La chasse aux pinsons à Malte dans le viseur de la Commission

Des oiseaux vivants sont utilisés pour attirer leurs congénères dans les filets. [BirdLife Malta]

En accédant à l’UE, Malte avait promis d’interdire la capture des oiseaux sauvages. Pourtant, et malgré un dossier en cours devant la justice européenne, la saison du piégeage a ouvert le mois dernier.

À Malte, la tradition de capturer des oiseaux chanteurs sauvages pour les garder en captivité est toujours très présente. Les chasseurs se servent d’appeaux vivants pour attirer dans leurs filets des pinsons migratoires, dont le chant est très apprécié.

Cette pratique controversée a néanmoins attiré sur l’île les foudres des ONG et des instances judiciaires européennes. Et de fait : non seulement les pinsons, comme tous les oiseaux sauvages, sont protégés dans l’UE, mais en outre l’utilisation de filets de piégeage n’est pas autorisée.

Malte a interdit cette pratique en 2009, afin de se conformer à la directive « Oiseaux » et suite à une promesse formulée avant son adhésion, en 2004. Pourtant, le pays a fait marche arrière en 2013. Soucieux de s’attirer les bonnes grâces des chasseurs, le gouvernement travailliste tout juste élu a rouvert la saison du piégeage, se justifiant de l’ampleur très minime de cette activité.

« La directive ‘Oiseaux’ prévoit des exceptions pour les activités de chasse traditionnelles et à petite échelle », assure Ludwig Willnegger, de la Fédération européenne des associations des de chasse et de conservation (FACE).

La Commission européenne ne partage néanmoins pas cette opinion. Suite à une procédure en manquement lancée par l’exécutif en 2014, l’avocat général de la Cour de justice européenne a publié une opinion en juillet dernier, estimant qu’il n’existait aucune raison valide de déroger à la directive et que la pratique maltaise devrait cesser. Le jugement final devrait aller dans le même sens et être délivré dans les mois à venir. D’ici là, la Commission ne commente pas le dossier.

« L’UE est unie dans sa promotion de la diversité culturelle », insiste néanmoins Ludwig Willnegger. « Ce que nous avons vu jusqu’ici sont des interprétations juridiques extrêmes démontrant une incompréhension des objectifs de la directive, qui se réfère clairement à ces aspects ‘culturels’ et ‘écologiques’. »

Le texte législatif permet en effet, « dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités ».

Pour Nicolas Barbara, de l’organisation BirdLife Malte, les dérogations ne devraient être appliquées que dans des cas exceptionnels, si la présence d’oiseaux dans un aéroport pose des problèmes de sécurité, par exemple. « La seule valeur de cette pratique est le plaisir, elle est donc inacceptable », souligne-t-il.

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Impact écologique

Lors de la réouverture de la saison, le gouvernement maltais a informé la Commission européenne de la délivrance de 4 000 permis autorisant chacun la capture d’un maximum de dix oiseaux.

Une approche « bien réglementée, sélective et scientifique, qui permet à cette pratique régionale de petite échelle », qui n’a « aucun impact négatif » sur des populations de pinsons « très nombreuses et étendues », selon David Scallan, de FACE.

BirdLife Malte fait cependant remarquer qu’il n’existe aucun moyen de surveiller cette activité. Les îles maltaises comptent actuellement environ 8 000 sites de piégeage, mais l’idée que chaque chasseur ne capturera que dix oiseaux est absurde, estime Nicolas Barbara.

« Les pinsons migrent en groupes, il est donc courant que des dizaines d’entre elles s’empêtrent en même temps dans un seul filet. L’impact de cette pratique dépasse en outre de loin les quelques espèces visées », poursuit le représentant de l’organisation.

Nombre des sites comptabilisés se trouvent de plus dans des zones protégées par le programme Natura 2000. « Les chasseurs coupent la végétation pour poser leurs filets dans des zones protégées, causant un dommage permanent aux habitats d’autres espèces », poursuit-il.

En outre, la demande en appeaux vivants utilisés pour attirer les oiseaux a fait fleurir un commerce illégal d’oiseaux chantants, dont les réseaux s’étendent jusqu’en Sicile, conclut-il.

Alternatives

Pourtant, comme le souligne l’opinion de l’avocat général, il existe une alternative pour se procurer des pinsons domestiques : l’élevage en captivité. Les pinsons sauvages meurent souvent au bout de quelques semaines de captivité, alors qu’il existe une population d’oiseaux habitués à vivre en cage.

Les tentatives d’encouragement de cet élevage sont toutefois rejetées tout net par les défenseurs du piégeage maltais, qui assurent que « cette pratique fait partie du style de vie de chaque personne » et ne peut être remplacée. Ils affirment également que les élevages ne permettent pas une diversité génétique suffisante à garantir la santé des oiseaux.

« La capture des pinsons n’est pas un hobby ou un sport pour les chasseurs maltais », Joseph Perici Calascione, président de la Fédération maltaise pour la chasse et la conservation (FKNK). « Supprimer cette pratique revient à montrer le Louvre sans la Mona Lisa, ou interdire à une chocolaterie de faire du chocolat. »

La saison sera officiellement ouverte jusqu’au 31 décembre. La justice européenne devrait quant à elle trancher début 2018.

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