En Ukraine, 4 ans après la révolution : "La vie a pris une autre valeur après Maïdan"

En Ukraine, 4 ans après la révolution : "La vie a pris une autre valeur après Maïdan"
En 2013, les Dakh Daughters chantaient sur la place Maïdan. Aujourd'hui elles continuent de porter les idéaux proeuropéens. (NIELS ACKERMANN/LUNDI 13 POUR L'OBS)

Pour les filles des Dakh Daughters, groupe de cabaret punk qui soutint la révolution ukrainienne à Kiev durant l'hiver 2013-2014, le combat continue.

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Sous les premiers flocons de l'hiver, les vieux bâtiments des studios de tournages Dovjenko, à Kiev, prennent un air de délabrement avancé. Les vieux véhicules des années 1960 et 1970 garés entre les arbres dégarnis ajoutent la touche post-soviétique attendue dans ce vestige du cinéma ukrainien. Derrière les fenêtres embuées de l'un des bâtiments, quelques rires viennent briser cette monotonie grisâtre. Les sept filles des Dakh Daughters, se préparent pour le tournage d'une comédie musicale. Maquillage, coiffure.

Le groupe de cabaret punk dont la réputation est passée à l'Ouest au moment de la révolution de Maïdan, durant l'hiver 2013-2014, n'a perdu ni sa joie de vivre, ni sa combativité. Entre les couches de fond de teint blanc et la pose de volumineux chignons de tresses, Tanya, Solomia, Natalka, Nataliya, Ruslana, Anna et Zo échangent blagues et vocalises. Et quelques mots sur leur parcours, leur art, leurs combats et l'influence qu'exerça sur elles la révolution qui chassa le président Ianoukovitch inféodé à Moscou. Tanya raconte :

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"Notre participation dans la révolution était un moment symbolique clé, à la fois pour chacune d'entre nous et pour notre tout."

"Maïdan a changé chez nous le sentiment du temps dans la création, ce temps si précieux que nous laissions un peu filer", considère Natalka. "Tout le monde évolue, c'est le processus de la vie mais des changements clés dans les consciences ont eu lieu grâce à Maïdan", affirme Solomia. "Après, la vie a pris une autre valeur."

Le groupe a pris son envol avec Maïdan. Les artistes, comédiennes, musiciennes et danseuses, travaillaient déjà depuis des années sous la houlette du Théâtre Dakh de Vlad Troïtski et venaient de constituer leur formation. "Nous avons réalisé un long chemin avec Vlad, qui nous a toutes magnifiquement épaulées. Et puis nous sommes devenues plus adultes, jusqu'à cette prise de conscience avec la révolution", explique Solomia :

"Nous avons ressenti le besoin de créer nos propres œuvres, de renouer avec nos traditions aussi."

Puisant leur inspiration des chants entêtants du folklore ukrainien, dont elles habillent les textes de Bukowski ou Chevshenko, ces artistes de talent développent un regard résolument engagé sur leur époque. Eloignées des Pussy Riot auxquelles elles sont parfois comparées, les Dakh Daughters ne se revendiquent ni comme un groupe politique ni même comme féministes. "Si nous avons des engagements, nous sommes avant tout intéressées par l'art", explique Anna. "Nous n'avons pas non plus pour objectif de défendre les droits des femmes", renchérit Ruslana.

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"Nous préférons montrer par notre travail la force et la beauté des femmes, la liberté et l'intelligence. Nous sommes une démonstration de la puissance de l'énergie féminine."

La force des traditions

"Mais c'est dans nos racines que nous puisons notre puissance, notre joie, la force de vivre dans ce pays compliqué", s'enthousiasme Ruslana. Mélodies rythmées à la grosse caisse et chants polyphoniques donnent une force viscérale aux morceaux des jeunes femmes. "Nos traditions ont survécu durant des centaines d'années, elles sont un lien puissant entre les générations", renchérit la contrebassiste, épaulée par Anna :

"Nous essayons de comprendre notre identité. L'Union soviétique a essayé d'anéantir notre culture et nous ne prenons conscience d'elle que depuis peu d'années."

Comme beaucoup d'Ukrainiens depuis Maïdan et le déclenchement de la guerre dans l'Est du pays, qui a entraîné la mort de plus de 10.000 personnes, les Dakh Daughters ont un discours sévère contre Moscou. Natalka affirme :

"La Russie doit comprendre que nous ne sommes pas frères. La confrontation avec Moscou dure depuis des centaines d'années. Mais nous avons désormais arraché notre indépendance et c'est irréversible dans les esprits ukrainiens."

La jeune femme ne regrette d'ailleurs pas de vivre cette période mouvementée.

"Pour la population, la situation est très difficile. Mais pour des artistes, c'est passionnant."

Céline Lussato

Les Dakh Daughters sont en concert ce mercredi soir à Paris, à l'auditorium Saint-Germain, en avant-première du Festival Week-end à l'Est, qui met Kiev à l'honneur du 15 au 20 novembre.

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