Arts

Fous d’art brut

La Maison de Victor Hugo explore les œuvres collectionnées par des psychiatres.

publié le 19 novembre 2017 à 17h16
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L'inconscient collectif associe si étroitement le visage d'Adèle H. à celui d'Isabelle Adjani dans le film de François Truffaut qu'on peine à imaginer le personnage présentant sur son lit de mort l'apparence d'une vieillarde flétrie. Une photo prise en 1915 à Suresnes fait pourtant foi, dans la première salle de «la Folie en tête», au côté de courriers manuscrits antérieurs, rédigés par des médecins : «L'état continue à être aussi satisfaisant que possible ; elle conserve toujours son agitation et son besoin de mouvement.» Car, soignée pour troubles mentaux, la cinquième fille de l'illustrissime écrivain a passé la (seconde) moitié des 84 années de sa vie en retrait de ses congénères, sans pour autant couper les liens avec la créativité artistique (écriture et piano).

Sésame. C'est donc cette figure romanesque qui, avec celle - bien moins connue mais tout autant insane - de son oncle, Eugène, lui-même écrivain et dépressif chronique, sert de sésame à l'actuelle exposition parisienne de la Maison de Victor Hugo. Soit, sous-titré «aux racines de l'art brut», le second volet, après celui ayant tourné autour du spiritisme en 2012, d'une trilogie voulue par Gérard Audinet, directeur du lieu et ici commissaire (avec Barbara Safarova), désireux d'explorer ces «nouveaux territoires, étranges, parallèles ou marginaux, qui viendront s'agréger à la géographie artistique au XIXe siècle.»

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Follement instructive, l'évocation précise en incipit que le premier médecin - un certain Benjamin Rush - connu pour avoir collectionné des œuvres de patients le fit à la fin du XVIIIe siècle. Et que la première exposition explicitement dévolue à ce mouvement se tint en 1900 à Londres, au Bethlem Royal Hospital. «Après avoir envisagé une approche monographique, ou fondée sur des critères techniques, nous avons ainsi finalement opté pour un accrochage centré sur ces psychiatres et aliénistes qui, les premiers, ont pris en considération ces œuvres, tels des inventeurs au sens archéologique du terme», complète Audinet.

Parias. Privilégiant un axe tantôt thérapeutique, tantôt esthétique, donc respectivement orienté vers l'archivage, puis la monstration (dans les établissements, puis des galeries ou des musées) quatre collections européennes (écossaise, française, suisse et allemande) retracent à travers 200 œuvres compilées, la démarche éclairée de médecins capables, un siècle avant qu'un Henry Darger ne se négocie autour de 600 000 euros, de déceler le talent hétérodoxe chez des êtres considérés comme des parias. D'Adolf Wölfli, autre star à son insu de l'art brut (sa cote grimpe à 150 000 euros), ici tête de gondole de la collection Walter Morgenthaler, à l'intrication de paysages naturalistes vaguement orientalisants et de compositions abstraites de l'énigmatique «Voyageur français» révélé par le docteur Auguste Marie, l'approche se veut singulière. Elle est aussi passionnante.