Menu
Libération
Décryptage

Climat : six raisons de ne pas désespérer

Alors que la COP 23 devrait s’achever ce vendredi à Bonn et que plus de 15 000 scientifiques ont alerté lundi sur l’état de la planète, des dynamiques poussent à rester optimiste.
par Aude Massiot
publié le 16 novembre 2017 à 20h26

«L'angoisse ne conduit jamais à l'action.» Tel que le démontre George Marshall dans le Syndrome de l'autruche, pourquoi notre cerveau veut ignorer le changement climatique (Actes Sud, 2017), et que le rappelle le président de l'association 4D, Pierre Radanne, l'urgence climatique, dans tout ce qu'elle a de plus inquiétant, ne mobilise pas les foules. La multiplication des catastrophes naturelles, la reprise à la hausse des émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales (+ 2 % en 2017), l'inquiétude sur une sixième extinction de masse… Autant d'annonces dramatiques qui donnent plus envie de se noyer sous le flot Netflix que de se lancer dans la permaculture.

Les négociations sur la mise en place de l'accord de Paris sur le climat, qui se tiennent actuellement à Bonn dans le cadre de la Conférence des parties (COP 23), ne sont guère plus réjouissantes. A première vue en tout cas. «Agissons plus fort et plus vite», ne cessent de marteler les représentants des 197 pays parties dans l'accord de Paris, ratifié l'an dernier, et qui visent à limiter la hausse des températures mondiales à «2° C, voire 1,5° C» d'ici à la fin du siècle (par rapport à l'époque préindustrielle). Lundi, plus de 15 300 scientifiques de 184 pays ont alerté sur la situation de la planète et la nécessité pour les décideurs publics d'agir au plus vite. Pourtant, malgré l'état d'urgence climatique, ses conséquences géopolitiques et son risque de déstabilisation massive, les égoïsmes nationaux priment encore sur la nécessaire solidarité planétaire. «Ce ne sont pas les négociateurs qui font bouger les lignes, ce sont les politiques, les entreprises et les citoyens, assure le directeur du WWF France, Pascal Canfin. Tout le monde a son rôle à jouer dans la transition, en changeant son alimentation par exemple.»

Car si l'inertie semble être de mise dans les couloirs des négociations officielles, les initiatives se multiplient dans la zone des side events. Dans le fourmillement des conférences, de nombreux investisseurs cherchent le prochain projet vert sur lequel miser, des villes mettent en avant leur volontarisme créatif, des alliances citoyennes élaborent des pratiques alternatives au modèle de développement encore dominant et dévastateur pour l'avenir. Une atmosphère bien plus positive règne. Pour sortir de la sinistrose qui entoure très souvent les nouvelles sur le changement climatique, Libération a compilé six bonnes raisons de ne pas désespérer. De se motiver. Et d'y croire, malgré tout.

1- Les forêts peuvent nous sauver

On parle souvent des forêts pour décrire à quel point l’humanité s’adonne à leur destruction, au profit des terres agricoles notamment. 29,7 millions d’hectares boisés ont été rasés en 2016, soit une surface de la taille de la Nouvelle-Zélande, selon Global Forest Watch. Ces ravages sont une balle que l’homme se tire dans le pied, car les arbres sont des champions trop oubliés de la lutte contre le changement climatique.

«Les forêts retiennent des tonnes de CO2 et ce stockage s'accroît d'année en année, explique Deborah Lawrence, professeure en sciences environnementales à l'université de Virginie. Les arbres accumulent du CO2 tous les ans, dans leurs branches, leur tronc, au sol. C'est extrêmement important : actuellement, les puits de carbone terrestres, y compris les forêts, capturent 30 % de ce que nous émettons en CO2 Des scientifiques du Woods Hole Research Center ont ainsi établi, début novembre, qu'en arrêtant la déforestation et en permettant aux arbres de repousser, le «puits» forestier permettrait de capturer 100 milliards de tonnes de CO2 de plus d'ici à 2100. Très bonne nouvelle : cela permettrait de parcourir au moins un quart du chemin pour atteindre l'objectif d'une limitation à + 1,5° C des températures mondiales à la fin du siècle. Un talent naturel que ne concurrence aucune technologie humaine.

L’Allemagne et le Royaume-Uni viennent de lâcher plus de 150 millions de dollars (127 millions d’euros) pour réduire la déforestation au Brésil. Soucieuses de leur image, des multinationales s’y collent : Walmart dit éliminer tous les produits liés à la déforestation de ses carnets de commandes, Mars vante une réduction de son empreinte carbone de 27 % d’ici à 2025 en luttant contre la déforestation induite par la culture d’huile de palme.

