Emmanuel Macron face au chaudron identitaire

Emmanuel Macron présente ses propositions pour la politique de la ville, le 14 novembre 2017. ©AFP - François Lo Presti
Emmanuel Macron présente ses propositions pour la politique de la ville, le 14 novembre 2017. ©AFP - François Lo Presti
Emmanuel Macron présente ses propositions pour la politique de la ville, le 14 novembre 2017. ©AFP - François Lo Presti
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Tout à son discours optimiste et volontaire, le chef de l’État évite d'aborder de front les tensions qui parcourent la société française. Au risque de se voir reprocher un déni de réalité.

Une Assemblée nationale en ébullition. Bien loin des premiers temps du quinquennat, où l'hémicycle ressemblait à un sage colloque d'expert-comptables. Hier après-midi, les tensions se sont focalisées autour des thèmes identitaires. 

C'est d'abord la France insoumise qui a quitté les bancs pour protester contre une question jugée infamante du député UDI Meyer Habib sur le détenu franco-palestinien Salah Hamouri. Quelques instants plus tard, la tension est encore montée d'un cran à l'évocation des prières de rue à Clichy-la-Garenne. Avec une question de Gilbert Collard, député du Rassemblement bleu marine : 

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"Qu'il s'agisse de prières musulmanes, peu m'importe. Il s'agirait de prières bouddhistes ou zoroastristes, ce serait pareil. Mais c'est à proprement parler absolument intolérable !" 

On perçoit le malaise sur les bancs. Comme si le venin des fractures de la société françaises s'infiltrait dans l'hémicycle. Face à cela, Gérard Collomb dégaine l'antidote macroniste. Ses ingrédients : un peu de nuance, une évocation de torts partagés, un appel à la conciliation, avec la phrase magique "et en même temps" :

"J'ai demandé au préfet de prendre contact avec à la fois les élus de Clichy-la-Garenne et en même temps avec la communauté musulmane, afin que le problème soit résolu. Il ne peut pas y avoir de prières de rue. Mais en même temps, il convient que les musulmans de Clichy-la-Garenne puissent avoir un lieu de culte décent. Liberté de croire ou de ne pas croire, liberté de pratiquer son culture, pourvu que ce soit dans le respect de l'ordre républicain. C'est ce que veut faire ce gouvernement". 

Exploit de la rhétorique : Gérard Collomb est applaudi à la fois par Gilbert Collard au FN et Danièle Obono à la France insoumise, qui avait entre-temps regagné sa place. Sans parler de la majorité, qui est debout. Le ministre de l'Intérieur donne l'impression d'avoir fait baisser la température du chaudron en remuant un peu... Mais pour combien de temps ? 

Plus globalement, les questions identitaires semblent revenir au premier plan, alors qu'Emmanuel Macron avait tenté de les mettre de côté.  Rembobinons quelques instants. Depuis 2002, l'identité est un thème chaque fois plus central dans les campagnes présidentielles. Mais la dernière, celle de 2017, a marqué un reflux.   Emmanuel Macron a décidé de ne pas sacraliser cette thématique, et même - pour une bonne part - de l'ignorer. Sa campagne s'est centrée sur les questions économiques et sociales, domaine dans lequel son programme était le plus étoffé. Les rares fois où la question identitaire a été abordée par le candidat, c'était avec nuance et balancement, "fermeté mais en même temps bienveillance". Et parfois un certain flou, qui présentait l'avantage de ne pas offrir vraiment de "prise" idéologique à ses adversaires. Cela s'est d'ailleurs poursuivi en ce début de quinquennat : l'action du gouvernement et son discours se sont concentrés sur les réformes économiques, les "premiers de cordée" et autres "flat tax".

Méthode Coué et ardeur managériale

Et Emmanuel Macron tente de maintenir cette ligne. Loin de cette atmosphère étouffante de l'Assemblée nationale, le chef de l’État avait livré la veille ses propositions pour la politique de la ville... Pas de coups de menton, pas d'appels à la répression tous azimuts. Un discours pondéré, qui en certains moments rappelait Lionel Jospin. Le président reprend d'ailleurs la fameuse expression jospinienne du "sentiment d'insécurité"... :

"La police du sécurité du quotidien, c'est celle qui réponde au sentiment d'insécurité et à la réalité connue par nos concitoyens. Depuis la disparition de la police de proximité, nous avions perdu cette capacité d'avoir une autre forme de présence policière".

Quant à la radicalisation, dit Emmanuel Macron, elle est aussi liée aux renoncements de la République :

"Cette radicalisation s'est installée parce que la République a démissionné. Et parce que nous avons laissé dans de trop nombreuses communes, de trop nombreux quartiers, des représentants d'une religion transfigurée, déformée, qui porte la haine et le repli, apporter des solutions que la République n'apportait plus".

Un vision posée, apaisée... naïve, diront ses adversaires. Comme si dans la start-up France, la question n'était pas "qui sommes-nous" mais où "allons-nous" ? Le pari d'Emmanuel Macron est le suivant : insister sur les divisions, c'est mettre de l'huile sur le feu... et pas dans les rouages. La société bloquée, fracturée, n'a pas besoin qu'on lui tende un miroir. Elle prendrait peur. 

A mi-chemin entre la méthode Coué et l'ardeur managériale, ce discours laisse de côté la réalité du clivage identitaire, avec l'idée qu'en parler c'est le faire exister ; qu'éructer c'est le renforcer. Le pari n'est pas dénué de fondement. Après tout, les rodomontades politiques n'ont vraiment prouvé leur efficacité ces dix dernières années... Mais combien de temps ce pari peut-il tenir, avant que la réalité des divisions identitaires ne vienne s'immiscer de force dans les discours polis et policés ?

Frédéric Says

L'équipe