PMA : faut-il souffrir pour être mère ?
Le Comité consultatif national d’éthique préconise d’assouplir l’accès à l’aide médicale à la procréation en 2018. Mais en invitant à prendre en compte la souffrance psychologique des futures mères, n’use-t-il pas d’un argument paternaliste ?
Un spectre hante nos institutions, parmi lesquelles le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). C’est le spectre du paternalisme – soit l’idée que l’on sait mieux que vous-même ce qui est bon pour vous. Pire encore : vous n’êtes vraiment légitime à demander l’aide de certaines technologies biomédicales… que si vous souffrez psychologiquement. Un passage de l’avis que le CCNE vient de rendre cet été sur la procréation médicalement assistée (PMA) a en effet de quoi intriguer le lecteur : « L’ouverture de l’insémination artificielle avec donneur à des personnes ne souffrant pas de pathologie responsable de stérilité se concevrait pour pallier une souffrance ressentie du fait d’une infécondité secondaire à des orientations personnelles. Cette souffrance doit être prise en compte. »
« Pourquoi faudrait-il qu’une femme célibataire ou homosexuelle souffre psychologiquement, afin d’être en quelque sorte pardonnée d’avoir recours à un don de sperme pour avoir un enfant ? »
Rappelons-le, ce qui est en jeu dans ce passage n’est pas la gestation pour autrui, dont la légalisation en France n’est d’ailleurs pas à l’ordre du jour, mais l’ouverture des technologies de PMA, parmi lesquelles l’insémination artificielle, à des femmes célibataires ou homosexuelles. Cette libéralisation, voulue par la ministre de la Santé Agnès Buzyn à l’occasion de la révision de la loi de bioéthique en 2018, se fait un peu à marche forcée, étant donné que les législations européennes ne sont pas harmonisées. En clair, nombre de femmes françaises concernées partent aujourd’hui en Belgique ou en Espagne pour bénéficier de ce type d’inséminations. Des médecins, aux côtés du gynécologue René Frydman, viennent d’ailleurs de signer une tribune dans Le Monde, déclarant avoir « aidé des couples homosexuels à avoir un enfant même si la loi l’interdi[sai]t ». Ainsi, ils ont recommandé leurs patients à des confrères dans d’autres pays européens. Mais ce contournement de la loi crée, de fait, une inégalité : seules les femmes aisées peuvent s’offrir le voyage et le traitement à l’étranger, tandis que les plus démunies restent sans enfant. Ce contexte crée une pression à la libéralisation des techniques de PMA, et le pourtant réputé conservateur CCNE lui-même ne s’y oppose pas sur le principe. Mais c’est la manière dont il justifie la réforme qui éveille une certaine méfiance et témoigne d’un archaïsme : pourquoi faudrait-il qu’une femme célibataire ou homosexuelle souffre psychologiquement, afin d’être en quelque sorte pardonnée d’avoir recours à un don de sperme pour avoir un enfant ? Ne se pourrait-il pas simplement que la femme soit heureuse, ou qu’elle ne soit ni heureuse ni malheureuse, mais qu’elle décide d’utiliser cette technologie pour enfanter, tout simplement parce que la méthode est autorisée et disponible ?
Dans le petit monde de l’éthique contemporaine, deux courants s’opposent. Il y a d’un côté les théories du care, du soin, qui considèrent qu’il importe de prendre en compte la vulnérabilité et la souffrance des personnes les plus fragiles. En somme, pour les théories du care, les individus ne sont pas des agents rationnels ; ils diffèrent par leurs besoins, leur vécu et leurs émotions. De l’autre côté, le courant de l’éthique minimale – porté par Ruwen Ogien, décédé cette année – propose de réduire, peu ou prou, tous les principes éthiques à un seul : ne pas nuire à autrui intentionnellement. Sous réserve d’observer ce principe, chacun est libre d’agir comme il l’entend, et l’État n’a pas à se prononcer sur ce que serait la « vie bonne ». La logique qui sous-tend le dernier avis du CCNE procède, on le voit, davantage du care que du minimalisme. Il y aurait sans doute beaucoup de reproches à adresser au minimalisme éthique, qui va parfois trop loin. Mais dans le cas précis de l’ouverture de la PMA, la question se pose : pourquoi ne laisserait-on pas le choix aux futures mères, sans espérer d’elles qu’elles souffrent pour obtenir le don de la science ?
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