Après la mort de Tony, trois ans, battu par son beau-père, les voisins risquent des poursuites

Un an après que le petit garçon a été tué par son beau-père dans l'appartement familial, à Reims, une association de défense des droits de l'enfant demande à la justice de poursuivre les voisins qui n'avaient rien dit.

Tony avait 3 ans lorsqu’il est mort. Il y a près d’un an, lors d’une marche blanche en sa mémoire à Reims, une banderole affichait ces mots : « Tuons le silence pour que plus jamais un enfant ne meure sous les coups ».
Tony avait 3 ans lorsqu’il est mort. Il y a près d’un an, lors d’une marche blanche en sa mémoire à Reims, une banderole affichait ces mots : « Tuons le silence pour que plus jamais un enfant ne meure sous les coups ». DR, LP/PHILIPPE LAVIEILLE

    Coupables de n'avoir rien voulu voir? Un an après le décès de Tony, trois ans et demi, les voisins de ce garçonnet battu à mort dans le huis clos d'un appartement de Reims (Marne) sont plus que jamais sous la menace de poursuites judiciaires. Plusieurs d'entre eux avaient fait part dans la presse — puis devant la police — de leurs regrets de ne pas avoir fait plus pour ce petit, victime de violences chroniques depuis six semaines de la part du compagnon de sa mère, Loïc V., avec un déchaînement dans les quarante-huit heures précédant sa mort.

    Beaucoup étaient les témoins auditifs de ce martyre, dans cette barre d'immeuble dont les murs sont « épais comme du papier ». Mais la plupart se sont tus. Quant aux autres, leur action a été pour le moins timide. C'est pourquoi l'association Innocence en danger, partie civile, vient d'adresser une requête au juge d'instruction demandant la mise en examen de trois voisins et d'une amie du couple pour non-dénonciation de mauvais traitements et non-assistance à personne en péril... soit les mêmes chefs de poursuite que Caroline L., la mère de l'enfant.

    Des signalements restés infructueux

    De quoi agacer Jonathan, l'un des voisins en question, qui vit avec sa concubine dans l'appartement en dessous de celui qu'occupait la jeune femme. « Il faut arrêter de dire que l'on n'a rien fait, réagit-il. On entendait des violences mais pas le petit crier. J'ai quand même fait part de mon inquiétude au bailleur dix jours avant les faits. Quand je suis arrivé, les dames de l'accueil rigolaient, il a fallu que je tape du poing sur la table pour qu'elles m'écoutent », se remémore-t-il. Une semaine plus tard, la police intervient chez Caroline L. Jonathan pense alors que son signalement a été pris en compte. Ils viennent en fait pour des énièmes tapages, signalés par d'autres habitants.

    Katia, autre voisine visée, confiait l'an dernier avoir entendu des violences et constaté des bleus sur le visage de Tony. « Je ne l'ai vu que quatre fois, mais il avait toujours un bobo », nous avait-elle expliqué, précisant également avoir été, comme d'autres voisins, menacée par Loïc V.

    «Si on veut accuser des gens, alors c'est tout l'immeuble qu'il faut mettre au tribunal»

    « Il faisait peur à tout le monde, il était souvent alcoolisé, les yeux injectés de sang », détaille la fille de la voisine vivant au-dessus de Caroline L. La septuagénaire, qui souffre de problèmes d'audition, reste « traumatisée de ne pas avoir entendu », dit sa fille. Pour elle, la responsabilité de cette mort est aussi institutionnelle : ni le bailleur — qui se réfugie derrière le fait de n'avoir pas été saisi par écrit de soupçons de mauvais traitements — ni la crèche de Tony n'ont agi. « Après l'affaire, certaines personnes ont refusé de me dire bonjour, d'autres m'ont traité de tueur d'enfant ! Et maintenant la justice ? Ça va trop loin. Si on veut accuser des gens, alors c'est tout l'immeuble, et même celui d'à côté qu'il faut mettre au tribunal », réagit Jonathan.

    Le procureur de la République lui-même, qui estimait que sans l'inaction des voisins « cet enfant aurait pu passer Noël 2016 », n'exclut pas des poursuites mais se donne « trois à quatre mois » pour décider. « Doit-on, et si oui pourquoi, sanctionner des personnes qui ont exprimé des regrets de bonne foi, quand d'autres se sont tues ? », s'interroge Matthieu Bourrette.

    Pour Me Olivier Chalot, avocat du père de Tony, « qui regardera avec attention les suites données à cet aspect du dossier, cette affaire est surtout symptomatique de notre société, dans laquelle on ne se mêle pas de la vie des autres, pour ne surtout pas avoir d'ennuis »...