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Économie

Pourquoi la France a échoué à traiter le chômage de masse avec la dépense publique

Emmanuel Macron le sait : le chômage de masse est le vrai mal français. Il s'est donné du temps pour être jugé mais il n'a pas droit à l'échec et va devoir changer en profondeur la stratégie mise en place jusqu'ici par ses prédécesseurs.

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Les recettes pour lutter contre le chômage en France ont obtenu des résultats très décevants quand on les compare aux politiques menées en Allemagne et au Royaume-Uni.

Les recettes pour lutter contre le chômage en France ont obtenu des résultats très décevants quand on les compare aux politiques menées en Allemagne et au Royaume-Uni.

ALLILI MOURAD/SIPA

Fort des leçons qu'il a tirées du quinquennat raté de François Hollande - victime surtout du piège de l'inversion de la courbe du chômage dans lequel il s'est jeté tout seul - Emmanuel Macron, avec beaucoup d'habileté, a su évacuer de son quotidien la question lancinante du chômage en France, la renvoyant à l'heure du premier bilan après deux ans de mandat. Les statistiques mensuelles glissent donc sur lui comme l'eau sur les plumes d'un canard et tombent sans le moindre commentaire du gouvernement, voire dans une indifférence parfaitement gérée. Une stratégie avisée car les réformes en cours ne peuvent avoir des effets qu'à moyen terme. Si elles s'avèrent efficaces...

Cette gestion du calendrier n'efface pas pour autant cette question fondamentale que soulève la situation de notre pays depuis quatre décennies : le chômage de masse est-il devenu, en France, une maladie chronique résistante à tous les traitements ? Certes, comme le fait le pouvoir actuel, il est nécessaire de ne pas vivre le nez sur le compteur du baromètre mensuel des demandeurs d'emplois et d'échapper à la tyrannie des statistiques à court terme. Le yo-yo permanent de cet indicateur au fil des mois brouille les tendances de fond et installe un climat d'insécurité sociale, plongeant les demandeurs d'emploi dans un océan d'incertitudes.

Comment s'y retrouver en effet ? Fin octobre, bonne nouvelle, la baisse enregistrée est la plus forte depuis 2001 : moins 64.800 demandeurs d'emploi, un recul de 1,8% !  Fin novembre, c'est le contraire : le chiffre repart à la hausse, 8.000 chômeurs de plus en catégories A, plus 0,2%. Au total, le 31 octobre dernier, 3.480.000 personnes sans le moindre job inscrites à Pôle emploi et 6.623.000 toutes catégories confondues dans la France entière !

Une progression constante depuis le premier choc pétrolier

Les experts, bien sûr, trouvent des explications à ces variations mais elles sont contradictoires et conjoncturelles. Elles ne répondent jamais à cette interrogation de fond : pourquoi la France est-elle incapable de vaincre ce mal qui la ronge et la déstructure depuis le premier choc pétrolier et le quadruplement du prix du baril, en octobre 1973, à la suite de la guerre de Kippour et des attaques surprises des armées syriennes et égyptiennes contre Israël sur le plateau du Golan et dans le Sinaï ? Entre mars 1973 et mars 1974, le taux de chômage bondit de 12%, néanmoins le nombre de demandeurs d'emplois demeure encore faible : il passe de 394.000 à 440.000, soit un taux de 1,9% puis de 2,1%.

Mais la machine infernale s'emballe. Année après année, le pays fabrique des bataillons de plus en plus fournis de sans-emplois. Terrible litanie des chiffres : en 1975, ils sont 689.000 (3%) ; deux ans plus part, au deuxième trimestre 1977, le cap du million est franchi, 1.014.000, soit 4,4% de la population active. Sept ans après, au deuxième trimestre 1984, le plafond des deux millions  saute à son tour : 2.055.000 (8,4%). Pendant six années, le pays reste au-dessus de ces deux millions symboliques. Une légère baisse au cours de l'année 1990 n'inverse en fait rien. Alors que la barre des 2,5 millions de chômeurs vient d'être franchie, François Mitterrand lâche cette phrase qui sonne comme une capitulation définitive lors de son intervention télévisée le 14 juillet 1993 : "En matière de lutte contre le chômage, on a tout essayé".

Des résultats bien différents en Allemagne et au Royaume-Uni

De fait, rien depuis lors n'a fonctionné. Aucune politique n'a réussi à endiguer cette marée montante. Il y a eu des répits, et même des reculs, mais la tendance lourde est terrible dans la durée. Une lueur d'espoir apparaît entre 1997 et 2001 avec un recul de 757.000 demandeurs d'emploi. Il est vrai que la croissance française repart alors de plus belle, navigant entre 2% et près de 4%, surfant sur une croissance mondiale qui galope au cours de ces quatre années. Euphorie de courte durée tout comme en 2008 lorsque le taux descend à 6,8% et le nombre de chômeurs de catégorie A repasse en dessous des deux millions.

