"La plus grande banque du monde ? Le chinois Tencent ! "

Par Delphine Cuny, à Londres  |   |  870  mots
En nombre de clients, les acteurs issus du mobile et du Web ont déjà gagné la partie face aux banques en Chine.
Le propriétaire de la messagerie WeChat dépasse toutes les banques, même chinoises, en nombre de clients. Un podium révélateur des transformations en cours dans la finance, avec l’émergence d’acteurs issus du Web ou du mobile.

Les puissantes JP Morgan Chase et Bank of America se sont fait doubler depuis longtemps par les mastodontes chinois que sont ICBC, China Construction, Agricultural Bank et Bank of China dans la liste des plus grandes banques en termes d'actifs (les françaises BNP et Crédit Agricole sont respectivement 8e et 11e). Cependant, même ces « Big Four » chinoises, aux centaines de millions de clients, ne sont pas les premières banques du monde sur ce critère-là du nombre d'utilisateurs.

« Qui est la plus grande banque du monde en nombre de clients ? » lance, un sourire en coin, Ronit Ghose, expert couvrant les banques dans le monde entier chez Citigroup, à un parterre de journalistes d'Europe, d'Afrique et du Moyen-Orient, réunis lors d'une conférence à Londres.

[Ronit Ghose, l'expert couvrant les banques dans le monde entier chez Citigroup. Crédits: DR]

Quelques noms fusent, sans succès. Le directeur de la publication d'un vaste rapport sur la "disruption digitale" dans la banque coupe court au suspense :

« Tencent ! », répond-il, triomphant. « Plus de 600 millions de clients, personne ne s'en approche ! »

Pas même ICBC et ses 490 millions de clients particuliers.

[Les plus grandes banques du monde en termes d'actifs. Crédits : Relbanks]

WeChat Pay débarque en Europe

Tencent est le propriétaire de WeChat (Weixin en chinois), la messagerie mobile multi-usages à la fois instantanée, vocale, vidéo, etc., aux 980 millions d'utilisateurs actifs par mois, qui revendique plus de 600 millions de comptes actifs (par jour) à son service de paiement WeChat Pay totalement intégré. Cette « finance sociale » (comprendre dans le sens de "réseau social") est aussi une finance « invisible », comme dans l'appli Uber : le paiement est quasi effacé, indolore, relégué au second plan.

Tout le monde essaie de le copier, de Facebook qui propose du paiement (entre particuliers) dans Messenger, aux banques françaises associés aux distributeurs avec leur appli Lyf Pay.

[Nombre de clients particuliers des banques et des sociétés Internet en Chine Crédits : Citigroup]

WeChat Pay est devenu tellement incontournable que les acteurs traditionnels du paiement, des fabricants de terminaux aux banques occidentales, se bousculent et signent des partenariats pour les touristes chinois : récemment BNP Paribas a annoncé le lancement de la solution dans toute l'Europe, en commençant par la France avec les Galeries Lafayette et le BHV.

Lire aussi : La Chine en tête de la course à l'innovation financière

WeChat Pay a même dépassé AliPay, le service d'Alibaba, l'Amazon chinois, qui compte plus de 520 millions d'utilisateurs. Les deux solutions ont été lancées en Chine en 2005.

[QuickPay le paiement par scan d'un code QR avec WeChat Pay]

Menace existentielle

Bien sûr, Tencent, qui pèse en Bourse quelque 470 milliards de dollars, n'est pas tout à fait une banque, Tenpay est un établissement de paiement. Cela dit, ce podium est révélateur des transformations en cours dans la finance, avec l'émergence d'acteurs issus du Web ou du mobile.

« Voilà de quoi il s'agit quand on parle de Fintech. Dans les pays émergents, notamment asiatiques, il s'agit bien souvent de réinventer la finance, dans le secteur grand public. Dans les pays développés, il s'agit plutôt de réingénierie, de refonte des métiers, bien souvent réalisée en interne par les banques, parfois en partenariats avec des Fintech », considère Ronit Ghose.

Ant Financial, la maison-mère d'AliPay, est d'ailleurs la plus grosse Fintech du monde dans le classement Fintech 100 de KPMG. La Chine constitue cependant un cas assez à part, alliant l'essor d'une classe moyenne à la croissance économique et l'explosion de l'e-commerce.

[Cartographie des risques de la "disruption digitale" en fonction du taux de pénétration des smartphones et de la contribution de la banque de détail. Crédits : Citigroup Citi GPS Fintech Report]

« Pour les banques, ce type de Fintech, comme WeChat, les expose au risque de perte de part de marché, de clients. C'est une menace existentielle » estime le responsable de l'analyse des banques dans le monde chez Citigroup. « La directive européenne sur les paiements DSP2 aussi fait peser le risque pour les banques de devenir de simples « tuyaux idiots » et de perdre l'interface avec le client. Nous ne pensons pas que cela se produira, mais c'est une menace existentielle » met-il en garde.

Cette directive, qui entrera en vigueur le 13 janvier 2018, va notamment imposer aux banques européennes d'offrir l'accès aux données de leurs clients à d'autres acteurs, en particulier les nouveaux entrants de la Fintech.

Cependant, l'expert de Citigroup relève que « en 2013-2014, on les entendait dire "on va tuer les banques !", c'est moins le cas aujourd'hui. » Les banques investissent de plus en plus dans les Fintech et ces dernières veulent aussi nouer des partenariats, voire se faire racheter.

Cette année, en France, BNP a acquis Compte Nickel, La Banque Postale le site de crowdfunding KissKissBankBank, Banque Edel (E. Leclerc) Morning, et Crédit Mutuel Arkéa a racheté Pumpkin.

[Investissements des fonds de capital-risque dans la Fintech dans le monde de 2011 à 2017, en milliard de dollars et en nombre d'opérations; investissements des banques dans la Fintech depuis 2015, d'après CB Insights et la recherche Citi. Crédits : Citigroup]