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Partie tendue entre les avocats d’Edinson Cavani et de Mediapart

Le footballeur uruguayen poursuivait le site d’information en ligne en diffamation après la publication d’un article décrivant des pratiques d’optimisation fiscale qu’il nie.

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Publié le 08 novembre 2017 à 11h51, modifié le 08 novembre 2017 à 11h51

Temps de Lecture 5 min.

L’attaquant du Paris-Saint-Germain, Edinson Cavani, le 4 novembre 2017.

Moins de six mois après leur publication, les « Malta Files » ont donné lieu à un premier procès en France. Cette vaste enquête, publiée en mai par treize médias européens – dont Mediapart en France – dans le cadre de l’European Investigative Collaborations (EIC), révélait de nombreuses pratiques d’optimisation et d’évasion fiscales, de blanchiment et de corruption sur l’île de Malte.

Mais, mardi 7 novembre, dans l’une des salles du tribunal de grande instance de Nanterre, aucun riche évadé fiscal ne figurait parmi les prévenus. La quatorzième chambre correctionnelle jugeait un journaliste du site d’information en ligne Mediapart et son directeur, Edwy Plenel, pour diffamation, à la suite d’une plainte de l’attaquant uruguayen du Paris-Saint-Germain Edinson Cavani.

Pour comprendre l’affaire, il faut revenir au 22 mai. Ce jour-là, Mediapart publie un article intitulé « PSG : les millions maltais de la star Edinson Cavani ». L’auteur du texte, Yann Philippin, explique que l’actuel meilleur buteur de la Ligue 1 a créé, en 2014, deux sociétés maltaises, Edicavaniofficial et Rocha Holdings, afin de percevoir ses revenus de sponsoring. Et ceux-ci sont importants, avec des sommes à six chiffres ; la période correspond au changement d’équipementier du footballeur, qui quitte Adidas pour Nike, en novembre 2014.

Dès 2015, la structure Edicavaniofficial perçoit ainsi 1,59 million d’euros. M. Philippin, qui a l’habitude de travailler sur les questions de fiscalité et a participé aux révélations des « Football Leaks », quelques mois plus tôt, décrit « un mécanisme d’optimisation fiscale ». Il explique dans le détail comment le rabais fiscal en vigueur dans l’île a permis aux sociétés maltaises d’Edinson Cavani de ne payer que 48 805 euros d’impôt sur les sociétés, « au lieu de 530 847 euros si elles étaient basées dans l’Hexagone ». « Soit 482 442 euros d’économies pour la vedette du PSG, poursuit le journaliste, et autant d’argent perdu pour l’Etat français rien qu’en 2015. »

L’article de Mediapart mentionne la défense d’Edinson Cavani qui, dans une courte réponse envoyée depuis une adresse e-mail cryptée, affirme que « ces sociétés sont déclarées et imposées en France » et qu’il est « en parfaite conformité avec [ses] obligations fiscales ». Sans pour autant répondre aux questions du journaliste l’interrogeant sur le but d’un tel montage financier. A peine deux jours après la publication de l’article, le footballeur poursuivait Mediapart pour diffamation par voie de citation directe, visant dix paragraphes de l’article.

« Le montage est constitué »

Car il est avéré qu’Edinson Cavani a bel et bien payé ses impôts concernant les sommes perçues dans le cadre de ses droits à l’image. Plutôt deux fois qu’une, d’ailleurs. D’abord à Malte, puis en France. L’Etat français n’a donc pas perdu d’argent dans l’affaire. Pour le prouver, ses avocats ont présenté l’avis d’imposition de 2015 du joueur et sa déclaration d’impôts de la même année. Cette gestion financière a tout de même de quoi surprendre : s’il avait simplement encaissé ces sommes en France, sans créer de sociétés à Malte, l’Uruguayen aurait payé moins d’impôts.

Arguant de ces sommes déclarées et payées au fisc français, Me Hervé Lehman, l’avocat du footballeur, s’est indigné de l’article de Mediapart, qui représente, selon lui, « un préjudice considérable » et une « diffamation mondiale pour M. Cavani, qui est un joueur mondial ». En l’absence du footballeur à l’audience, il a dénoncé un « raccourci insensé », des « sophismes » et « une insinuation permanente » de fraude fiscale, bien que le mot ne soit pas présent une seule fois dans l’article.

