Moins de 10 % des contributeurs de Wikipédia sont des femmes. Seulement 16 % des biographies de l’encyclopédie portent sur des femmes. L’équilibre entre les genres sur la plateforme est encore loin d’être atteint. De nombreux projets à travers le monde voient le jour pour diversifier les articles, dont l’organisation d’ “édit-a-thons”, des rencontres pour combattre le sexisme en ligne.
Les femmes dénoncent leurs porcs à coup de hashtags, se solidarisent en témoignant et en descendant dans les rues pour dire non au patriarcat… Un autre combat se mène sur un site que l’on utilise tous presque quotidiennement où des problèmes de représentations perdurent. Les biographies de femmes y sont peu présentes, des biais de genres se faufilent dans les articles. Sexiste, Wikipédia ?
Des collectifs se créent ces dernières années pour féminiser les pages du cinquième site le plus visité en France. Notamment avec l’organisation d’“édit-a-thon”. Contraction d’édition et de marathon, ce sont des événements mis en place dans le but d’enrichir des contenus spécifiques sur des plateformes de savoir libre telles que Wikipédia et de remédier au fossé entre les genres. C’est dans cet objectif que s’est créé le collectif belge Just For The Record initié par Myriam Arseneault-Goulet, Loraine Furter, Sarah Magnan et Mia Melvær en 2015.
Ecrire l’histoire d’une manière plus inclusive
Dans une envie de partage et de rencontres, elles organisent ces marathons qu’elles nomment “empowering editing session”, “des sessions d’édition qui donnent de la puissance d’agir, c’est cette dimension-là qui a été super importante” traduit Loraine Furter. Agir en rédigeant collectivement des articles sur des femmes, en dépassant le stade des constats, en appuyant sur le bouton “modifier”. “Avec les livres d’histoire, quand ils sont publiés, il est trop tard pour changer. Sur le site, il est possible de changer les choses” continue la graphiste et chercheuse. Ces événements sont ouverts à tous, pas besoin de compétences particulières, juste l’envie d’apprendre à écrire l’histoire ensemble, d’une manière plus inclusive.
Depuis la Suisse, Natacha Rault, chargée de projet au Bureau de l’égalité de l’Université de Genève, décide également de mener des actions contre le manque de représentations des femmes sur l’encyclopédie. En 2016, elle crée les sans pagEs, un collectif destiné à mettre en place une “vraie communauté en ligne qui collabore de manière participative aux projets Wikimédia en produisant des articles sur des femmes, des sujets liés au genre et aux femmes” explique la créatrice du mouvement. Plus d’une centaine de personnes participent au projet et presque 2 000 articles ont été publiés à ce jour sous l’impulsion du collectif. “Les édit-a-thons doivent à mon avis pouvoir être reliés à une pratique en ligne qui aille au delà de ces événements. Le but des sans pagEs est de fédérer toutes ces activités pour les rendre plus visibles”, affirme Natacha Rault.
L’enjeu est donc également de pouvoir collaborer avec d’autres initiatives linguistiques et faire en sorte que le mouvement continue d’exister en dehors des ces ateliers ponctuels. Ces deux projets engagés dans la lutte féministe sont soutenus financièrement par la fondation Wikimédia qui héberge l’encyclopédie en ligne.
Loraine Furter soutient que “c’est la fondation Wikimédia qui a commencé elle-même à mener les premières enquêtes sur les utilisateurs et utilisatrices” et que ce serait donc à ce moment-là qu’ils se sont rendu compte que seulement 10 % des éditeurs étaient des femmes. “Depuis, cela a été l’un de leur objectif prioritaire d’avoir une représentation plus égalitaire”, assure-t-elle.
“Héros” “Héroïne” ou héroïsme ?
Les éditeurs et éditrices se retrouvent parfois devant des dilemmes. “Nous avons commencé par travailler sur la page ‘héroïne’ en anglais, qui est directement redirigée vers la page ‘héros’ en français où il n’y avait quasi exclusivement que des représentations masculines” explique Just For The Record. Le collectif décide de s’adresser à la communauté Wikipédia et d’ouvrir une discussion. Faut-il créer une page spéciale pour “héroïne” ou plutôt renommer la page “héros” en un terme plus neutre, celui “d’héroïsme” ? Leur envie penche plutôt vers la dernière option, mais la communauté en a décidé autrement. Les quatre wikipédiennes ont travaillé sur cette page en ajoutant des figures féminines. Depuis, certaines images ont été supprimées. “On est donc revenu en arrière par rapport à ce que l’on avait fait. Cela demande un grand investissement.”
Opsylac (pseudo Wikipédia), organisatrice de ces journées contributives du côté de Grenoble, insiste sur le fait qu’il faut aussi faire attention aux biais de genres dans les articles. “Lors d’un édit-a-thon, une participante m’a expliqué qu’elle avait dû se reprendre elle-même alors qu’elle rédigeait la biographie d’une femme, car elle avait tendance à désigner cette femme par son prénom, tandis qu’elle désignait son mari par son nom de famille.”
Cette pratique n’est pas neutre, “cela a tendance à infantiliser et décrédibiliser”. Tout comme privilégier la vie privée et familiale d’une femme, “on s’intéresse souvent aux femmes ‘en tant que femmes’ et pas en tant que représentantes légitimes de leur corps de métier ou de leur discipline”.
Pour pouvoir créer de nouvelles biographies et des nouveaux articles sur Wikipédia, il est impératif de se fonder sur des sources. “Sur Wikipedia nous ne produisons pas de contenu inédit, et nous avons donc besoin de sources, aussi est-il extrêmement importants que les médias d’envergure publient des articles sur des femmes, car ce sont ces sources que nous utilisons.” tient à informer Natacha Rault. Une sorte de cercle vicieux dont il serait grand temps de sortir. Wikipédia, bien qu’assis au banc des accusés, reste malgré tout un formidable outil, accessible à tous, pour s’affranchir de ces problèmes de représentations. A chacun d’en faire bon usage.
Le prochain édit-a-thon organisé par Just For The Record aura lieu le 22 novembre au Beursschouwburg à Bruxelles. Le 25 novembre, un “édit-a-thon” sera mis en place à Montpellier avec les Archives départementales de l’Hérault.