Ecriture inclusive : « La langue intégrait davantage les femmes il y a 400 ans »

Règle « de proximité », point médian, noms de métiers féminisés… Les débats actuels autour des écritures dites « inclusives » sont nombreux. Selon leurs défenseurs, celles-ci correspondraient pourtant à un retour à la normale, après une vague de « masculinisation » du français.

 Le logiciel Word propose depuis peu d’éviter les expressions jugées « dénigrantes pour les femmes » (capture d’écran).
Le logiciel Word propose depuis peu d’éviter les expressions jugées « dénigrantes pour les femmes » (capture d’écran). Twitter/ClementBenech

    Un écrivain et une écrivaine, cela fait-il des… écrivain·e·s? L'écriture dite « inclusive », destinée à mettre sur un pied d'égalité les femmes et les hommes, a été l'objet de débats successifs et passionnés ces dernières semaines. Dernier en date : ce jeudi, la ministre Marlène Schiappa jugeait « problématique » la volonté de changer les règles d'accord des adjectifs au profit de « l'accord de proximité », dont 314 professeurs de français réclament le retour dans une pétition publiée sur Slate.fr. Avec pour objectif que le masculin ne « l'emporte » plus sur le féminin.

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    Avant cela, le fameux point médian, qui permet d'inclure le féminin dans le pluriel (« enseignant·e·s »), a suscité la crispation lorsqu'il a été intégré dans un livre scolaire à destination des CE2. Sans parler des autres formulations dites « inclusives » comme le fait d'écrire les noms au féminin et au masculin (« les enseignantes et les enseignants ») ou encore la féminisation des noms de métiers. Fin septembre, l'écrivain Raphaël Enthoven comparait même cette « agression de la syntaxe par l'égalitarisme » à un « lavage de cerveau » dans une cinglante chronique sur Europe 1.

    Pour ses défenseurs, linguistes et historiens, la volonté de réintégrer le féminin dans les usages correspondrait pourtant à l'usage de toujours de la langue française. Selon certains, les femmes auraient même été sciemment exclues du langage par une poignée d'intellectuels « masculinistes », soucieux de conserver leur chasse gardée sur les fonctions les plus éminentes au sein de la société !

    La période charnière se situerait aux confins du XVIIe et du XVIIIe siècles. Parmi les succès de librairie du siècle passé, on trouve en bonne place les œuvres de la comtesse de La Fayette, de Madeleine de Scudéry, de Madame de Villedieu ou encore de la baronne d'Aulnoy. L'Eglise catholique, qui redoute une perte de vitesse face au protestantisme, mise par ailleurs sur l'instruction, notamment des jeunes filles, pour asseoir son autorité.

    « La supériorité du mâle sur la femelle »

    C'est à ce moment-là que le français connaît ce que l'historien du langage Bernard Cerquiglini qualifie de « vague de masculinisation ». Fini, l'accord de proximité, qui accorde l'adjectif au nom le plus proche : désormais, le masculin, « genre le plus noble » selon le grammairien du XVIIe siècle Dominique Bouhours, l'emporte. « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle », justifiera même son confrère Nicolas Beauzée au siècle suivant.

    Tout comprendre sur l'écriture inclusive

    « On a très longtemps ignoré ou minoré l'existence d'un fort courant masculiniste au sein du mouvement puriste », relève Eliane Viennot, historienne des relations de pouvoir entre les sexes. Les noms des métiers, jusque-là systématiquement déclinés au féminin, connaissent le même sort. Adieu les « autrices », « peintresses » et autres « philosophesses », des formulations qui nous semblent aujourd'hui surannées mais qui, au Moyen Âge, étaient utilisées sans que personne n'y trouve rien à redire. Au crépuscule de l'époque moderne, bon nombre de noms féminins sont ainsi tombés en désuétude, notamment avec l'essor de la haute fonction publique, dont les femmes sont tenues à l'écart.

    « Madame l'ambassadeur »

    « On invente alors le féminin que j'appelle « conjugal », souligne Bernard Cerquiglini. La Présidente ne renvoie pas à une femme présidente… mais à la femme d'un président ! » A la fin du XIXe siècle, lorsque les femmes accèdent - enfin - à ces postes à responsabilités, elles se retrouvent donc « bloquées », souligne l'historien. A défaut du féminin dit « conjugal », elles « bricolent » avec le masculin : « C'est le fameux Madame l'ambassadeur, qui prévaut encore dans certains cercles aujourd'hui », s'amuse-t-il, relevant que « le français incluait davantage les femmes il y a 400 ans » qu'aujourd'hui.

    Ces usages auraient d'ailleurs été longtemps objets de débats entre grammairiens. Soutenus par les fameux « puristes » mais « rejetés par une bonne partie de la population », ils ne se seraient imposés qu'au cours du XIXe siècle, grâce l'instauration de l'école élémentaire obligatoire, selon Eliane Viennot.

    « Relégation du féminin sur le masculin »

    Il faudra attendre les années 1970 pour qu'intervienne ce que Raphaël Haddad, fondateur de l'agence Mots-clés et auteur d'un manuel d'écriture inclusive, qualifie de « prise de conscience ». « Les femmes vont se rendre compte que la langue recèle d'éléments de relégation du féminin sur le masculin », argue-t-il.

    Au Québec, en Belgique, en Suisse puis en France surgissent alors de nouvelles propositions pour « re-féminiser » le langage. En 1984, la ministre Yvette Roudy charge par exemple la linguiste Anne-Marie Houbedine de superviser une commission de féminisation des noms de métiers. Le fameux point médian ne serait, à cette aune, que le dernier moyen trouvé par les cercles intellectuels ou militants pour remettre l'égalité des sexes au cœur du langage. Sa place historique.