Guerre en Libye. Le témoignage d'un ex-pilote breton de Rafale

Par Ronan Tanguy

C'est un témoignage rare. Ancien pilote de chasse, Yannick Piart vient de sortir un ouvrage intitulé « La pointe du diamant ». Le militaire de 41 ans, installé à Saint-Pol-de-Léon, y décrit sa fierté d'avoir servi dans la Marine. Et raconte en détail comment il a vécu la guerre en Libye, en 2011, à bord des Rafale basés sur le porte-avions Charles-de Gaulle.

Guerre en Libye. Le témoignage d'un ex-pilote breton de Rafale
(Photo DR)

« Ma décision est prise : je frappe. Shoot ! ». Le Rafale frémit de soulagement. Les trois bombes de 320 kg qu'il transportait viennent d'être larguées quelque part entre Misrata et Tripoli. Leur cible ? Trois blindés khadafistes repérés dans une enceinte militaire. « Difficile de certifier leur destruction totale mais ça m'étonnerait qu'ils puissent rouler de nouveau un jour », décrit Yannick Piart, en regagnant le Charles-de Gaulle. Des épisodes comme ceux-là, le pilote de chasse en livre plusieurs dans un ouvrage comme il en existe peu. « J'avais envie de raconter comment on vit ce métier de l'intérieur », indique l'auteur, pour qui les liens entre armée et nation devraient être plus forts. « Le temps du tout secret est révolu. Il faut que les gens en sachent plus sur le travail que les hommes et les femmes qui portent l'uniforme effectuent avec dévouement, malgré les coupes budgétaires à faire hurler n'importe quel syndicat dans le civil », lâche le militaire aux vingt ans de carrière dans la Marine, qu'il a quittée en septembre. « J'ai vécu une aventure formidable », résume-t-il. Avec, en point d'orgue, ce conflit libyen, en 2011.

Maudite fuite de kérosène...


À l'époque, Yannick Piart sort tout juste de plusieurs mois de mission en Afghanistan. De retour chez lui à Saint-Pol-de-Léon, alors qu'il s'apprête à souffler et à revenir s'entraîner sur la base d'aéronautique navale (Ban) de Landivisiau (29), le monde arabe s'embrase. L'opération Harmattan est lancée par la France. Le 20 mars, le pilote repart en guerre. « Psychologiquement, ce fut difficile », admet-il. « Nous avons appris un jeudi que nous étions mobilisés. Trois jours plus tard, j'étais à nouveau sur le Charles-de-Gaulle ». Cette créature d'acier, comme il décrit le porte-avions, avec « son vacarme », « ses 2.000 membres d'équipage qui fourmillent » et son paradoxe : « Dès qu'on met un pied dessus, on veut s'en échapper. Mais dès qu'on revient à la maison, on a envie d'y retourner ». De jour comme de nuit, cinq mois durant, la quarantaine de pilotes à bord va enchaîner les vols à un rythme effréné. Avec, pour le Saint-Politain, juste un aller-retour éclair en France afin de ramener un Rafale « malade ». Et pour recevoir la Légion d'honneur des mains de Nicolas Sarkozy. « Il y avait chez moi un arrière-goût de culpabilité à laisser mon équipe en plein match », souligne le capitaine de corvette, en s'attardant sur la mission Scalp, du nom du missile à longue portée tiré pour la première fois en Libye. Yannick Piart doit alors gérer la montée d'adrénaline car il fait partie des trois pilotes retenus pour inaugurer cet armement. « Je n'ai pas peur. Mais on sent quand même de la tension. Ou plutôt une intense concentration », explique-t-il au moment de s'installer dans son cockpit. Avant d'en redescendre quelques minutes plus tard, à cause d'une fuite de kérosène sous son avion... La frustration envahit le militaire, à qui sera donnée une seconde chance dès le lendemain. « On me glissa que cette deuxième mission serait suivie en direct par le Premier ministre depuis la métropole », confie « Hans », le nom de guerre du Léonard.

La hantise des dommages collatéraux


Le ravitaillement des Rafale en plein air par les stations-service volantes appelées « nounous »,  les appontages au millimètre sur le porte-avions et « ces sensations qu'aucun manège ne peut procurer » ou encore le catapultage, le décollage au cours duquel le bolide passe de 0 à 300 km/h sur 75 m, en deux secondes : le pilote d'élite détaille les manoeuvres de cet avion de combat, « ce joyau à 100 millions d'euros ». Tout en insistant sur sa priorité absolue : éviter à tout prix les dommages collatéraux. « Comment voulez-vous vivre avec ça ensuite ? Il faut avoir une certitude totale avant de larguer une bombe », martèle Yannick Piart, attiré très jeune par l'aviation. « En regardant "Les Têtes brûlées" à la télé », rigole celui qui a mis trois ans avant d'obtenir le fameux macaron après avoir obtenu son Bac S. « Le boulot est exigeant et la sélection est rude. Mais il n'y a pas forcément besoin d'être une tête en math et un triathlète de compétition. Il faut être motivé, avoir les idées claires, la tête sur les épaules et savoir parler anglais ».

Une longue flamme verdâtre


« Je suis un privilégié. J'ai exercé le plus beau métier du monde », prolonge le quadragénaire. Une profession qui n'est pas sans danger. L'écrivain y fait allusion lorsqu'il évoque cette longue flamme verdâtre qui passa non loin de son Rafale lors d'une nuit libyenne. « Sûrement pas un feu d'artifice lancé par nos ennemis pour marquer leur gratitude à notre égard ». En s'adressant aussi à « Largo », un ami lieutenant de vaisseau disparu en mer lors d'un entraînement en octobre 2008, à qui est dédié ce livre au titre énigmatique. « Nous les pilotes, on constitue la pointe du diamant. Lorsqu'on appuie sur le bouton, c'est l'aboutissement du travail de milliers de personnes », explique l'auteur, qui a vécu la fin du conflit comme une libération. Avec le sentiment du devoir accompli. « Aider la population libyenne à sortir de la dictature était juste et légitime. On ne peut pas négocier avec tout le monde », estime-t-il en guise de réponse à ceux qui ont reproché le chaos qui a suivi la chute du régime Kadhafi. « Après la Révolution française aussi, il a fallu du temps avant la stabilité », compare le capitaine de corvette, qui se prépare à vivre une autre aventure. En partant à la découverte des mers du monde à la barre d'un catamaran. Probable que, là encore, il revienne avec des souvenirs en rafale.

Pratique « La pointe du diamant », 280 pages, aux Éditions Nimrod (21 €). Une partie des droits d'auteur sera reversée à l'association Les Ailes brisées. Yannick Piart sera en rencontre-dédicace, demain, à 18 h, à la librairie Dialogues, à Brest.

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