Comment lutter contre la superstition avec Spinoza : épisode • 4/4 du podcast Que croyez-vous ?

Baruch Spinoza - .
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La superstition selon Spinoza, ou le destin malheureux de notre besoin de croire : comment échapper à nos croyances irrationnelles, si elles font de nous des êtres aisément manipulables?

Avec
  • Ariel Suhamy Spécialiste de Spinoza et éditeur du site "La Vie des idées"

Comment briser les chaînes de notre servitude, dès lors que l'alliance du théologique et du politique fait fond sur nos propres convictions pour installer sa domination ? Ariel Suhamy restitue cette difficile position de la raison, qui doit à la fois dénoncer la superstition et en montrer la nécessité étant donné ce qu'est la nature humaine.

Le texte du jour

Si les hommes pouvaient régler toutes leurs affaires suivant un avis arrêté, ou encore si la fortune leur était toujours favorable, ils ne seraient jamais en proie à aucune superstition ; mais ils en sont souvent réduis à une telle extrémité qu’ils ne peuvent s’arrêter à un avis et que, la plupart du temps, du fait des biens incertains de la fortune, qu’ils désirent sans mesure, ils flottent misérablement entre l’espoir et la crainte ; c’est pourquoi ils ont l’âme si encline à croire n’importe quoi : lorsqu’elle est dans le doute la moindre impulsion la fait pencher facilement d’un côté ou de l’autre ; et cela arrive bien plus facilement encore lorsqu’elle se trouve en suspens par l’espoir et la crainte qui l’agitent – alors qu’à d’autres moments elle est gonflée d’orgueil et de vantardise.

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Cela, j’estime que nul ne l’ignore, bien que la plupart, à ce que je crois, s’ignorent eux-mêmes. Personne en effet n’a vécu parmi les hommes sans remarquer que la plupart, si grande soit leur inexpérience, regorgent tellement de sagesse aux jours de prospérité que ce serait leur faire injure que de leur donner un avis ; dans l’adversité en revanche ils ne savent où se tourner, ils sollicitent un avis de chacun, et ils n’en trouvent aucun trop stupide, absurde ou vain pour être suivi. Enfin, les plus légers motifs leur redonnent des espérances ou les font retomber dans la peur. Car si, lorsqu’ils sont en proie à la crainte, ils voient arriver quelque chose qui leur rappelle un bien ou un mal passés, il pensent y trouver l’annonce d’une issue heureuse ou malheureuse et, pour cette raison, bien que déçus cent fois, ils le nomment présage favorable ou funeste. Si, en outre, ils voient avec grand étonnement quelque chose d’insolite, ils croient qu’il s’agit d’un prodige qui manifeste la colère des dieux ou de la divinité suprême ; ne pas l’apaiser par des sacrifices et des prières paraît une impiété à des hommes en proie à la superstition et éloignés de la religion. Ils forgent de cette façon d’infinies inventions et ils interprètent la nature de façon étonnante comme si toute entière elle délirait avec eux. 

Spinoza, Préface au Traité théologico-politique (1670), §1-2, trad Lagrée-Moreau p57-58 ed Epiméthée (1999) 

Lectures              

Spinoza, Préface au Traité théologico-politique (1670), §1-2, trad Lagrée-Moreau p57-58 ed Epiméthée (1999) 

Spinoza, Ethique (rédaction 1661-1665, publication 1677), I, Appendice, Bibliothèque de la Pléiade, 1954, pp.348-349 

Spinoza, Appendice à l'Ethique IV (« De la servitude de l'homme »), chapitres XXI-XXII, trad Charles Appuhn p301 ed.GF (1965) ; texte conseillé par l'invité

Extraits

Le démon (Emission « Rétro » du 20/08/2011, Archive radiophonique de 1991. Intervenant : Michel Deguelle de Rode, dramaturge)

Reportage sur Mystère-tv, « L’incroyable histoire d’Apollo 13 »

Références musicales

John Frizzell, "Le vaisseau de l'angoisse : The discovery"  (musique de film, 2002)

"Angoisse : Carrie (For the last time we'll pay)" The Big Screen Orchestra           

Stevie Wonder  « Superstition » (Talking Book, 1972)

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