Cerveau et psy

Lorsque les adolescents se harcèlent eux-mêmes sur Internet

Des chercheurs américains ont étudié le phénomène d'auto cyber-persécution. Un comportement par lequel les adolescents en souffrance psychologique deviennent leur propre bourreau sur Internet.

Certains adolescents se dénigrent anonymement sur Internet.

© Paul Sakuma/AP/SIPA

En 2013, Hannah Smith, jeune britannique de 14 ans met fin à ses jours. Les semaines précédant son acte, l'adolescente poste plusieurs questions sur un site et se répond elle-même avec un autre compte anonyme utilisant des mots toujours plus durs, des phrases toujours plus blessantes... Sameer Hinduja de l'Université Florida Atlantic et Justin W. Patchin de l'Université du Wisconsin-Eau Claire ont étudié cette auto-mutilation 2.0 où les adolescents, en grande souffrance psychologique, sont à la fois la victime et leur propre bourreau.

Un phénomène plus courant qu'on ne le croit

Afin de comprendre pourquoi certains adolescents se persécutent eux-même sur Internet, les chercheurs ont posé des questions à un échantillon représentatif de 5.593 élèves âgés de 12 à 17 ans, vivants aux Etats-Unis. Cette étude publiée en septembre 2017 dans la revue Journal of Adolescent Health, est la première à s'intéresser à l'ampleur de ce phénomène dans ce pays et à en étudier aussi précisément les motivations.

D'après les résultats obtenus par les deux chercheurs, environ 6 % des adolescents interrogés ont reconnu avoir déjà publié anonymement sur Internet quelque chose de méchant sur eux-même. 51,3 % d'entre eux ont déclaré ne l'avoir fait qu'une seule fois, 35,5 % plusieurs fois et enfin 13,2 % ont reconnu avoir régulièrement eu ce comportement. Les garçons étaient légèrement majoritaires (7,1 % contre 5,3 % pour les filles) mais la plupart d'entre eux ne voyaient ce comportement que comme une blague ou une manière d'attirer l'attention. A l'inverse, les filles ont évoqué des motivations bien plus sombres : dépression, souffrance psychologique.

Un comportement qui sonne comme un véritable appel à l'aide

Les chercheurs ont utilisé une question ouverte afin de connaître exactement les raisons de cette "auto-mutilation digitale". Ils ont alors remarqué la récurrence de certaines explications : la haine de soi, la recherche d'attention, les symptômes dépressifs, la tendance suicidaire, le désir d'être trouvé drôle ou tout simplement l'envie de découvrir la réaction des autres. Globalement, beaucoup d'adolescents attendaient une réponse à cette auto-critique anonyme. Pour les scientifiques, à l'instar des auto-mutilations physiques, ce comportement plus courant qu'on ne le pense, traduit un véritable appel à l'aide.

Si l'âge n'a pas d'influence, l'orientation sexuelle semble quant à elle intervenir : ainsi, les adolescents ne se définissant pas comme hétérosexuels auraient 3 fois plus de risques d'adopter ce comportement. Les élèves victimes de cyber harcèlement ou de harcèlement classique auraient 12 fois plus de risques de finir par se dénigrer eux-même sur Internet. De même, les adolescents qui consomment de la drogue seraient plus enclins à devenir leur propre bourreau sur les réseaux sociaux.

Aider les psychologues et les psychiatres dans leur tâche

"Nous devons nous abstenir de diaboliser ceux qui intimident les autres et accepter le fait troublant que dans certains cas l'agresseur et la cible sont une seule et même personne. En outre, ce comportement indique un profond besoin de support social et clinique", indique dans un communiqué Sameer Hinduja. "L'auto-mutilation digitale est un problème nouveau qui demande une attention scolaire additionnelle. Une analyse plus profonde des motivations qui se cachent derrière ce comportement et comment le corréler à 'l'auto-mutilation hors-ligne' et aux idées suicidaires pourra aider les psychologues et les psychiatres en matière de prévention", notent les chercheurs dans l'étude.