De même, Forest Climate Analytics a déterminé que, sur les deux dernières décennies, le reboisement de la Chine, de l'Inde et de la Corée du Sud a permis de retirer plus de 12 milliards de tonnes de CO2 de l'atmosphère. Et de lutter contre la désertification. Séoul a dépensé jusqu'à 1 % de son PIB pour cela, et Pékin et New Delhi 10 milliards de dollars par an - le 2 juillet, 800 000 volontaires ont planté 50 millions d'arbres en 24 heures dans l'Etat du Madhya Pradesh. «Ces exemples montrent que l'on n'a pas besoin d'attendre de nouvelles avancées technologiques pour capturer le carbone, avance le président de Forest Climate Analytics, Michael Wolosin. Les forêts le font très bien.» A condition qu'elles soient de qualité et non en monoculture, au détriment de la restauration de forêts naturelles.

2- Le charbon, c’est (presque) du passé

Le nombre de centrales au charbon en développement dans le monde a connu une chute spectaculaire en 2016, rappelle un rapport de Greenpeace, Coalswarm et Sierra Club. L'Inde et la Chine concentrent à elles seules 86 % des nouvelles centrales, mais la tendance au «bas carbone» semble inexorable. Même aux Etats-Unis : 250 d'entre elles ont fermé depuis 2010. Jeudi, le Royaume-Uni et le Canada ont ainsi annoncé, à Bonn, le lancement d'une alliance pour sortir de cette énergie fossile responsable de 40 % des émissions mondiales de CO2. Dix-sept pays les ont rejoints, dont la France et le Mexique. La veille, Emmanuel Macron rappelait que la dernière centrale à charbon française serait fermée en 2021. L'Italie entend tourner la page en 2025 alors que ces centrales produisent encore 16 % de son électricité.

Charbon, pétrole, gaz… 80 % des énergies fossiles doivent rester dans le sol pour que les températures mondiales n'augmentent pas de plus de 2° C d'ici à la fin du siècle. «Les petits Etats insulaires comme les îles Marshall, les Kiribati et les Tuvalu ne survivront pas à un monde où les températures croissent de plus de 1,5° C et le niveau des océans avec», assure un membre fidjien de l'ONG 350.org pour le désinvestissement des énergies fossiles, Fenton Lutunatabua. L'Afrique, le continent qui sera le plus touché par le changement climatique, voit se renforcer un mouvement de citoyens opposés aux énergies fossiles. Comme le militant sud-africain Ahmed Mokgopo, qui l'assure : «Des entreprises étrangères essaient de déplacer leurs projets d'énergies sales, comme les centrales à charbon, sur le continent africain, mais elles se trouvent confrontées à une résistance populaire qui monte, notamment au Kenya, au Sénégal et en république démocratique du Congo.»

De massives campagnes de désinvestissement lancées ces dernières années ont poussé de nombreuses universités, banques, fonds d’investissement à retirer de leurs portfolios les financements liés aux énergies fossiles. A la fin décembre 2016, 5,2 millions de dollars avaient été désinvestis par 688 institutions et 58 399 personnes dans 76 pays, selon l’organisation Arabella Advisors. Certains assureurs suivent le même chemin, inquiets du risque que le changement climatique fait peser sur leurs activités. Un rapport de la coalition Unfriend Coal, sorti en novembre, révèle qu’en deux ans, 20 milliards de dollars ont été retirés de projets liés au charbon par 15 assureurs internationaux, pour la plupart européens. Cette semaine, c’est le septième plus gros assureur au monde, Zurich, qui a annoncé bannir le charbon. Encore trop timide, selon les Amis de la Terre. Dans un rapport rendu public lundi, l’ONG pointait qu’Axa, par exemple, a investi 848 millions de dollars dans les développeurs de charbon depuis 2015.