En vérité, à travers ces hauts et ces bas, l'Hexagone s'enfonce plus encore dans le chômage de  masse. Il franchit le cap des 3 millions (France entière) et tourne désormais autour de 3,5 millions. Comme si les chiffres donnaient définitivement raison à François Mitterrand. En dépit de toutes les mesures prises par les gouvernements successifs, le chômage en France non seulement ne recule pas sur le long terme mais il ne cesse de s'aggraver. Au cours des trois dernières décennies, le taux moyen y a été supérieur à 9% !

Certes, toutes les démocraties occidentales ont connu cette épreuve et ont dû affronter une flambée du chômage avec la crise économique et financière de 2008 mais les puissances comparables aux nôtres ont redressé la barre. En 2005, par exemple, l'Allemagne affiche un taux de 10% de demandeurs d'emploi contre 9,7% chez nous. Douze ans plus tard, nous sommes encore à 9,4% mais outre-Rhin le taux a fondu : 5,6%. Preuve, s'il en faut, que nous avons essayé toutes les mauvaises solutions et ignoré les bonnes.

Avec des recettes bien différentes de l'Allemagne, le Royaume Uni peut se flatter, avec 4,7% de demandeurs d'emploi, de connaître aujourd'hui son chômage le plus faible depuis 1975 ! Les querelles sur les choix de ces deux pays ne doivent pas masquer cette évidence : la France n'a pas su trouver les bonnes réponses et les gouvernants de droite et de gauche en ont payé très cher le prix lors de l'élection présidentielle du printemps dernier. Au-delà de toutes les gloses et analyses, c'est l'échec massif des partis dits jusque-là de gouvernement sur la question du chômage depuis 40 ans maintenant, ajoutée à une gestion désastreuse de l'immigration, qui explique à la fois la victoire d'Emmanuel Macron et la percée des extrêmes de droite et de gauche.

L'illusion dangereuse de la dépense publique

C'est dire que le Président de la République a un rendez-vous décisif sur ce sujet dans les deux ou trois prochaines années. Une baisse significative du chômage, c'est-à-dire ressentie par les Français dans leur vie quotidienne, ferait baisser les peurs et les tensions. Le chef de l'Etat a réussi à obtenir un délai nécessaire pour convaincre. Personne ne l'attend et ne l'interpelle au mois le mois sur cette question mais ce répit rend d'autant plus importante l'heure de vérité lorsqu'elle sonnera. Décevoir serait désastreux. D'où ces interrogations : ses réformes sont-elles décisives pour vaincre ce mal endémique? Apportent-elles enfin les bonnes réponses ?

Il est évident que la volonté de maîtriser la dépense publique fait partie de ses objectifs. Il est frappant de constater que son augmentation au fil des ans a suivi l'augmentation du chômage : en 1975, elle représentait 43,4% du Produit intérieur brut ; en 1995, 53,5% ; avec 56,2% en 2016, la France en est même devenue la championne d'Europe  alors que le niveau dans la zone euro est de 47,7% et autour de 46% en Allemagne ! Même constat sur le déficit public, seule l'Espagne fait désormais moins bien que nous. Ce n'est pas mieux sur la dette qui ne cesse de progresser et a atteint 96% du PIB en 2016 alors que la moyenne de la zone euro est revenue à 89,2%. La France a vécu dans l'illusion de la dépense pour lutter contre le chômage et a échoué. Elle a mené une stratégie contraire à celle de tous ses voisins.

Tout a été fait pour maintenir la consommation comme moteur de la croissance, ce qui a conduit à sacrifier le secteur productif soumis à des prélèvements en permanente augmentation, à pénaliser notre investissement, à affaiblir gravement notre industrie dont la part dans le PIB s'est effondrée. Les contrats mirobolants que nous signons ne doivent pas masquer cette vérité, le poids de l'industrie dans le produit intérieur brut est aujourd'hui deux fois plus faible qu'en 1970. Il n'y pèse plus que 10% contre plus de 20% en Allemagne !

Emmanuel Macron a fait de toute évidence ce diagnostic mais il reste à savoir si les mesures qu'il prend sont à la hauteur de l'enjeu. Son budget 2018, en tout cas, n'a pas complètement convaincu la commission européenne qui juge que les efforts sur les déficits, la dépense publique et l'endettement ne sont sans doute pas suffisants. Certes, Bruxelles ne détient pas toute la vérité mais il est certain que pour enfin vaincre le chômage de masse il faut que l'Etat change de logiciel et ne se contente pas de le corriger en marchant. Un échec conduirait au pire.

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