Analyse

Comment les syndicats contribuent à réduire les inégalités de revenus

Présents dans l’entreprise, les syndicats influencent la politique salariale au profit des moins rémunérés. Le déclin du syndicalisme est l’une des explication de la croissance des inégalités de revenus. Une analyse de Patrice Laroche, professeur en sciences de gestion à l’Université de Lorraine, extraite du site The Conversation.

Publié le 16 novembre 2017

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Revenus Salaires

Les écarts de revenus se sont particulièrement accentués au cours des dernières décennies. Les 10 % les plus riches se sont enrichis plus vite [1] que les 90 % les plus pauvres dans de nombreux pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Or, un facteur peu évoqué dans les discussions sur les inégalités de revenus est l’influence des syndicats sur les politiques salariales. Que sait-on réellement du rôle joué par les organisations syndicales de salariés dans la répartition des richesses ?

Un taux de syndicalisation élevé fait baisser les inégalités de revenus

Un récent rapport du Fonds monétaire international [2] montre que la présence syndicale participe à la promotion de politiques sociales redistributives [3] et contribue à réduire les inégalités salariales. Au niveau macro-économique, le taux de syndicalisation expliquerait une part importante des inégalités de revenus observés au sein de chaque pays. Ainsi, les pays scandinaves, où les taux de syndicalisation sont les plus élevés des pays de l’OCDE [4], affichent les niveaux d’inégalités de revenus les plus bas.

Toutefois, l’existence d’une corrélation, même forte, ne signifie pas pour autant qu’il existe une relation de cause à effet. Les données macro-économiques disponibles ne tiennent pas compte par exemple des caractéristiques culturelles, institutionnelles et technologiques propres à chaque pays. Celles-ci pourraient expliquer les écarts de revenus.

Il existe cependant d’autres études au sein de chaque pays qui confirment l’importance de la syndicalisation sur les écarts de salaires. Aux États-Unis, où le déclin syndical est aussi marqué qu’en France [5], les études existantes suggèrent que la baisse de la syndicalisation dans le secteur privé est responsable de 10 à 20 % de l’évolution récente des inégalités de revenus au sein du pays. Entre 1983 et 2012, le taux de syndicalisation a diminué de neuf points de pourcentage aux États-Unis [6], passant de 20,3 % à 11,3 %. Dans le même temps, les plus aisés ont vu leur part de richesse augmenter d’environ huit points.

Cette tendance se retrouve également dans d’autres pays. Au Canada, 15 % des inégalités de revenu du travail s’expliqueraient [7] par le déclin syndical. De même, la désyndicalisation explique environ 15 % de l’accroissement des écarts de salaire entre 1980 et 1990 en Grande-Bretagne [8].

Quel que soit le pays, les organisations syndicales ont tendance à privilégier des systèmes de rémunération fondés sur des critères objectifs, attachés aux emplois plutôt qu’aux individus. Cette préférence des organisations syndicales, associée à leur lutte contre les discriminations, tend à compresser l’échelle des salaires fixes. Au final, la façon dont les syndicats réduisent les inégalités dépend des caractéristiques des salariés et du degré de centralisation et de coordination de la négociation collective.

Des écarts de salaires moins grands

Des recherches ont montré que la présence syndicale avait tendance à améliorer plus particulièrement la situation des bas salaires. Aux États-Unis, les chercheurs Richard Freeman et James Medoff observent [9], dès la fin des années 70, que la présence syndicale réduit d’environ 15 % l’écart salarial entre les cadres et les non-cadres. Les syndicats compressent l’étendue des salaires parce que la prime syndicale est de plus grande ampleur pour les bas salaires et s’avère plus modérée pour les moyens et hauts salaires. Une étude plus récente [10]de Kevin Banning et Ted Chiles a même montré que la syndicalisation réduisait de 19 % le niveau de salaire des PDG aux États-Unis.

Dans la même veine, Rafael Gomez et Konstantinos Tzioumis ont révélé [11] que la rémunération des cadres dirigeants était bien moins élevée en présence de syndicats et qu’ils bénéficiaient de beaucoup moins de stock-options que leurs homologues d’entreprises comparables sans syndicats.
Dans les pays d’Europe continentale, où la négociation collective a lieu à la fois au niveau local et au niveau national, la négociation d’entreprise fixe les salaires à des niveaux supérieurs à ceux négociés au niveau national.

Mais les effets des accords d’entreprise sur la dispersion des salaires diffèrent beaucoup selon les études et les pays étudiés. En France, la seule présence syndicale dans les entreprises ne suffit pas à expliquer l’évolution des inégalités de richesse, notamment parce que, contrairement aux États-Unis, les revenus de transfert (prestations et allocations sociales) compensent partiellement les inégalités de revenus du travail et de capital. En Allemagne [12], les syndicats affectent non seulement le niveau et la dispersion des salaires mais aussi l’ensemble des composantes de la rémunération. Ils agissent notamment sur le salaire des dirigeants d’entreprise dans le cadre de leurs prérogatives dans les conseils d’administration.

La santé économique des entreprises passe par une répartition moins inégalitaire des profits

Le déclin syndical auquel on assiste depuis plusieurs années explique en partie l’accroissement des inégalités de revenus dans les pays développés. Face à l’offensive de plus en plus marquée du capitalisme financier qui ne se préoccupe que de l’enrichissement de ses actionnaires (les revenus du capital ont progressé plus vite que les revenus du travail depuis 25 ans), il est important de rappeler que l’entreprise est un « objet d’intérêt général ».

Si les entreprises veulent demeurer compétitives, il faut que l’ensemble des salariés soit directement concerné par la prospérité de l’entreprise. On sait, depuis John S. Adams [13], que le montant des salaires n’explique pas complètement la motivation et l’implication des salariés. La perception de la rémunération des autres joue un rôle important pour les salariés qui se trouvent dans des situations financières plus difficiles. Le fait syndical contribue ainsi au sentiment de justice distributive perçue par les salariés.
Pourtant, rappellent Blanche Segrestin et Armand Hatchuel [14], il ne peut y avoir de dynamiques d’innovations et donc de croissance économique sans « un projet commun qui implique non seulement ceux qui apportent le capital initial mais aussi ceux qui pourront développer dans l’action collective de nouveaux potentiels ». Il importe donc de redonner toute sa place à la négociation collective [15].

Patrice Laroche
Professeur des Universités en sciences de gestion, Université de Lorraine

Extrait de « Comment les syndicats contribuent à réduire les inégalités de revenus », initialement paru sur le site The Conversation, 20 août 2017

Photo / CC by Hervé


[1Voir « Distributional national accounts : methods and estimates for the United States », Thomas Piketty, Emmanuel Saez, Gabriel Zucman, Working paper 22945, National bureau of economic research, décembre 2016.

[2« Inequality and labor market institutions », Florence Jaumotte et Carolina Osorio Buitron, FMI, juillet 2015.

[5« Taux de syndicalisation : le vrai du faux », in Le billet économique, Marie Viennot, France cultures, mai 2016 ;

[6« Unions, norms, and the rise in U.S. wage inequality », Bruce Western et Jake Rosenfeld, in American Sociological Review, American Sociological Association, 2011.

[7« Canadian inequality : recent developments and policy options », Nicole Fortin et al., in Canadian Public Policy, Volume 38, n° 2, University of Toronto Press, juin 2012.

[8« Trade Unions and the Dispersion of Earnings in British Establishments, 1980–90 », Amanda Gosling et Stephen Machin, working paper n° 4732, National bureau of economic reserch, 1994.

[9Voir la recension (en anglais) par Teresa Ghilarducci dans le Journal of Legislation de l’ouvrage What do unions do ? de Richard B. Freeman et James L. Medoff, Basic Books, 1984.

[10« Trade-offs in the Labor Union-CEO Compensation Relationship », Kevin Banning et Ted Chiles, Journal of Labor Research, vol. 28, issue 2, 2007.

[11« What Do Unions Do to Executive Compensation ? », Raphael Gomez et Konstantinos Tziousi, Centre for Economic Preformance, LES, 2006

[12« Does codetermination affect the composition of variable versus fixed parts of executive compensation ? » Katharina Dyballa et Kornelius Kraft, ZEW discussion papers, n° 15-053, 2015.

[13Dans un article de 1963 intitulé « Toward an understanding of inequity », le psychologue John Stacey Adams a introduit la théorie de l’équité selon laquelle les individus s’efforcent de maintenir le rapport entre leur effort au travail et leurs revenus à un niveau équivalent des personnes qu’ils estiment similaires. NDLR.

[14Refonder l’entreprise, Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, La République des idées-Seuil, 2012.

[15Voir « Dialogue social : plus de transparence pour construire la confiance », The Conversation, juillet 2017.

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Date de première rédaction le 16 novembre 2017.
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