Pénélope Bagieu croque le portrait des femmes “qui ont changé le monde”

Christiane Taubira, Frida Kahlo, Virginie Despentes… La dessinatrice, qui expose à Paris un véritable panthéon du féminisme, souhaite “témoigner son amour et son admiration” à quarante personnalités hors du commun. 

Par Stéphane Jarno

Publié le 07 novembre 2017 à 14h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h39

Bambou, papier et encre de Chine. Pour sa première « vraie » exposition, Pénélope Bagieu n’a comme à son habitude, pas choisi la facilité. Enfant des blogs, de Photoshop et de l’ordinateur, la dessinatrice qui rêvait « de grands formats avec de gros traits gras, bien riches et de beaux aplats de noir qui vibrent » s’est confrontée à une technique qu’elle ne maîtrisait pas. « On peut tricher avec la plume, rattraper un trait, maquiller une erreur, avec le bambou c’est hors de question. Pour des grands formats je voulais, même si à la base je ne savais pas le faire ! C’est un outil ingrat, complètement aléatoire, une seule tache d’encre et c’est foutu, tout est à refaire, il n’y a pas de marche arrière possible. J’avais un peu pratiqué en classe prépa il y a des années de cela. Il a fallu que je réapprenne à dessiner avec tout mon bras, debout, concentrée et relâchée à la fois. J’ai travaillé la nuit en écoutant de la musique très fort… Cela reste une expérience personnelle assez particulière. »

Le résultat : quarante portraits de femmes, des personnalités hors du commun ayant chacune marqué leur époque, mais souvent oubliées par la grande Histoire. Si la plupart sont tirées des Culottées (Gallimard), un diptyque qui a rencontré un fort succès en librairie (275 000 exemplaires écoulés), de nouvelles têtes sont venues s’ajouter à ce panthéon féministe. Parmi elles, Simone Veil, Niki de Saint Phalle, Billie Holliday, Christiane Taubira, Carrie Fisher, Virginie Despentes ou Frida Kahlo, « des femmes qui ont changé le monde, mais trop connues pour figurer dans les albums. J’avais besoin de leur témoigner mon amour et mon admiration ». Pour chacune, Bagieu a voulu « percer le code », saisir au-delà des apparences ce que son modèle a d’unique, et surtout mettre en exergue les sentiments qu’il lui inspire. Pas de portrait sans affinités, sans lien personnel. Dépouillés, intimistes, ses portraits sont centrés sur l’émotion, la complicité, un quelque chose dans le regard ou dans la moue. Une rencontre qui en dit finalement aussi long sur le modèle que sur la dessinatrice.

Carrie Fisher par Pénélope Bagieu

Carrie Fisher par Pénélope Bagieu Pénélope Bagieu

« Ce n’est pas juste l’actrice qui a joué la Princesse Leia. Elle a commencé à tourner quand elle avait 16 ans, sur le tournage de La Guerre des étoiles elle a eu une aventure avec Harrison Ford qui était marié et avait vingt ans de plus qu’elle, je pense qu’elle aurait eu beaucoup à dire sur Harvey Weinstein et consorts. Elle a connu très tôt la dégueulasserie de ce milieu, les addictions, les maladies mentales. Mais elle est restée droite dans ses bottes et s’est toujours battue. Elle a des yeux hyper grands, très noirs et de tout petits sourcils qui lui donnent un air perpétuellement étonné, un peu blasé. Et puis toujours un petit sourire en coin. Il n’y a plus besoin de lui faire des macarons, en fait, Carrie Fisher c’était l’anti-Leia, elle avait beaucoup de recul sur les choses, beaucoup d’ironie en elle, voire un certain cynisme. Fille de star, elle connaissait Hollywood par cœur et n’était dupe de rien. »

  

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« C’est un visage marqué par l’émotion, elle a des rides de colère et de rire, des rides d’expression. Ce n’est pas la vieillesse, mais le visage de quelqu’un qui ne mâche jamais ses mots, qui fronce vraiment les sourcils, qui gueule, ça se voit. J’ai beaucoup regardé son visage, j’ai eu du mal à la dessiner, à chaque fois je n’arrivais pas à le rendre, il n’émanait de mes dessins qu’une impression de dureté. Jusqu’à ce que je comprenne. Elle a des yeux hyper doux, une forme d’yeux tellement gentille et douce que c’est ce qui fait la force de son visage. D’immenses yeux très pâles, elle a du avoir une tête de bébé pendant très longtemps et puis les expressions ont fini par donner de la dureté à son visage. C’est le visage d’une très gentille qui s’exprime de manière très dure, qui ne se laisse pas faire. Une fois que j’ai percé ce code-là, j’ai réussi à la dessiner. »

  

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« J’ai beaucoup tourné autour sans parvenir à la capter. J’ai regardé des photos d’elle jeune pour comprendre pourquoi je n’y arrivais pas. Elle a des yeux de félin en fait, hyper perçants, une inclinaison d’yeux en amande, toujours un petit regard en coin. Elle a cette espèce d’assurance tranquille, de sérénité dans le visage, c’est un chat. Il ne faut pas décalquer les visages, essayer de les prendre de l’extérieur, chercher à faire ressemblant, il faut dépouiller ça du joli. C’est en cherchant dans le caractère qu’on peut saisir le visage. Que la coiffure soit la bonne ou pas n’a guère d’importance, seul compte ce que ce visage me dit, m’inspire. »

  

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« Une des choses qui m’impressionnent chez elle, c’est l’étendue de sa carrière. Je voulais la montrer à 100 ans. Il n’y a pas beaucoup d’artistes qui ont travaillé si longtemps et pour autant c’était un vrai plaisir de dessiner toutes ses rides. C’est quelqu’un qui a toujours eu un œil tellement pétillant et malicieux, je voulais que devant son portrait, en plissant les yeux, on voie apparaître son visage d’enfant. Qu’elle ait 20 ans ou 100, elle a toujours ses yeux de gamine, c’est une malicieuse. Son visage dit qu’elle a vécu plein de choses, mais elle a gardé son regard d’enfant. »  

Frida Kahlo par Pénélope Bagieu

Frida Kahlo par Pénélope Bagieu Pénélope Bagieu

« C’est amusant qu’elle ait été gardée pour l’affiche, car c’est celle avec laquelle j’ai le moins d’affinités. C’était presque obligatoire, il est compliqué de rendre hommage aux femmes qui vous ont marquée en tant qu’artiste et de ne pas parler d’elle. J’adore son travail, son parcours, mais ni plus ni moins que tout le monde. Elle est devenue un emblème, une évidence, presque une figure imposée : “Tu dessines et tu parles de féminisme, tu vas forcément nous faire une petite Frida Kahlo !” J’étais obligée de m’acquitter d’elle, cela aurait été presque artificiel de ne pas le faire ! En même temps, quel bonheur de la dessiner avec ses fleurs, ses beaux sourcils… Voilà, j’ai fait ma Frida ! »


Galerie Barbier Mathon. Jusqu’au 2 décembre. Du mercredi au samedi. www.barbiermathon.com

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