La véritable histoire de Robert Mazur, l’homme qui a infiltré le cartel de Pablo Escobar

Pendant près de 18 mois, Robert Mazur – alias Bob Musella – a pénétré, sous couverture, dans l'une des plus grosses organisations de trafic de drogue du monde. Portrait.
robert mazur the infiltrator

1988 Robert Musella s’apprête à se faire passer la bague au doigt. La veille de la cérémonie, il organise son enterrement de vie de garçon. La grande fête a lieu dans un country club, en Floride. Sa famille et ses amis, proches et moins proches, sont présents pour célébrer sa dernière nuit de célibat. Des limousines viennent chercher par rafales les invités. Mais la soirée prend une tout autre tournure quand pas moins de 85 hommes se font passer les menottes. Robert Musella n’existe pas. Le mariage a été monté de toutes pièces. En réalité, celui que tout le monde surnomme « Bob » est un agent des douanes américaines, sous couverture depuis 18 mois. Le travail de Robert Mazur (de son vrai nom) : infiltrer le cartel de Medellín, mené par une main de maître par Pablo Escobar, et le démanteler. Mission (presque) réussie.

L’infiltration

Robert Mazur grandit dans un quartier défavorisé de Staten Island, à New York. Son entourage trempe dans le trafic de drogue. Lui, encouragé par sa famille d’origine italienne, entre à l’université. Alors qu’il n’est encore qu’étudiant, il trouve un petit boulot à l’IRS (service en charge des impôts aux États-Unis). En dehors de ses heures de cours, il s’occupe des photocopies, classe des dossiers, regarde ses supérieurs partir sur le terrain. Rien de vraiment passionnant. Assez, pourtant, pour qu’il ait envie d’y rester. Une fois son diplôme en poche, il se fait embaucher et monte en grade. Après avoir travaillé sur quelques affaires, il est transféré aux Customs Services et devient agent de douane en Floride. Cet état est alors, dans les années 80, le théâtre d’une véritable guerre des gangs – trafic de drogue et meurtres à la pelle. Lorsque ses supérieurs évoquent une mission d’ampleur pour faire tomber l’un des plus gros cartel du monde, il se porte volontaire. « Les gens ne cessaient de me demander pourquoi je voulais faire une chose pareille après 14 ans de métier. 99% des agents infiltrés de la lutte anti-drogue du monde entier vous répondront la même chose : je voulais faire la différence », confie-t-il, en mai 2016, au site internet Ulyces.

Une infiltration d’une telle envergure implique la création d’une nouvelle identité : ce sera Robert Musella, nom piqué sur la tombe d’un cimetière. Pour que la couverture soit crédible, tout est pensé dans les moindres détails. Des banquiers, amis d’enfances, l’aident à créer un passé bancaire. Et parce qu’on est jamais mieux servi que par soi-même, il s’occupe de tout, sans l’aide du gouvernement. Il obtient l’autorisation nécessaire pour blanchir de l’argent – accordée dans ce genre de cas. Son personnage, bien que montés de toutes pièces, lui ressemble. Pour Mazur, là est la clé d’une couverture réussie : créer une sorte d’alter ego.

Tout commence en décembre 1986. Musella, introduit par un informateur, rencontre Roberto – officiellement courtier, officieusement blanchisseur d’argent sale. Les deux hommes feront un court séjour à New York, pour prendre la température. Une fois en confiance, Roberto fait rentrer Musella dans le cartel. Le travail de ce dernier, enfin membre de l’équipe, va enfin pouvoir commencer.

Pacha le jour, agent la nuit

Pour aller plus loin dans sa couverture, il se munit d’un garde du corps, qu’il présente comme son cousin. Ce dernier est en réalité un informateur, proche des plus grandes familles italo-américaines de New York, aux manettes du crime organisé. Le mensonge est crédible : l’homme est imposant, connaît bien le milieu, et n’a pas besoin de mots pour se faire comprendre. Dans la ville qui ne dort jamais, il séjourne dans l’un des hôtels relié aux tours jumelles, se déplace en limousine et en hélicoptère. Avec les autres membres du cartel, il s’introduit à Wall Street. Les attentats du 11 septembre 2001 n’ont pas encore eu lieu, tout est beaucoup plus facile. Même le blanchissement d’argent. Ensemble, ils sortent dans les clubs privés les plus en vogue du monde.

Pour se rapprocher du reste du groupe, ils rejoignent Miami. Là-bas, il fait connaissance avec l'un des plus gros trafiquants de drogue de la ville. Ce dernier, organisateur de combats de boxe va alors lui demander de faire l’intermédiaire. Son rôle : récupérer l’argent sale, le placer, puis lui rendre sous forme de chèques. Ce genre de mission (blanchir de l'argent, donc) va alors devenir son quotidien. Pour ne pas oublier qui il est, il reste en contact avec sa famille et se sert de cabines téléphoniques perdues dans des quartiers malfamés pour appeler sa femme.

« Durant ma mission, j’ai traité avec les courtiers de la BCCI (Bank of Credit and Commerce International) du Panama, qui collaboraient avec Pablo Escobar. Je suis même passé à leur antenne parisienne où transitait l’argent sale des dictateurs africains. Des sommes colossales, provenant du crime ou qui le financent, circulent secrètement dans le monde. Je vous parle de trillions de dollars. Qui ne concernent pas seulement la cocaïne », confiait Mazur au Journal du Dimanche, en mai 2016. Pendant 18 mois, il va collecter, noter, écouter, enquêter. Tout le temps. Sous ses airs détendus, l’homme a un cerveau qui fonctionne à 100 à l’heure. Il donne corps et âme, ne fait plus qu’un avec son personnage. Par mesure de protection, il réside dans une villa équipée d’alarmes dernier cris. Ses rapports, qu’il rédige chaque nuit, sont planqués dans un mur, impossible à trouver.

Un mois avant la fin de l’opération, l’un de ses précieux contacts, Roberto Alcaino, est arrêté. Cela ne fait pas partie du plan. Ce dernier, accordant une confiance absolue à Mazur, lui demande alors de reprendre ses affaires, en attendant qu’il sorte (peut-être) de prison. L’idéal, donc, pour se rapprocher un maximum du front.

Le coup de bluff

Voilà 18 mois que Mazur est en mission. Il est temps de passer à l’action. Son (faux) mariage est organisé. Tout a été pensé dans les moindres détails, surtout la liste des invités – l’idée étant de convier l’ensemble des individus que le gouvernement veut faire tomber. Deux semaines avant l’assaut, ses supérieurs révèlent le plan à la NBC qui, avide de scandale, prévoit de filmer l’arrestation. Dangereux. Femmes et enfants seront au premier rang, le reste sera probablement équipé d’armes à feu : le carnage est annoncé. Changement de plan. Pour faire le moins de dégât possible, la descente aura lieu lors de l’enterrement de vie de garçon de Musella.

Sa couverture éclate, 85 hommes sont coffrés. Les membres du cartel, derrières les barreaux, découvrent qu’il n’est qu’un infiltré. S’il savait que son travail allait inévitablement mener à des arrestations, il n’a pas envie de sauter de joie lorsque le moment fatidique arrive. « Je connaissais ces gens à plusieurs niveaux : dealers, amis, pères de famille, amants de nombreuses maîtresses ! Je n’ai jamais perdu de vue mes activités. Pour qu’ils soient parfaitement à l’aise en ma compagnie au point de m’accorder leur confiance et me livrer leurs secrets les plus terribles, je leur ai ouvert mon cœur à mon tour. […] Je reste un être humain avec des émotions et une conscience. L’impact a été dévastateur sur leurs proches. Cette cicatrice fait partie de mon métier », confiait-il au JDD, en mai 2016.

Comme pour guérir, et panser certaines de ses blessures, Mazur décide d’écrire son autobiographie. The Infiltrator: My Secret Life Inside the Dirty Banks Behind Pablo Escobar’s Medellín Cartel est publié en 2009. Le livre sera adapté par Brad Furman quelques années plus tard au cinéma, avec Bryan Cranston dans le rôle clé. Aujourd'hui, Mazur vit presque caché, ne se rend à aucune interview sans son garde du corps, et n'accepte pas de parler sans que l'on floute son visage et que l'on modifie sa voix. L’histoire, vraie, d’un héros ordinaire qui aura fait l’extraordinaire, et qui mène aujourd'hui une vie à la limité de la normalité.