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Liban : Saad Hariri ouvre la voie à une possible désescalade

Après une semaine de silence, le premier ministre démissionnaire du Liban a repris la parole depuis l’Arabie saoudite et promis de « rentrer au Liban bientôt ».

Par  (Beyrouth, correspondant) (avec AFP)

Publié le 12 novembre 2017 à 20h42, modifié le 14 novembre 2017 à 10h38

Temps de Lecture 6 min.

Diffusion de l’interview de Saad Hariri, à Beyrouth, le 12 novembre.

Saad Hariri a rompu le silence écrasant dans lequel il s’était enfermé après sa démission surprise, annoncée le 4 novembre depuis Riyad. Cette décision, que le premier ministre libanais avait imputée à l’Iran, la bête noire de l’Arabie saoudite, accusée de « vouloir détruire la nation arabe », a fait brutalement monter la tension au Proche-Orient.

Dans une interview diffusée dimanche 12 novembre sur la chaîne libanaise Future TV, qui appartient à son parti politique, M. Hariri, les traits tirés, a réfuté la thèse dominante qui le présente comme l’otage des autorités saoudiennes. Il a affirmé à plusieurs reprises que ses hôtes ne l’ont pas forcé à démissionner, et qu’il rentrera « bientôt » à Beyrouth, répétant que son absence est due aux dangers qui pèsent sur sa vie.

Parallèlement à ces dénégations, qui n’ont pas véritablement convaincu les observateurs, le chef de file de la communauté sunnite libanaise s’est efforcé d’apaiser la situation. Il a usé, à l’encontre de l’Iran et du Hezbollah, le mouvement chiite libanais pro-Téhéran, de formules plus mesurées que dans sa précédente intervention, et a laissé entendre qu’il pourrait revenir sur sa démission. « Sur le fond, c’est une désescalade, réagit Karim Emile Bitar, professeur de relations internationales à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. On a retrouvé le tempérament conciliateur de Saad Hariri. »

« Coïncidence »

L’interview du premier ministre démissionnaire a été diffusée en direct. Cinq autres chaînes libanaises ont refusé de retransmettre l’émission, conformément aux consignes du président Michel Aoun, qui avait estimé que les déclarations de M. Hariri seraient automatiquement sujettes à caution, compte tenu des « conditions mystérieuses entourant sa situation en Arabie saoudite ».

L’entretien, conduit par Paula Yacoubian, une célèbre animatrice de talk-shows, a été réalisé dans la villa que M. Hariri, détenteur de la nationalité saoudienne, possède à Riyad. « Je suis libre ici, si je veux voyager demain, je voyage », a déclaré d’entrée le dirigeant libanais. Le visage pâle, les yeux cernés, s’interrompant souvent pour boire de l’eau, il a assuré qu’il pourrait revenir à Beyrouth « dans deux ou trois jours », pour « entamer les procédures constitutionnelles nécessaires » à sa démission, que le chef de l’Etat a refusé d’accepter en l’état.

« J’ai écrit ma démission de ma main, et j’ai voulu provoquer un choc positif », a ajouté le chef du gouvernement. Il a démenti tout lien entre son retrait du pouvoir et la purge anticorruption, démarrée le même jour à Riyad, sur ordre du prince héritier saoudien, Mohamed Ben Salman alias « MBS ». Un coup de filet sans précédent, qui, dans l’esprit des Libanais et de nombreux observateurs étrangers, a pu servir aux autorités de Riyad pour faire pression sur M. Hariri, propriétaire dans le royaume d’une entreprise de construction, Saudi Oger. « C’est une coïncidence », a-t-il prétendu, louant sa relation avec MBS, qu’il a qualifié de « frère ».

Tout au long de l’interview, le fils de l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri, assassiné en 2005, a semblé épuisé nerveusement, au point d’être au bord des larmes à un moment. Cette fébrilité a nui à ses efforts pour dissiper les soupçons pesant sur son séjour saoudien. « Hariri ressemble à un homme brisé, il n’y a aucune conviction dans ce qu’il dit », a constaté Karl Sharro, un commentateur politique libanais, très actif sur Twitter.

