Fabien Cros, secrétaire CGT du comité d’entreprise de Total-la Mède, « le site doit aussi traiter 100.000 tonnes d’huiles usagées mais personne n’est en mesure de les fournir. Seul un contrat de 20.000 tonnes avec Veolia a pour l’instant été passé ». Pour remédier à ce problème, Total propose dans son dossier d’installations d’importer la majorité de ces huiles de pays d’Afrique du Nord, d’Asie et potentiellement des États-Unis.

La raffinerie de Total à La Mède.

Mais au-delà des quantités, ce que révèle le dossier administratif est que la « bioraffinerie » semble « taillée » pour traiter une large quantité d’huile de palme. On y apprend que le site ne dispose que d’une capacité de dégommage (étape de prétraitement des huiles végétales) de 100.000 tonnes sur les 650.000 tonnes à traiter. Or, à l’exception de l’huile de palme et des PFAD, toutes les huiles et notamment les huiles usagées ont besoin d’être dégommées avant d’être utilisées. Une constatation nuancée par la porte-parole de la firme, qui réplique que « Total pourrait très bien passer un contrat, faire dégommer ces huiles à l’extérieur puis les traiter à la Mède ».

Incendies de forêt volontaires et atteintes aux droits de l’homme 

Si les biocarburants à base d’huile de palme sont criticables sur le plan écologique, c’est parce qu’ils ont un impact notable en matière d’émission de gaz à effet de serre et de déforestation. Un rapport du ministère de l’Environnement de décembre 2016 estime que l’huile de palme compterait pour 50 % de la déforestation en Indonésie et 30 % en Malaisie sur la simple période 2000-2009.

Par ailleurs et comme l’analyse un rapport des Amis de la Terre : « L’utilisation de l’huile de palme en carburant pousse la demande à la hausse, et vu les volumes requis, conduit inévitablement à la création de nouvelles plantations […] les certifications s’arrêtant aux limites des parcelles certifiées, elles ne peuvent pas limiter les effets indirects. »

  • Le mécanisme par lequel l’exploitation de nouvelle huile de palme relance la déforestation :

Ces effets, connus sous le nom de « changement d’affectation indirect des sols », ne sont actuellement pas pris en compte dans les méthodes de calculs de bilan carbone de l’Union européenne. Lorsqu’on les intègre, différentes études concluent que les biocarburants à base de palme ont des émissions de gaz à effet de serre de deux à trois fois supérieures à celles des biocarburants fossiles [1].

La porte-parole de Total se veut pourtant rassurante : « Si parmi le bouquet d’approvisionnement utilisé, il y a de l’huile de palme […] et quelles que soient les huiles que l’on utilisera, elles auront une certification ISCC [une certification relative à la production durable de biomasse et à l’empreinte carbone] ou équivalente. On s’engage également à s’approvisionner auprès de producteurs labellisés RSPO [table ronde pour l’huile de palme durable] ».

Ces différents systèmes visant à certifier le caractère « durable » de l’huile de palme ou du biocarburant qui en résulte sont cependant pointés du doigt par de nombreux acteurs. La Cour des comptes européenne avançait ainsi dans un rapport de mai 2016 que « le système de certification de la durabilité des biocarburants de l’UE n’est pas totalement fiable ».

Le label RSPO, qui rassemble des acteurs impliqués dans la filière de l’huile de palme, a ainsi été critiqué plusieurs fois pour son laxisme. Amnesty International a notamment médiatisé le cas du géant de l’huile de palme Wilmar. Labellisé RSPO, cette entreprise, qui gère 40% du marché de l’huile de palme mondial, a été impliquée dans des incendies de forêt volontaires et des atteintes aux droits de l’homme comme des accaparements de terres, du travail des enfants, des conditions de travail dangereuses ou une discrimination systématique envers les femmes sur les plantations.

Le plan Climat de Hulot vise notamment à « mettre fin à l’importation de produits contribuant à la déforestation » 

Le choix de Total pour la reconversion du site s’inscrit dans un contexte d’augmentation massive de l’huile de palme dans les biocarburants en Europe ces dernières années, + 600 % entre 2010 et 2014. L’Europe est ainsi devenue le deuxième plus gros importateur d’huile de palme au monde et 45 % sont utilisés pour produire des biocarburants. Pour autant, et malgré le faible coût de production de l’huile de palme, le contexte européen ne semble pas favorable à Total et pourrait bien compromettre la pérennité du site à moyen terme.

Comme nous l’a expliqué l’eurodéputé écologiste Florent Marcellesi, le 23 octobre 2017, la commission Environnement du Parlement européen a envoyé un signal fort en proposant de limiter la part des biocarburants dans les transports, de 7 % aujourd’hui, à 3,8 % en 2030. Elle invitait également à éliminer l’huile de palme des biocarburants à partir de 2021. Reste à voir si le ministre de l’Écologie, Nicolas Hulot, dont le plan Climat vise notamment à « mettre fin à l’importation de produits contribuant à la déforestation », défendra cette position au niveau européen.

Les distributeurs de carburant, comme Carrefour, ont aussi une responsabilité.

D’après les Amis de la Terre, les lignes bougent aussi du côté des distributeurs de carburants des grandes enseignes, qui représentent 60 % des ventes en France. Système U et Leclerc se sont ainsi déjà engagés à exiger de leurs fournisseurs qu’il n’y ait pas d’huile de palme dans leur carburant. Carrefour a également déclaré qu’il « évaluait la situation », tandis que d’autres distributeurs pourraient suivre.

Du côté de Total et malgré les déclarations indiquant le contraire, la décision semble tranchée. Comme nous l’a révélé un membre de la CGT du site de la Mède : « Total nous a dit une chose simple et c’est ce qu’ils ont dit au ministre a priori, si jamais il n’y a pas d’huile de palme à la Mède, ils fermeront le site. Le site ne fonctionnera pas s’il n’y en a pas au moins 60 %. »

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