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Face à l'ennemi iranien, Israël et l'Arabie saoudite de plus en plus proches

Alors que de nombreux observateurs pointent le risque d'escalade entre Israël et le Hezbollah depuis la démission du Premier ministre Saad Hariri, le chef d'Etat-major de Tsahal a brisé un tabou en s'exprimant dans la presse saoudienne pour démentir une telle éventualité à court-terme, tout en disant l'Etat hébreu parfaitement aligné sur les positions anti-iraniennes de Riyad.
par Guillaume Gendron, Correspondant à Tel-Aviv
publié le 18 novembre 2017 à 11h40

C'est une première, et une preuve que les temps changent et les tabous sautent. Et vite. Jeudi, le pure player saoudien Elaph, basé à Londres, a publié une interview du chef d'Etat-major israélien Gadi Eizenkot. Officiellement, les deux pays n'entretiennent aucune relation diplomatique. Officiellement, seulement. Car des deux côtés, on ne s'embarrasse plus pour afficher les signes d'alignement face à l'ennemi commun iranien, «la plus réelle et grande menace dans la région», selon la tête de Tsahal, prêt à «partager expériences et renseignements avec les pays arabes modérés pour confronter l'Iran». Y compris l'Arabie saoudite, insiste le militaire, «avec qui nous sommes en total accord, et qui n'a jamais été notre ennemi». Israël est désormais une puissance sunnite comme les autres, plaisantent les observateurs israéliens dans la revue Foreign Policy.

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Ces effusions diplomatiques répondent aux derniers coups de dés lancés par l'hyperactif prince saoudien Mohammed ben Salmane, dit MBS, nouvel homme fort du royaume. Il y a d'abord eu l'inattendu et pour le moins trouble épisode Saad Hariri, Premier ministre libanais démissionnaire voire démissionné par les Saoudiens, qui s'est justifié depuis Riyad par un argumentaire anti-iranien musclé, fustigeant le rôle du Hezbollah dans le pays. Un développement qualifié par Eizenkot de «compliqué» et «surprenant», en concomitance avec la purge sans précédent opérée par MBS parmi les princes, ministres et autres oligarques saoudiens. Enfin, pour compléter le tableau, il y a eu ce missile tiré par les rebelles yéménites en direction de Riyad, intercepté par les Saoudiens qui en ont attribué la responsabilité à l'Iran.

Curieux tandem «sioniste-wahhabite»

Le tout donne une impression de glissement tectonique, avec d'un côté Téhéran et ses visées hégémoniques sur un croissant qui passerait par l'Irak, la Syrie, le Liban jusqu'à la Méditerranée, et de l'autre, un axe Washington-Riyad-Tel-Aviv à bout de patience avec l'Iran et ses immixtions au Yémen et en Syrie. Sans compter les doutes sur le respect de l'accord sur le nucléaire iranien, éternel cheval de bataille israélien désormais enfourché sans nuance par Donald Trump. Le chef d'Etat-major de Tsahal y voit une «opportunité pour une nouvelle coalition internationale dans la région. Il devrait y avoir un plan régional majeur pour stopper la menace iranienne.»

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Ainsi, la déstabilisation du Liban entraînée par le feuilleton Hariri – qui devrait être «exfiltré» à Paris ce week-end – a réveillé le spectre d'une nouvelle guerre entre Israël et le Hezbollah libanais, grand allié de l'Iran. Le premier à avoir tiré la sonnette d'alarme est l'ancien ambassadeur américain en Israël, Dan Shapiro, qui, dans une tribune publiée dans Haaretz, juge «plausible que les Saoudiens essaient de créer un contexte pour contester l'influence iranienne au Liban par de nouveaux moyens : une guerre entre Israël et le Hezbollah». Un épouvantail vite agité à son tour par le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui a accusé le curieux tandem «sioniste-wahhabite» de vouloir la destruction du Liban. En revanche, Nasrallah a bien pris garde de ne pas enflammer plus encore la situation en défendant l'unité nationale.

«Nous ne sommes pas idiots»

Observateurs et militaires l’ont toujours dit : un nouveau conflit, après la guerre de 2006, entre l’Etat hébreu et le Hezbollah n’est pas une question de «si» mais de «quand». En une décennie, le Hezbollah a considérablement renforcé sa force de frappe balistique, estimé entre 100 000 et 130 000 roquettes, soit presque dix fois plus que lors de la deuxième guerre du Liban. Ses hommes – environ 20 000 combattants et autant de réservistes – se sont aguerris en Syrie et ont reçu quantité d’armes de leurs alliés iraniens et russes.

