Proxénétisme dans les cités : «Les mêmes méthodes que pour le trafic de drogue»

La police démantèle de plus en plus de réseaux de proxénétisme qui asservissent de très jeunes femmes issues des quartiers. Interview avec Jean-Paul Mégret, patron de la brigade de répression du proxénétisme (BRP) de la police judiciaire parisienne.

«Il y a beaucoup moins de répression policière aujourd'hui par rapport au proxénétisme qu'au trafic de drogue», explique Jean-Paul Mégret. 
«Il y a beaucoup moins de répression policière aujourd'hui par rapport au proxénétisme qu'au trafic de drogue», explique Jean-Paul Mégret.  LP/OLIVIER BOITET

    Aujourd'hui, près d'un tiers de l'activité de la brigade de répression du proxénétisme (BRP) de la police judiciaire parisienne, dirigée par Jean-Paul Mégret, est consacrée à la prostitution des cités.

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    Peut-on parler d'un nouveau phénomène?
    Jean-Paul Mégret. Cette prostitution a explosé il y a deux ans environ. C'est un nouveau phénomène lié au profil sociologique des proxénètes, qui sont issus des cités et utilisent les codes, les méthodes violentes de celles-ci. Cette prostitution ne se déroule pas dans les cités mais dans des appartements Airbnb ou des résidences-hôtels, souvent réglés à partir de numéros de cartes bancaires frauduleux récupérés sur le Dark Net. Ce n'est pas une prostitution de voie publique, mais une prostitution qui émane de petites annonces sur Internet. On peut se demander si elle n'est pas d'ailleurs la conséquence de la loi du 13 avril 2016, qui a considérablement affecté l'activité de la prostitution de voie publique à travers la pénalisation du client.

    Quelle importance cette prostitution a-t-elle dans l'activité de votre brigade ?
    C'est quasiment un tiers de notre activité, entre 25 et 30 % de notre volume de gardes à vue (GAV), en sachant que l'on réalise entre 180 et 200 GAV par an. En deux ans, on est passé de 0 à 40-50 GAV.

    Pourquoi les délinquants des cités viennent-ils à la prostitution ?
    Souvent, ils pensent qu'ils ne font rien d'illégal car ils connaissent mal la loi. Ils ne voient que l'argent facile à gagner, à moindre risque par rapport au trafic de drogue. Il faut savoir qu'il y a beaucoup moins de répression policière aujourd'hui par rapport au proxénétisme qu'au trafic de drogue. Ces nouveaux macs utilisent souvent les mêmes méthodes que les dealers en utilisant des guetteurs pour assurer la surveillance des filles, des rabatteurs pour recruter les clients, des récolteurs pour récupérer l'argent. Avec les menaces de représailles et la violence qui caractérisent la délinquance des cités.

    Il y a beaucoup d'omerta ?
    Oui, les filles ont peur des représailles physiques. Il y a des séquestrations, des menaces avec arme, des actes de barbarie. Récemment, on a eu dans un dossier des filles couvertes de brûlures de cigarette. Les filles qui s'échappent sont parfois poursuivies. Les voyous les menacent aussi de balancer à leurs parents des photos prises dans des positions suggestives.

    Qui sont ces nouveaux macs ?
    Ce ne sont pas forcément les voyous les plus chevronnés de la voyoucratie des cités. Ils sont souvent connus de la police, mais pour des petits trafics de stups ou des escroqueries. Ils ont trouvé un moyen de faire de l'argent en passant par le Dark Net pour récupérer des codes bancaires. Ils sont férus de technologie. Ils sortent beaucoup dans les boîtes de nuit où ils recrutent les filles. Au début, ils font des prestations de sécurité pour elles, leur louent des chambres puis ils montent leur business. Aujourd'hui, ils se contentent en général de claquer leur argent en sortant, en voyageant, en roulant dans de luxueuses voitures. Mais cela peut vite évoluer. En deux ans, on voit déjà chez certains une professionnalisation. Ils comprennent que, pour durer, il faut mieux traiter les filles, mieux les rémunérer afin d'assurer leur fidélité. Cela représente beaucoup de cash. On est sur des prix relativement élevés : 100 € minimum la demi-heure. Certaines filles sont amenées ou contraintes à effectuer dix à douze prestations par jour.

    Et le profil des filles ?
    Elles ont entre 17 et 25 ans. Elles sont souvent en rupture sociale et familiale, en déshérence. Ce sont des jeunes filles qui ne sont pas toujours effrayées au départ par certaines propositions à caractère sexuel, mais qui se retrouvent vite dans un engrenage. Certaines, par débrouillardise, parviennent à porter plainte. La difficulté ensuite, c'est d'arriver à leur faire verbaliser ce qu'elles ont subi, à leur faire comprendre que ce sont des victimes. Elles ont une grande fragilité derrière leur apparente désinvolture. Il faut souvent leur proposer le soutien d'associations, de psychologues.

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