Cigarettes : ces pionniers alertaient déjà sur les risques du tabac au XIXe siècle

Le prix du paquet augmente de 30 centimes ce lundi 13 novembre. Si la lutte contre la cigarette fait rage depuis quarante ans, certains pionniers avaient commencé, dès le XIXe siècle, à alerter de sa dangerosité.

    Sous le Second Empire, la Ville Lumière est une fête et le cigare le nouveau roi de la bourgeoisie. « C'est la seule chose qui ne s'éteigne jamais à Paris », constate le romancier Amédée Achard. Pipe, cigare, cigarette. La vogue du tabac chaud -- à mesure que la chique et la prise tombent en disgrâce sociale - conquiert la France. Contamine plutôt, estiment quelques médecins, hygiénistes et moralistes, qui fondent le 11 juillet 1868 l'Association française contre l'abus du tabac devenue un an plus tard SCAT.

    « Le tabac et l'alcool ont pris dans nos moeurs une si grande place qu'ils y exercent en commun de si funestes effets sur la santé publique, sur l'ordre moral et social », proclame, en 1872, l'association, qui compte alors 607 membres. Ce fléau, assure son président, Emile Decroix, vétérinaire dans l'armée, est en partie responsable de la Commune à Paris un an plus tôt : « Sans la double ivresse alcoolique et nicotinique [...], aucun peuple au monde n'aurait pu commettre les cyniques attentats dont nous avons été témoins. »

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    Le docteur Depierris, lui, a bien observé l'exécution, le 28 novembre 1871 à Satory (Yvelines), de Théophile Ferré, un des leaders de l'insurrection parisienne : « Un parfait modèle de nicotiné précoce, juge-t-il. Sa taille est rabougrie, son teint terreux, son oeil hagard. Il marche à la mort comme un halluciné, tirant avidement les longues bouffées narcotiques de son cigare, qui ne tombe de sa bouche que quand les balles ont frappé. »

    Pour ces tabacophobes exaltés, c'est la patrie que « cet opium occidental » met en danger, comme il a sapé les Espagnols, condamnés au déclin pour avoir trop tiré sur les « belles Andalouses ». Tour à tour, ils prennent la plume pour dénoncer ces soldats aux « poitrines essoufflées » et aux « jambes trop amaigries » pour marcher vers l'ennemi prussien. La France est même menacée d'impuissance et de dépopulation.

    Les ramasseurs de mégots accusés de propager la tuberculose

    Dès 1865, Paul Jolly, éminent membre de l'Académie de médecine, avait prévenu : la nicotine, « c'est le zoosperme engourdi, c'est le désir éteint, c'est l'abaissement de l'homme vers l'état d'eunuque ». Et que dire alors de ces ramasseurs de mégots, accusés de propager la tuberculose en revendant leurs cigarettes reconstituées avec du tabac souillé ? En 1890, un greffier de justice livre les résultats de son enquête dans les prisons : « Voleurs et criminels sont souvent des fumeurs », établit M. Marambat.

    Aussi déterminés qu'ils soient, leur fougue résiste mal à l'air du temps, où le progrès - les usines, les bateaux à vapeur, et bientôt les automobiles - crache forcément un peu de fumée. Mais la science est pour eux : le chimiste Vauquelin (dès 1809) puis le physiologiste Claude Bernard ont respectivement établi le principe puis la toxicité de la nicotine. Sous les coups de boutoir de la SCAT (qui n'obtient toutefois pas la reconnaissance d'utilité publique en 1881), les autorités dressent quelques timides interdits : la nuit dans les chambrées militaires, dans les bureaux de poste ou au bois de Boulogne, puisque le tabac serait « arboricide ».

    En 1878, une affiche contre les méfaits du tabac chez les enfants est placardée dans les écoles du département de la Seine. Non content d'« empester l'air » ou de produire des « dépravés » et des « dégénérés », la cigarette consumerait le talent français, martèlent les pourfendeurs. « Hugo, Balzac, Michelet et Dumas père, les quatre génies dominateurs des lettres modernes » ne fumaient pas, assure Maurice de Fleury en 1890. Et si l'immense Flaubert tirait comme un damné sur sa pipe, il n'aura pas été un auteur très prolifique, poursuit le médecin qui pointe aussi le « désespoir effrayant » des vers de Baudelaire. En ces temps où ils criaient un peu dans le désert, les antitabac mettaient déjà le paquet.

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