A plusieurs reprises durant l’échange, l’intervieweuse a fait mention d’événements se déroulant simultanément, comme le tremblement de terre aux confins de l’Iran et de l’Irak, de façon à démontrer que l’émission se déroulait bel et bien en direct et n’avait pas fait l’objet d’un montage. Mais beaucoup de téléspectateurs, très défiants, ont pointé du doigt un bref moment, où M. Hariri jette un regard semble-t-il courroucé à un homme apparaissant dans le champ de la caméra, muni d’un bout de papier.

Sur les réseaux sociaux, ces quelques secondes équivoques sont devenues la preuve que le premier ministre libanais recevait des instructions de ses hôtes saoudiens pendant l’interview. Faux, selon Paula Yacoubian, qui a assuré à l’issue de l’entretien que l’homme en question était un membre de l’entourage de M. Hariri.

A rebours de son discours de démission, durant lequel il avait promis de « couper les mains » de l’Iran dans la région, le chef du Courant du futur a fait un geste en direction du Hezbollah. Il a suggéré qu’il pourrait renoncer à quitter le pouvoir si le mouvement chiite s’engageait à respecter le principe de « distanciation », c’est-à-dire de non-ingérence dans les crises régionales, élaboré par son prédécesseur, Najib Mikati, premier ministre au démarrage du soulèvement anti-Assad en Syrie, en 2011.

« MBS a été trop impulsif »

Outre le rôle du Hezbollah dans ce pays, où il combat aux côtés des forces loyalistes, le premier ministre a insisté sur son implication supposée au Yémen, où l’Arabie saoudite combat les houthistes, une rébellion armée pro-iranienne. Ces derniers jours, les autorités saoudiennes ont accusé des membres du Hezbollah d’avoir contribué à l’assemblage du missile balistique tiré par les insurgés, le 4 novembre, sur Riyad. « Je ne suis pas contre le Hezbollah en tant que parti politique, mais je suis contre le fait que le Hezbollah joue un rôle externe et mette le Liban en danger », a martelé Saad Hariri.

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Dans cette inflexion, les observateurs libanais voient le résultat du sursaut pro-Hariri, qui s’est manifesté ces derniers jours à travers le pays. La plupart des partis politiques, choqués par le traitement réservé au premier ministre, ont réclamé son retour immédiat à Beyrouth. Mis à part des faucons du Courant du futur, la communauté sunnite a préféré se solidariser avec son leader plutôt qu’obéir aux injonctions anti-Hezbollah des Saoudiens. « MBS a été trop impulsif, estime Karim-Emile Bitar. Maintenant qu’il a compris que son coup d’éclat a renforcé la popularité d’Hariri, il fait machine arrière. »

L’ouverture consentie par M. Hariri et son tuteur saoudien est probablement aussi le résultat des inquiétudes manifestées ces derniers jours par les capitales occidentales. Outre Emmanuel Macron, qui a fait comprendre au prince héritier saoudien, durant son escale de jeudi soir à Riyad, que la stabilité du Liban était une ligne rouge, la Maison Blanche a qualifié samedi M. Hariri de « partenaire fiable » des Etats-Unis. « Pour qu’il y ait une solution politique au Liban, il faut que (…) la non-ingérence soit un principe de base », a ajouté lundi le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, visant, sans le dire, la couronne saoudienne.

Enfin, l’échec de la tentative de l’Arabie saoudite de remplacer Saad Hariri par son frère aîné, Baha, a pu jouer. Celui-ci, qui a la réputation d’être plus anti-Hezbollah que son cadet, n’a jamais caché son espoir de prendre un jour sa succession. Les figures tutélaires de la famille, comme la veuve de Rafik Hariri, Nazik, et sa sœur, Bahia, ont été contactées par Riyad dans cette perspective. Mais toutes deux ont refusé de se prêter à la manœuvre saoudienne, de même que les cadres du Courant du futur. « Le jeu du royaume n’a pas porté ses fruits, estime Walid Charara, membre du centre de recherche du Hezbollah. MBS doit maintenant trouver une porte de sortie. »

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