Depuis des mois, les faucons du gouvernement Nétanyahou laisse entendre que cette menace devra être réglée tôt ou tard, expliquant que l’armée libanaise n’est désormais plus qu’une branche affiliée au Hezbollah et que toute distinction entre la force paramilitaire et les institutions libanaises est une illusion. A ce titre, si guerre il y a, les Israéliens ont déjà prévenu qu’ils ne feraient pas de distinction entre infrastructures militaires et civiles et qu’ils frapperaient très fort dès les premiers jours. En somme, si le Hezbollah entend s’attaquer à l’Etat hébreu après une décennie de relatif calme, il devra prendre le risque de voir Israël raser le Liban.

Cependant, il semble peu probable que Tel-Aviv se laisse emporter par l'impulsivité saoudienne. En off, un officiel israélien trouve même la tribune de Shapiro risible : «C'est mal nous connaître. Nous ne sommes pas idiots au point de faire les guerres des autres.» Eizenkot ne dit pas autre chose : «Nous n'avons aucune intention d'engager un conflit avec le Hezbollah au Liban.» Mais précise : «Cependant, nous n'accepterons pas une menace stratégique envers Israël.» De son côté, le Hezbollah, déjà engagé militairement sur plusieurs fronts en Syrie, a peu intérêt à prendre les devants d'une attaque sur Israël, dévastatrice pour le Liban.

Vendredi, lors d'une visite officielle à Moscou, Gebran Bassil, le chef de la diplomatie libanaise, mettait en garde l'Etat hébreu, dans une interview à Russia Today«Tout le monde peut partir en guerre contre nous. Mais je doute encore que ce scénario soit probable car les conséquences affecteraient ceux qui commenceraient une telle guerre. Bien sûr, le Liban en souffrirait et veut l'éviter, même s'il gagne la guerre. (...) Mais nous ne devons pas inciter Israël à déclencher cette guerre parce qu'il peut la perdre. Nous devons dissuader Israël de déclencher la guerre car il est certain que le Liban en serait le vainqueur.»

«Alarmiste et simpliste»

Ofer Zalzberg, analyste israélien à l'International Crisis Group, juge lui aussi la perspective d'un troisième conflit israélo-libanais peu probable à court terme : «Cette hypothèse apparaît alarmiste et simpliste. Car le coût d'une telle guerre pour le Hezbollah comme Israël serait excessivement élevé.» Selon Zalzberg, même si Israël mène une guerre parfaitement planifiée contre le Hezbollah, l'Etat hébreu devra faire face à un degré de violence «rarement vu depuis longtemps. On parle d'ogives de 400 kilos qui touchent le centre de Tel-Aviv, de l'aéroport Ben Gourion probablement durement touché. Ce sont des images auxquelles la société n'est plus prête. Politiquement, ce serait très difficile à assumer. Comment expliquer aux Israéliens que leurs fils meurent pour défendre les intérêts saoudiens ? Nétanyahou n'a aucune envie de ça.» Malgré ses saillies belliqueuses, le Premier ministre israélien est connu pour son aversion pour les conflits frontaliers, les deux guerres ayant éclaté sous son mandat touchant uniquement Gaza.

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Néanmoins, l'analyste reconnaît que le nouvel agenda saoudien change la donne : «C'est une nouvelle source de souci. Les Saoudiens n'ont connu que des échecs : au Yémen, en Syrie, même leur stratégie vis-à-vis du Qatar ne semble pas fonctionner. Ils veulent un succès, et ils cherchent visiblement l'escalade avec l'Iran.» D'autres analystes estiment au contraire que les Saoudiens n'auraient pas grand-chose à gagner d'un conflit Israël-Liban, qui pourrait relégitimer le Hezbollah dans l'opinion arabe, y compris dans le royaume.

Pour Ofer Zalzberg, la zone à surveiller est la province syrienne de Kuneitra, sur le plateau du Golan, qui touche la ligne de l'armistice entre Israël et la Syrie : «Si les forces pro-Assad en prennent le contrôle avec des hommes du Hezbollah, Israël verra cela comme une agression, une nouvelle ligne de front, et se sentira obligé de réagir pour les déloger. Un échange de tirs peut alors vite dégénérer...»

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