3- Les technologies du futur sont déjà là

L'air conquérant, Bertrand Piccard a multiplié les conférences à Bonn pour transmettre son optimisme. Ce psychiatre et aéronaute suisse de 59 ans est le pilote du fameux Solar Impulse, cet avion propulsé par l'énergie solaire, qui a réussi à faire le tour du monde. «Quand j'étais au-dessus de l'océan Indien, bercé par le silence de la propulsion solaire, je me suis dit : "Je suis dans le futur", avant de réaliser que non, j'étais bien dans le présent et que ce sont les technologies d'aujourd'hui qui ont permis cet exploit», raconte-t-il. Et d'ajouter : «Nous entendons souvent : "Il faut de l'innovation, poursuivre nos recherches." Mais beaucoup de ces technologies dont nous rêvons existent déjà. Il faut seulement qu'elles tombent dans les mains des bonnes personnes.» Pour cela, Piccard a lancé, mardi, l'Alliance mondiale pour les solutions efficaces. Objectif : sélectionner 1 000 innovations «propres et rentables» (des filtres à air qui capturent le CO2 et le transforment en carburant renouvelable à l'usine de désalinisation solaire, en passant par les turbines électriques marines de grande profondeur ou les tuiles photovoltaïques…) et les présenter à la COP 24, l'an prochain à Katowice, en Pologne, puis parcourir le monde pour convaincre investisseurs et politiques. «Si nous investissons dans les bonnes technologies, en nous assurant de la participation du secteur privé, nous pouvons encore tenir la promesse que nous avons faite à nos enfants de protéger leur avenir, a lancé le chef du Programme des Nations unies pour l'environnement Erik Solheim, lors de la remise du rapport Emissions Gap 2017. Mais nous devons agir maintenant.» «Le mouvement actuel pour stimuler l'innovation technologique est incroyable», soutient de son côté Laurence Tubiana, une des initiatrices de l'accord de Paris et présidente de la Fondation européenne sur le climat. Elle a lancé l'an dernier, avec l'ex-ministre marocaine de l'Environnement Hakima El Haite, la plateforme 2050 Pathways, qui met en contact les acteurs gouvernementaux et non étatiques avec des politiques climatiques ambitieuses de long terme pour atteindre le zéro émission net, notamment. «S'ils ne voient pas où se diriger dans le futur, les Etats vont continuer à être très frileux, poursuit Tubiana. On voit que les coûts de certaines technologies innovantes baissent fortement grâce à une vision claire de l'avenir. Certains pays vulnérables volontaires manquent des technologies pour cela. Notre plateforme permet d'encourager les transferts de technologies vers ces Etats les plus touchés par le changement climatique.» Et de conclure : «Pendant que certains retournent dans le passé, comme les Etats-Unis qui organisent un événement pro-énergies fossiles à une conférence sur le climat, d'autres regardent vers le futur.»

4- Les renouvelables ont la belle vie

Autre signal positif de l’accélération de la transition énergétique, qui n’a cessé d’être rappelé dans les discours de la COP 23 : depuis plusieurs années, les investissements dans les projets énergétiques ne se font plus majoritairement en faveur des énergies fossiles, mais vers leurs pendants renouvelables. Entre 2015 et 2016, la capacité installée de ces derniers a bondi de 10 %, à des prix très inférieurs au nucléaire ou aux énergies fossiles. Eolien, solaire, hydroélectricité, biomasse, hydrogène, autant d’alternatives aux combustibles polluants dont l’exploitation est devenue concurrentielle. Y compris dans les pays de l’or noir.

Ainsi, fin octobre, l'Arabie Saoudite a reçu une offre pour un approvisionnement en électricité solaire au prix le plus bas jamais enregistré (1,79 centime de dollar le kw/h), qui a abouti au lancement d'un programme de 50 milliards de dollars pour poursuivre la diversification énergétique de cet Etat pétrolier. De même en Iran, où les capacités installées en renouvelables devraient au moins être multipliées par sept dans les cinq ans. Reste que ces Etats ne comptent pas réduire leur exploitation des énergies fossiles, comme l'a expliqué à Libération un membre de la délégation saoudienne à Bonn : «Le problème n'est pas la production de pétrole ou de gaz mais les émissions de gaz à effet de serre, et nous investissons massivement pour les réduire au maximum et pour développer les technologies qui capturent ces gaz.» Cependant, ces techniques - ces fausses solutions ? - sont pour l'instant insuffisantes pour permettre une baisse significative des GES dans l'atmosphère. C'est ce qu'ont compris les 50 pays qui se sont engagés, en novembre 2016, à atteindre une production d'énergie 100 % renouvelable d'ici à 2050, dont le Bangladesh, le Burkina Faso, les îles Marshall, le Maroc, la Colombie et le Yémen. Malgré le retrait de l'accord de Paris par Trump et son aveuglement pro-énergies fossiles, les Etats-Unis profitent aussi du boom de l'énergie verte. Quels étaient, fin octobre, les deux emplois avec le plus de croissance dans le pays ? Installateur de panneaux solaires et technicien éolien. Leur nombre devrait doubler en dix ans. Les citoyens ont aussi leur mot à dire, alors que se multiplient les fournisseurs d'électricité alternatifs qui proposent des contrats 100 % énergies renouvelables. Et en France, l'autoconsommation est en pleine émergence. En 2016, 47 % de la population se disait prête à investir dans une installation solaire pour sa propre consommation.