L’avocat n’a pas nié l’existence des sociétés maltaises, établie. Mais « ce n’est pas parce que je vais au bois de Boulogne que j’y vais pour voir des prostituées », a-t-il argumenté. Alors que les contrats d’image des plus riches footballeurs du monde sont régulièrement l’objet de dissimulation fiscale, Edinson Cavani ne les a pas créées dans ce but, a assuré Me Lehman, sans développer les raisons de la création de ces structures. Il s’en est tenu au fait que le footballeur avait payé les impôts qu’il devait en France.

« Est-ce qu’on connaît beaucoup de sportifs qui cherchent l’optimisation fiscale et paient l’impôt deux fois ? », a fait mine de s’interroger Me Emmanuel Tordjman. L’avocat de Mediapart a répété devant les juges que « la tentative d’optimisation fiscale [était] réelle : le montage est constitué ». Sa thèse : l’opération maltaise avait pour but de minimiser les impôts payés par l’attaquant, mais l’article 155-A du code général des impôts a finalement obligé Edinson Cavani à déclarer ses revenus en France, pour ne pas se mettre dans l’illégalité vis-à-vis du fisc français. Or il était impossible pour le journaliste de savoir si M. Cavani payait réellement ses impôts en France en raison du « secret fiscal ». Lorsque le joueur a été sollicité par Mediapart, sa première réponse apparaissait trop succincte pour lever les doutes. Les avocats de M. Cavani estiment, au contraire, qu’elle était très claire.

« Un étranger qui circule dans le monde »

Pourquoi avoir créé ces deux sociétés à Malte, un paradis fiscal notoire ? Dans sa plaidoirie, Me Lehman, a esquissé des premiers éléments pour comprendre les intentions de son client, qu’il décrit comme « un homme simple, discret et honnête ». « C’est un étranger qui circule dans le monde, a-t-il expliqué. Il n’y a rien d’extraordinaire à ce qu’il crée une société à Malte. (…) Demain, il jouera peut-être dans un pays où il n’y aura pas l’article 155-A du code général des impôts. »

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Me Tordjman, lui, a déploré un « détournement de la justice ». « Cela n’est-il pas légitime de savoir que M. Cavani a ouvert deux sociétés à Malte ? Evidemment que ça l’est. (…) C’est de l’optimisation fiscale et c’est cela que l’on veut faire taire. »

Mediapart aurait-il dû attendre quelques jours avant de publier l’article, si la première réponse de Cavani était trop succincte ? Le site d’information a-t-il fait preuve d’un manque de prudence dans l’article ? Comment travailler sur les questions d’optimisation lorsqu’on est confronté au « secret fiscal » ? Le procureur, Lionel Bounan, n’a pas souhaité se prononcer sur la peine, ni même sur l’existence ou non de la diffamation dans le cas précis de cet article. Il a tout de même estimé que les conditions de « bonne foi » étaient réunies, notamment le sérieux de l’enquête, et qu’« il fa[llai]t préserver la liberté d’écriture des journalistes ».

Les quatre heures d’audience, souvent tendues entre les parties, auront mis en lumière la difficulté pour les médias d’enquêter sur les questions fiscales. Elles ont aussi éclairé crûment la méconnaissance des magistrats des réalités du travail journalistique. La présidente, Florence Lasserre-Jeannin, s’est notamment permis cette remarque : « J’ai presque envie de dire, Monsieur, vous êtes pire qu’un enquêteur de police… »

Elle évoquait l’e-mail de questions factuelles envoyé par M. Philippin à destination du footballeur, quatre jours avant la publication de l’article. Les interrogations qui y figuraient, concernant les montages financiers, apparaissent pourtant classiques pour ce type de sujet. L’un des juges assesseurs alla même jusqu’à suggérer au journaliste, médusé : « Vous auriez pu faire un article général sur l’optimisation fiscale, et vous auriez pu dire “tel footballeur”, sans le citer, non ? »

A la suite de la publication des Malta files, l’Union européenne a ouvert une enquête sur la politique fiscale de l’île de Malte. La Valette se retrouve cette semaine encore sur le devant de la scène dans le cadre des « Paradise Papers ». Le jugement concernant Mediapart est attendu le 9 janvier 2018.

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