A cause de la déforestation de l’Amazonie, le Brésil ne pourra pas atteindre ses objectifs de baisse de CO2, en 2030. PHOTO : Guiseppe Bizzari - Panos/Réa
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Entretien

COP23 : « La réduction du train de vie des plus riches est la véritable priorité »

8 min
Gaël Giraud économiste en chef à l’AFD, directeur de recherche au CNRS, directeur de la Chaire Energie et Prospérité

Les annonces des Etats sont trop faibles pour limiter à 2 °C le réchauffement de la planète. Pour Gaël Giraud, économiste en chef à l’Agence française de développement (AFD), une discussion sur le « partage du fardeau » est incontournable. 

La COP23 se tient en ce moment à Bonn. Hormis le cas américain, percevez-vous un mouvement des Etats pour rehausser le niveau des ambitions climatiques ?

A l’ouverture de la COP231, 169 Etats sur 197 parties à la Convention climat avaient déjà ratifié l’accord de Paris de 2015. A Bonn, ils ont confirmé des engagements nationaux sur leurs niveaux d’émission à l’horizon 2030 qui, il y deux ans, n’étaient qu’intentionnels et, par ailleurs, pris acte de la gravité des menaces qui pèsent sur la sécurité alimentaire au Sud. Autant d’aspects très positifs.

En revanche, il n’y a pas encore de mobilisation des Etats pour fixer des objectifs d’émission compatibles avec la réalité climatique, ni en termes de niveau ni en termes d’horizon. Il est très probablement trop tard pour garantir que le réchauffement n’excédera pas les 2 °C. Cet objectif nécessite, d’une part, de relever l’ambition des objectifs nationaux à l’horizon 2030, et, d’autre part, de définir des trajectoires nationales au-delà de cette échéance.

« Non seulement les objectifs nationaux ne sont pas cohérents avec la trajectoire de long terme des 2 °C, mais ils s’avèrent souvent fragiles en eux-mêmes »

Or, non seulement les objectifs nationaux ne sont pas cohérents avec la trajectoire de long terme des 2 °C, mais ils s’avèrent souvent fragiles en eux-mêmes. Prenons le cas de deux pays, le Brésil et la Chine, avec lesquels l’AFD travaille. Brasilia est très bien partie pour atteindre son objectif de 45 % d’énergies renouvelables en 2020 dans sa production énergétique. Cependant, cela ne suffira pas pour parvenir à la baisse de 43 % de ses émissions en 2030 par rapport à 2005 à laquelle le Brésil s’est engagé. Le problème ? La reprise de la déforestation de l’Amazonie l’an dernier. Dans ce pays comme dans d’autres, les politiques sectorielles et les moyens mis en œuvre restent à clarifier.

Le cas de la Chine est, quant à lui, révélateur d’un autre problème : la nature des outils dont se sert un Etat pour définir ses objectifs nationaux. Pour évaluer les impacts économiques de son objectif climatique – un pic des émissions de CO2 au plus tard en 2030 –, Pékin a recours à ce qu’on appelle un modèle d’équilibre général calculable qui n’intègre ni dette ni chômage. Du coup, on peut s’interroger sur ce qu’il restera des ambitions chinoises en cas de choc sur la dette (privée) ou de forte hausse du chômage.

Comment les négociations internationales devraient-elles s’orienter pour relever l’ambition ?

Pour rester aussi proche que possible du seuil des 2 °C avec une probabilité raisonnable (environ 60 %), le cumul des émissions futures de CO2 ne doit pas excéder environ 1 000 Gt de carbone, soit une trentaine d’années d’émissions au rythme actuel. L’accord de Paris, fondé sur ce que chaque Etat est prêt à faire pour réduire ses émissions, ne suffit pas, puisque la somme des engagements nationaux ne respecte pas, et de loin, le « budget carbone » dont dispose encore l’humanité. Il faudra tôt ou tard réorienter les négociations internationales à la lumière de cet impératif : rester le plus proche possible de l’enveloppe à laquelle nous avons droit. Autrement dit, il faut que les Etats se partagent la charge de la baisse des émissions mondiales.

Cette idée n’est-elle pas enterrée depuis l’échec et l’abandon du protocole de Kyoto, en 2009 ?

En effet. Mais force est de constater que la logique actuelle, qui consiste à additionner des engagements nationaux unilatéraux, est un échec. Nous avons le choix entre, d’un côté, laisser les rapports de force régler les problèmes climatiques – c’est, entre autres, l’attitude apparente de Donald Trump –, et, de l’autre, engager le débat sur le partage de ce qui reste du budget carbone mondial. Concrètement, il faut ouvrir la discussion sur le nombre de tonnes que chaque pays a le droit d’émettre.

« Il s’agit d’ouvrir une discussion démocratique sur une répartition rationnelle du budget carbone qui pourrait recueillir le plus grand nombre d’avis favorables »

Si l’on se range à cette idée, se pose alors la question des critères. Le budget carbone de chaque pays doit-il être fonction de son produit intérieur brut (PIB) ? De son PIB par habitant ? Du cumul de ses émissions passées ? De ses émissions actuelles ? Et si l’on adopte plusieurs critères, quelle pondération retenir ? Bien sûr, chaque pays propose ses propres critères, et sera toujours soupçonné d’être biaisé par l’idéologie ou par son intérêt propre — d’où l’abandon de Kyoto. En collaboration avec Beyond Ratings, nous avons identifié d’un point de vue statistique la clé de répartition qui serait le plus souvent proposée par les Etats si la négociation internationale était menée de manière complètement aléatoire, autrement dit celle qui a le plus de chances d’émerger dans une discussion politique à venir, quelle que soit la manière dont celle-ci s’engagera. On arrive finalement à un résultat intuitif : la moyenne tourne autour de 4,65 t CO2 par habitant et par an (contre 72 tonnes aujourd’hui pour le 1 % « supérieur » de la population mondiale, qui dispose d’un revenu moyen de 135 000 dollars par an). L’Afrique, l’Inde et l’Amérique latine ont de plus gros budgets carbone par habitant que la Chine et les pays riches. Le paradis fiscal qu’est l’île de Man a le budget le plus faible (3,7 t), le Soudan du Sud, le plus élevé (11,9 t).

Il ne s’agit pas de décider à la place des Etats souverains ce qu’ils ont à faire, mais d’ouvrir une discussion démocratique sur une répartition rationnelle du budget carbone qui pourrait recueillir le plus grand nombre d’avis favorables. Si ce sujet n’est pas introduit dans la négociation internationale, les problèmes climatiques auront toutes les chances de se régler par un bras de fer. C’est un enjeu de justice.

Comment articuler la question climatique et celle des inégalités de développement ?

La première remarque à faire, c’est que les principaux pollueurs, ce sont les riches. Au niveau mondial, les 10 % les plus riches sont la source de 50 % des émissions de gaz à effet de serre, tandis que les 50 % les plus pauvres y contribuent pour 10 %. A l’échelle d’un pays comme l’Inde, la moitié des émissions liées à la production électrique est le fait de moins de 15 % de la population, tandis que près d’un tiers des Indiens est privé d’accès au réseau. La délimitation pertinente n’est pas tant entre les Etats qu’à l’intérieur de ceux-ci.

« Les 10 % les plus riches sont la source de 50 % des émissions de gaz à effet de serre, tandis que les 50 % les plus pauvres y contribuent pour 10 % »

Pour autant, la question climatique ne se réduit pas à celle des inégalités. Si chaque humain disposait du revenu mondial moyen actuel, environ 8 000 dollars en parité de pouvoir d’achat 2014, les émissions annuelles seraient en moyenne d’environ 6,5 tonnes de CO2 par personne, à peine inférieures aux émissions actuelles. Même si nous parvenions à une société purement égalitariste, nous n’aurions donc pas résolu le problème du climat. Cela ne veut évidemment pas dire qu’il ne faille pas s’attaquer aux inégalités ! Mais il faut avant tout décarboner notre modèle énergétique, ce qui passe non seulement par le déploiement des technologies bas carbone, mais aussi par la sobriété de la consommation. La réduction du train de vie des plus riches est la véritable priorité. A moins de cela, et quand bien même nous parviendrions à gagner la bataille des inégalités, le chaos écologique provoquera des catastrophes dont les plus pauvres et les classes moyennes sont déjà les premières victimes. A 6 300 dollars par personne et par an – et plus de 70 % de la population mondiale vivent encore en dessous de ce seuil –, nous atteindrions la « neutralité carbone » au niveau planétaire. Les 30 % les plus favorisés sont-ils prêts à faire cet effort ?

Pour les pays et les populations pauvres et qui polluent peu, l’enjeu principal est l’adaptation aux chocs climatiques présents et futurs. Où en est le bras financier de la coopération française ?

L’adaptation est un sujet sur lequel toutes les agences d’aide au développement sont en retard. A l’AFD, la moitié de nos financements ont un cobénéfice climat et notre objectif est désormais que 100 % de nos opérations soient compatibles avec l’accord de Paris. Pour l’heure, elles portent en majorité sur la baisse des émissions : nous devons progresser sur l’adaptation. Cela pose des difficultés techniques et scientifiques redoutables. La rapidité de la montée du niveau de la mer, par exemple, est capable de modifier le sens des courants et des vagues. Il n’est donc pas simple de savoir si une digue que l’on construit aujourd’hui sera efficace dans cinquante ans. Il y a par ailleurs un problème d’outils : les institutions financières sont équipées pour instruire des projets chiffrés en centaines de millions d’euros. Or, financer l’adaptation, cela passe notamment par le soutien à des projets d’agroécologie en milieu rural, par définition de petite taille. Sachant que la titrisation n’est pas la solution, le financement des « petits tickets » est un vrai défi d’innovation financière pour les bailleurs !

 

  • 1. COP23 : 23e Conférence des parties à la Convention des Nations unies sur le climat.
Propos recueillis par Antoine de Ravignan

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Commentaires (1)
Zap Pow 16/11/2017
Mais pour les plus riches, la priorité est justement de ne pas subir de réduction de leur train de vie. Ils préfèreront sans doute massacrer les populations pauvres, déclarées excessives.
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