5- L’agroécologie pour nourrir la planète

C'est l'argument préféré des entreprises de l'agrobusiness : on ne pourra nourrir la population mondiale d'ici à 2050 (soit 9 milliards de personnes) sans OGM, pesticides, etc. De récentes études montrent tout le contraire. «L'utilisation de plus en plus de pesticides n'a rien à voir avec la réduction de la faim [dans le monde]», détaille l'ONU dans un document sorti en mars. Selon son agence pour l'alimentation et l'agriculture, nous pourrions déjà nourrir 9 milliards de personnes. La production augmente, mais les principaux freins demeurent la pauvreté, les inégalités et le gaspillage alimentaire. Le modèle agricole intensif dominant est aussi dévastateur pour la planète. «Il serait responsable d'un tiers des émissions de GES mondiales, assure la chargée de plaidoyer climat au CCFD-Terre solidaire Anne-Laure Sablé. A cause du changement climatique et de l'appauvrissement des sols dû aux engrais chimiques et pesticides, nous courons vers de nouvelles crises alimentaires.» D'où l'essor d'une solution de plus en plus plébiscitée : l'agroécologie. Elle ajoute : «Nous devons passer d'un système alimentaire industriel gourmand en intrants chimiques, basé sur la monoculture, à des systèmes diversifiés, très demandeurs en forces humaines et qui fonctionnent sur la polyculture et donc la régénération des sols.» Cela tombe bien. D'autant qu'il fournirait de meilleurs revenus aux paysans.

Une étude publiée mardi dans la revue Nature Communications démontre ainsi que de tels objectifs sont atteignables avec une alimentation 100 % bio. A deux conditions. Premièrement, une réduction par trois de la consommation de viande, notamment bovine (extrêmement émettrice en méthane, 120 fois plus polluant que le CO2 et responsable de la majorité de la déforestation tropicale). Deuxièmement, une baisse du gaspillage, qui engloutit actuellement un tiers de la production alimentaire mondiale, selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture. On en est loin. Seulement 1 % de la surface agricole utile mondiale est pour l'instant dédié aux cultures biologiques. Mais ce ratio augmente fortement, tiré par la demande des consommateurs. En Autriche, au moins 21 % de la surface agricole est en bio, contre 6 % en France. Pour financer cette transition agricole, le rapport de l'ONU demande à ce que cessent les subventions en faveur des pesticides. A la place : «Des taxes, des droits d'importation et des redevances sur ces produits.» Pollueur-payeur… Il recommande aussi de miser sur les semences anciennes, plus résistantes au changement climatique, plutôt que sur les OGM.

6- La finance se met au vert

«Plus vous prenez le virage tard, plus vous risquez de vous casser la gueule, résume Pierre Radanne. Un engagement massif des acteurs financiers et des entreprises s'observe depuis la COP 21 en 2015. Ceux qui sont à la traîne feraient bien de sauter le pas avant qu'il ne soit trop tard.» Le PDG de l'entreprise néerlandaise Royal DSM, Feike Sijbesma, aussi vice-président de la coalition Carbon Pricing Leadership pour la mise en place d'un prix officiel sur le carbone, porte le même message : «Les gouvernements ne doivent pas être les seuls à lutter contre le changement climatique. Les entreprises doivent s'y investir aussi car elles ont leur part de responsabilité. Celles qui sont les plus réticentes à prendre le train en marche devraient comprendre que ces changements se feront avec ou sans elles.»

Mercredi, à Bonn, 320 entreprises se sont ainsi engagées à se doter d'objectifs de réduction de gaz à effet de serre alignés sur l'accord de Paris. Le secteur financier commence aussi à envisager les risques d'instabilité que représente le changement climatique. Mi-juillet, un groupe d'experts mandaté par la Commission européenne a ainsi conclu qu'«après la crise financière, la finance durable serait la meilleure opportunité pour l'UE de réorienter son système financier d'une stabilisation sur le court terme à un impact sur le long terme». Considérée auparavant comme exotique, voire hérétique, la finance verte est devenue tendance. C'est à ce thème que Macron a décidé de consacrer son One Planet Summit du 12 décembre. «Sont attendues de nombreuses initiatives de la finance privée pour intégrer les enjeux climatiques dans les marchés internationaux», assure Canfin.

Nulle pulsion philanthropique. Ou accès d'écologie politique. Si le climat intéresse les firmes comme le secteur financier, c'est par rationalité. Certains voient leurs activités menacées par le réchauffement - l'agrobusiness, les assurances, les équipementiers - et d'autres anticipent les régulations que pourraient mettre en place les Etats ou les institutions internationales. Alors qu'il y a peu, investir dans le solaire ou l'éolien était considéré comme aventureux, c'est aujourd'hui le charbon qui porte ce facteur de risques. «Il y a de plus en plus d'investisseurs qui misent une grande partie de leur portfolio dans des projets, des entreprises, qui suivent des engagements environnementaux stricts», poursuit Feike Sijbesma. Ainsi PKA, un fonds de pension danois, porte maintenant 25 % de son capital dans des projets tels que des fermes éoliennes ou de rénovation thermique de bâtiments. Pour une raison simple : ils fournissent des retours sur investissements plus sûrs que les actifs traditionnels.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique