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Saignée

Malgré des profits records, Siemens sabre dans ses effectifs

Le conglomérat allemand va supprimer 6 900 postes au moment où son concurrent américain GE fait de même. De quoi inquiéter les salariés d'Alstom déjà rachetés par GE et ceux de la branche ferroviaire qui vont être repris par Siemens.
par Jean-Christophe Féraud
publié le 16 novembre 2017 à 19h39

La nouvelle risque d'inquiéter les quelque 32 000 salariés d'Alstom Transport, en passe d'être rachetés par Siemens : bien que largement bénéficiaire, le géant industriel allemand vient de confirmer ce jeudi une vague de 6 900 suppressions de postes dans sa division énergie, Siemens Power & Gas, aujourd'hui en crise. Le PDG de Siemens, Joe Kaeser, a annoncé ces «coupes douloureuses», une semaine à peine après d'excellents résultats financiers. Mais il a justifié ce nouveau plan de restructuration par le fait que «le secteur de la génération d'énergie subit un changement d'une ampleur et d'une vitesse inégalée». Un autre conglomérat, General Electric (GE), s'apprête d'ailleurs lui aussi à se séparer de milliers d'employés, pour les mêmes raisons, dans le cadre d'un plan de restructuration qui ne devrait pas épargner l'ancienne branche énergétique d'Alstom rachetée pour sa part en 2015 par le géant américain.

La «Dynamowerk» à Berlin menacée

Siemens, qui fabrique des centrales à gaz et à charbon, mais aussi des éoliennes, est aujourd’hui effectivement frappé de plein fouet par la chute des prix de l’électricité de gros et l’effondrement des commandes de turbines à gaz sur fond de transition rapide en faveur des énergies renouvelables. Mais le conglomérat, qui compte toujours plus de 351 000 salariés, s’est surtout lancé dans une quête sans fin d’économies sur sa masse salariale. Début novembre, il avait déjà annoncé la suppression de 6 000 emplois dans sa coentreprise Siemens-Gamesa, pourtant leader mondial des éoliennes. Et le géant avait déjà sacrifié 15 000 postes dans ses rangs en 2013, dont un tiers en Allemagne, pour se recentrer sur les énergies renouvelables après l’arrêt du nucléaire.

Là encore, ce sont les salariés allemands qui devraient subir de plein fouet l'impact social de ces 6 900 nouvelles suppressions de postes : tout un symbole, la fameuse «Dynamowerk» de Berlin, d'où est partie l'aventure Siemens au début du XXe siècle et qui reste aujourd'hui la plus importante usine du groupe avec 11 000 salariés, serait notamment menacée. D'autres sites en ex-RDA sont également dans le viseur, ce qui inquiète au moment où le chômage dans les Lander orientaux est déjà un terreau fertile pour le parti d'extrême droite AfD qui vient de faire une percée au Parlement. Le grand syndicat allemand IG Metall a ainsi qualifié «d'irresponsable» la décision de Siemens de mettre à la porte des milliers de personnes dans ce contexte politique tendu. Lors d'un comité d'entreprise ce jeudi matin, Joe Kaeser a répondu à ces inquiétudes en promettant de limiter au maximum les licenciements secs et de favoriser les reclassements pour «atténuer le coup».

Inquiétudes chez les salariés français

Mais la pilule a du mal à passer, car l’empire Siemens est loin d’être au bord du gouffre : il a même connu une année record. Sur l’exercice 2016-2017, l’entreprise a ainsi dégagé un bénéfice de 6,2 milliards d’euros, en hausse de 11%, sur un chiffre d’affaires de 83 milliards… Mais les actionnaires exigent toujours plus de dividendes. Et les conglomérats ont de moins en moins la cote en Bourse. L’américain GE, dont l’action a plongé de 42% à Wall Street depuis le 1er janvier, bien qu’encore très rentable lui aussi, devait également annoncer un lourd plan de restructuration prévoyant des milliers de licenciements ce jeudi après la cloture des marchés. Or, son PDG, John Flannery, vient d’indiquer qu’il jugeait le rachat d’Alstom «très décevant»… Les salariés français de l’ancien champion industriel français, rachetés par GE, doivent aujourd’hui se demander dans quelles mains ils sont tombés. Notamment ceux de l’usine GE Hydro de Grenoble, d’ores et déjà menacés par un plan prévoyant 345 suppressions de postes sur un effectif total de 800 personnes.
Tout en appelant les dirigeants de GE à «tenir leurs engagements» (qui prévoyaient de créer 1 000 postes en France d’ici à 2018), le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, s’est toutefois voulu rassurant : 
«Les activités concernées par les trois joint-ventures créées entre Alstom et General Electric ne sont pas concernées par les mesures de restructuration annoncées par le président de GE», a-t-il affirmé mardi au Sénat. De fait, GE n’a pas les mains libres pour le moment sur ces trois joint-ventures, puisqu’il s’est engagé à y créer des emplois.
Quant aux salariés ferroviaires d’Alstom, ils découvrent aujourd’hui, eux aussi, que le passage sous pavillon allemand ne sera pas une sinécure. Joe Kaeser était plutôt patelin quand il est venu les rencontrer à Paris le 27 septembre pour vanter «la fusion entre égaux» entre Alstom et Siemens qui doit donner naissance à un «Airbus du rail», champion européen des TGV, trains régionaux, métros et autres trams. A cette occasion, il avait promis de ne supprimer aucun emploi ni de fermer aucun site du fabricant de TGV dans les quatre ans qui suivront le mariage effectif des deux groupes, fin juillet 2018. Mais ces «garanties» ne rassurent pas vraiment les quelque 10 000 salariés français d’Alstom, même si le groupe de matériel ferroviaire vient de publier d’excellents résultats semestriels. Ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’un grand groupe qui fait des profits licencie en masse, en s’asseyant au passage sur ses promesses engagements passés.
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