Accueil

Société Terrorisme
Génération 13 novembre : être ado au temps des attentats
Entre fatalisme, résilience et résistance, le cœur de nos ados balance.
DR / Marianne

Article abonné

Génération 13 novembre : être ado au temps des attentats

Témoignages

Par

Publié le

Je m'abonne pour 1€

11, 15 et 19 mars 2012, 7, 8 et 9 janvier et 13 novembre 2015, 14 et 26 juillet 2016... des dates qui claquent et des chocs qu'on a du mal à encaisser. Baptiste, Farah, David, Sacha avaient entre 11 et 17 ans au moment des tueries. Chacun a développé son propre mécanisme de défense et sa philosophie de vie.

Depuis six mois, Baptiste et ses parents sont installés à Marseille. Fini la Seine-Saint-Denis, direction le Sud et ses calanques. La raison principale de ce déménagement : ne plus avoir peur, ne plus être témoin de l'abandon de certains quartiers de la République par les pouvoirs publics. Baptiste a tout juste 12 ans quand Charlie perd les siens et que la France découvre qu'on peut tuer sauvagement au nom d'une idéologie. Dans un quartier plutôt résidentiel de Noisy-le-Sec, Baptiste a sa bande de copains, des garçons pétris de différences qui vivent en bonne intelligence. Jusqu'à ce 7 janvier 2015 où tout a basculé... « De voir des tueurs qui pouvaient débarquer dans un bureau et tuer tout le monde, ça a été un gros choc pour moi, raconte le jeune homme manifestement encore marqué. Ça voulait dire qu'on pouvait faire la même chose à la maison. A partir de ce moment-là, et malgré ce qu'on me disait, je me suis mis à avoir peur un peu partout. Si un homme portait des vêtements trop grands ou mettait les mains dans ses poches, je montais vite en panique. »

Certes, les troubles anxieux de Baptiste ne datent pas des attentats et sa mère, Ysis, est consciente que ses peurs enfouies peuvent remonter. Ysis a d'ailleurs tout de suite vu que quelque chose clochait : « On lui a dit qu'il ne fallait pas avoir peur, parce que c'était justement ce que voulaient les terroristes, nous faire peur. On lui a dit aussi que son inquiétude était logique et qu'elle allait passer progressivement... Mais dans le même temps il nous a vus très choqués, avoue-t-elle. J'étais sidérée, puis effondrée, j'ai pleuré plusieurs jours de manière irrépressible... Ce que je ne sais pas, c'est ce qu'il a pu ressentir à ce moment-là, de me voir si bouleversée. » Très vite, le fossé se creuse entre le discours qui se veut rassurant au sein du foyer et les changements flagrants dont il est témoin au-dehors. « C'était un moment très spécial où certains gamins qui s'estimaient montrés du doigt voulaient affirmer leur appartenance à une communauté. Les filles sortaient gantées et en burqa. Pour quelques-uns, il y a eu le refus de la minute de silence, en mémoire des victimes, déplore-t-elle. Dans l'entourage de mon fils, certains copains ne se gênaient pas pour dire que "c'[était] bien fait pour eux, car ils l' [avaient] bien cherché." » Dans l'esprit de Baptiste, c'est le chaos, le double choc. A la violence du contexte s'est ajouté un sentiment de méfiance, voire de rejet, l'impression de ne plus vivre sur la même planète... L'idée de déménager est née de ce constat. « La réponse émotionnelle de l'entourage est au cœur de la résilience. Ce que l'on appelle "le contenant" est essentiel dans le dispositif que nous mettons en place autour d'un adolescent fragilisé et de surcroît en crise », affirme le Dr Marion Robin dans son ouvrage Ado désemparé cherche société vivante (Odile Jacob).

"Si un homme portait des vêtements trop grands ou mettait les mains dans ses poches, je montais vite en panique."

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne