La vérité sur les plus beaux baisers du cinéma
Inoubliable incipit, en 1968, qui marque, dix ans après, les retrouvailles sensuelles au bord d'une piscine des anciens fiancés adulés par toute l'Europe. En civil, ils sont tous les deux mariés et parents ; sur le tournage pourtant, leur peau brûle et leurs lèvres se boivent, cinéma torride oblige. Pourtant, malgré les rumeurs, ça n'ira pas plus loin hors caméra et Romy confiera dans une lettre que Delon, malgré quelques plaisanteries déplacées murmurées à l'oreille, « se conduit "très correctement" ». Lassée pourtant des rumeurs du tournage, elle demandera à son mari Harry Meyen et leur fils David de venir la rejoindre. Le carton du film la consacre : si elle a révélé Alain Delon une décennie plus tôt en lui donnant la réplique dans Christine, la sublime Romy Schneider, d'abord imposée par Delon dans La Piscine, retrouve enfin la vitalité de sa carrière en France.
La grande histoire d'amour plutôt impossible entre les époux terribles Rhett Butler et la capricieuse Scarlett O'Hara en pleine guerre Civile a passionné foule de spectateurs, subjugué par leur alchimie épanouie entre deux jeux de chien et chat. Pourtant, leur légendaire couple n'était que pure illusion cinématographique, comme l'expliquera plus tard Vivien Leigh : « Embrasser Clark Gable dans Autant en emporte le vent n'était pas si excitant. Son dentier avait parfois une odeur abominable. » Et une (mauvaise) réputation est née.
Dans son film sourd teinté d'une extrême violence, le réalisateur Nicolas Winding Refn parvient à créer une sublime scène de baiser dans un ascenseur, qui serait trop classique si elle n'était pleine de tension et de dangerosité, avec un malotru armé tout prêt du couple. Ralenti, clair-obscur, retournement de Ryan Gosling pour protéger la vulnérable Carey Mulligan : le seul baiser échangé par ce non-couplé pétri de timidité restera longtemps gravé dans nos rétines. D'ailleurs, pour réussir ce brin de poésie dans ce film noir, Nicolas Winding Refn a avoué avoir demandé conseil à Gaspar Noé, grand habitué des grands écarts émotionnels : « Je voulais rendre la violence poétique. Et j’aimais l’idée du "Kiss Her Goodbye", comme un loup qui embrasse sa proie avant de retourner dans sa tanière, un super-héros qui retrouve son côté obscur. »
Ce ne sera qu'un effleurement de lèvres dans la fontaine de Trevi, tant le personnage campé par Marcello Mastroianni est impressionné par le sex-appeal outrancier d'Anita Ekberg, et pourtant la scène est culte. Sous le glamour de la passion à l'italienne, la réalité du tournage : il faisait si froid que Mastroianni portait une combinaison de plongée sous ses vêtements, se sifflant même une bouteille de vodka pour parvenir à terminer la fameuse séquence.
1968 : l'année est déjà érotique, et Steve McQueen le prouve avec Faye Dunaway dans une partie d'échec aux sous-entendus ultra sexuels. Pour cette scène culte, qui finira par le plus long baiser de l'histoire du cinéma dans un tourbillon flou, tout a été pensé : un échec et mat en 12 coups (rapide qui s'est réellement produit lors du jeu entre Gustav Zeissl et Walter von Walthoffen, à Vienne en 1898) et plus de trois jours de tournage pour un résultat parfait. Et absolument réussi.
En 1973, Sydney Pollack se voit l'honneur de réunir à l'écran deux méga stars de l'époque, Barbra Streisand et Robert Redford, pour une histoire d'amour douce-amère qui marquera les esprits, jusqu'à devenir une référence pour notre célèbre Carrie Bradshaw au moment du mariage de Big. Pourtant, la sublime alchimie entre le personnage so WASP de Redford et la Juive engagée qu'incarne Streisand n'a failli pas avoir eu lieu, puisque Redford a longtemps refusé le rôle, le trouvant trop facile, trop plat, trop « mannequin ». Après l'insistance de Streisand et quelques remaniements dans le scénario, le voilà enfin dans le projet ; le reste est la magie du cinéma.
Un baiser caché, volé, de retrouvailles adultères pour le beau couple formé par Jake Gyllenhaal et feu Heath Ledger. Pour ces scènes homosexuelles, défi pour les acteurs, passées les premières appréhensions, elles ont pris une toute autre tournure, comme l'a confessé Gyllenhaal en interview : « S’embrasser était comme un exutoire. C'était super agressif, quelque chose de très fort entre nous. D'ailleurs, les moments où l’on s'embrasse dans le film ressemblaient beaucoup aux moments où l'on se bat. »
On ne le répètera jamais assez : si Hitchcock est maître dans l'art du suspens, il l'est aussi dans sa façon de filmer la sensualité. En 1946, le censurant code Hays sévit encore : on n'a pas le droit de s'embrasser plus de trois secondes. Pourtant, ses acteurs, Ingrid Bergman – en agent infiltrée auprès d'un nazi – et Gary Cooper – en flic responsable du succès de l'opération – succombent, et il faut bien illustrer cet amour qui s'annonce compliqué. Qu’à cela ne tienne : Hitchcock les fera s'embrasser pendant deux minutes, mais pas plus de trois secondes, les bouches ne se quittant même quand l'acteur tente maladroitement de répondre au téléphone... Et comble de l’érotisme : quand il doit quitter la pièce, l'actrice se morfond, soupirante, câlinant même la porte. Bref, si les langues ne mêlent pas, le message est néanmoins plus que clair.
Malgré le cliché de la scène de pluie, le charme opère, Ryan Gosling et Rachel McAdams obligent. Pourtant, sur le tournage, ce n'est pas la température mais le ton qui monte : Gosling hurle au réalisateur Nick Cassavetes de « virer cette actrice » et de lui en amener une qui fasse « enfin l'affaire. » Après avoir été enfermés dans une pièce tous les deux, les acteurs vident leurs sacs, McAdams s'affirme et Gosling s'en amuse ; visiblement il la respecte davantage quand elle montre qu'elle sait se défendre. Pourtant, l'alchimie est indéniable : après le tournage, les acteurs reçoivent plusieurs prix pour leur torride embrassade et entame même une relation, bien réelle, quelques années durant. Comme quoi.
« T'as d'beaux yeux, tu sais » : difficile de résister au charme de Jean Gabin, qui marquera d'une phrase et d'une tour de langue des générations de romantiques cinéphiles après lui. Car la sensualité drue de l'acteur fait réellement son effet : Michèle Morgan, alors débutante, racontera par la suite les coulisses de cette scène, expliquant que Gabin la taquinait sans cesse juste avant, lui répétant « tu sais pas embrasser, la môme. » Très timide, au moment du baiser, elle était tremblante et lui n'a pas hésite : il l’a embrassé « pour de bon », tellement qu’elle en a rougi, et « heureusement qu’elle avait du maquillage », ajoutera-t-elle avec candeur.
Petite prouesse que ce baiser, qui reprend la traditionnelle scène d'amour sous la pluie, mais pour littéralement l'inverser avec un baiser à l'envers (qui garde cependant tout de l'anonymat du héros Peter). Pourtant, malgré la beauté de la scène, l'acteur Tobey Maguire, loin d'être subjugué par Kirsten Dunst, avouera des années après que cette séquence a été « probablement la plus difficile du tournage. Quand on a tourné cette scène, j'étais suspendu à l'envers, il était super tard dans la nuit, il pleuvait, et j'avais de l'eau de pluie qui ne cessait de me rentrer dans le nez. Puis, quand Kirsten fait glisser mon masque pour m'embrasser, là, je n'avais plus du tout d'air... »
Sulfureux baiser alors que son mari est caché dans le sous-sol du théâtre et que Marion, aka Catherine Deneuve, succombe aux charmes de son comédien, Bernard aka Gérard Depardieu, l'étreinte du Dernier Métro est même hautement symbolique, comme l'écrit Depardieu lui-même dans une missive envoyée à Deneuve : « On s’amuse tous les deux, on s’amuse à s’embrasser devant les caméras alors que la plupart des acteurs vous diront qu’il n’y a rien de plus casse-gueule, de plus angoissant qu’un baiser au cinéma. Nous, on se regarde, on se dit des yeux : « On va encore y avoir droit ! » J’ai lu dans un sondage que tu étais la maîtresse rêvée des Français. Je sais qu’il y a des légendes qui courent autour de nous, que l’on fantasme sur notre couple depuis Le Dernier métro. Il y a un interdit entre nous. Tu es une idole bourgeoise et racée ; je suis un fils de paysan aux mains fortes, avec toute sa santé. Dans le film de François, tu te donnes brutalement à moi, sans pudeur, par terre, comme seules sont capables d’oser les femmes bien éduquées. Toi et moi, c’est presque une conquête sociale, la chance pour un gars de la terre un peu rustre d’être aimé par la plus belle femme de faubourg Saint-Germain. C’est la prise de la Bastille de l’amour ! »
Pour sa première fois à l'écran, Norah Jones se voit dirigée par le grand réalisateur hongkongais Wong Kar-wai, auréolé de son succès après In The Mood For Love. Perfectionniste et décidé à envoyer du rêve, le réalisateur transforme un simple baiser de dinner en prouesse artistique, pleine de contorsion pas si simple à réaliser. Comme l'a expliqué plus tard Norah Jones : « Il a fallu des heures pour trouver le bon angle, et je n'étais pas franchement à l'aise avec ma joue collée ainsi sur la table. » Réplique de son premier baiser au tout début du film avec Jude Law (mais qui manque sévèrement de réciprocité), le dernier baiser qui clôture le film fut certes moins pénible à tourner, mais tout de même : on n'est pas loin du torticolis.
Encore une scène sous la pluie, qui a néanmoins le mérite d'être la précurseure du genre. Mais ne vous y méprenez pas : Audrey Hepburn, en plus de trouver son partenaire George Peppard énervant et fat à souhait, avait attrapé la mort après quatre jours de shooting en studio, à cause des torrents de fausse pluie.
Dégradé de soleil couchant sur le plus gros bateau du monde et musique sirupeuse : le baiser de Titanic, où le superbe profil de Kate Winslet tournée vers Leo DiCaprio aura marqué les années 1990-2000. Devenus très amis lors de ce tournage, il faut savoir pourtant que Leonardo n'y est pas allé de main morte, et a fait subir à Winslet toutes sortes de blagues plus dégoûtantes les uns que les autres, amenant leur relation à un stade bien au-delà du romantique : flatulences assumées, parties de jeux vidéos endiablées et scène de nue complètement dédramatisée... Ce n'est pas pour rien que Kate Winslet affirme à qui veut l'entendre qu'ils sont très proches, mais comme des frères et sœurs. Sans blague.
