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MEXIQUE

Des Mexicaines retournent la terre pour retrouver maris, fils et frères disparus

Les femmes introduisent des baguettes dans la terre pour repérer les endroits où des restes humains pourraient se trouver. Photo publiée le 17 août sur la page Facebook "Las Rastreadoras del Fuerte".
Les femmes introduisent des baguettes dans la terre pour repérer les endroits où des restes humains pourraient se trouver. Photo publiée le 17 août sur la page Facebook "Las Rastreadoras del Fuerte".
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Un groupe de femmes réalise des fouilles dans l’État de Sinaloa, situé dans le nord-ouest du Mexique, depuis trois ans, afin de retrouver leurs proches portés disparus. Un travail réalisé au péril de leur vie, mais qu’elles jugent "nécessaire", dans la mesure où les autorités ne se mobilisent guère pour rechercher les dizaines de milliers de personnes disparues dans le pays.

Ce groupe de femmes s’appelle "Las Rastreadoras del Fuerte" ("Les traqueuses de El Fuerte"), du nom d’une ville située dans le nord du Sinaloa. C’est dans cette zone qu’elles réalisent l’essentiel de leurs recherches.

Le 19 novembre, elles ont retrouvé six corps dans des fosses clandestines situées en périphérie de Los Mochis, une ville à 80 kilomètres au sud d'El Fuerte. Grâce à leur travail, 113 corps de personnes disparues ont déjà été retrouvés depuis trois ans, dont 88 ont été remis aux familles.

Six corps ont été retrouvés le 19 novembre, le jour où a été tourné ce Facebook Live.

 

Leur travail est essentiel dans cet État, puisque c’est le troisième comptant le plus de disparus dans le pays, derrière l’État de Tamaulipas et l’État de Mexico. Selon le Registre national de données des personnes perdues ou disparues, 2 852 personnes sont portées disparues dans le Sinaloa et environ 32 000 à l’échelle nationale.

Ces disparitions sont généralement imputables – directement ou indirectement – à des acteurs étatiques (fonctionnaires, policiers, membres de l’armée) et non étatiques (membres du crime organisé), selon les organisations de défense des droits de l’Homme, comme Amnesty international. Parmi les victimes, on compte des étudiants, des journalistes, des narcotrafiquants, des migrants d’Amérique centrale et de plus en plus de jeunes femmes.

 

"Notre priorité est de retrouver nos proches, et non les coupables"

Mirna Nereida Medina Quiñónez est une femme de 47 ans vivant à Los Mochis. C’est elle qui a créé le groupe "Las Rastreadoras del Fuerte" à la suite de la disparition de son fils, le 14 juillet 2014.

Quand mon fils a disparu, je suis allée au bureau de la police fédérale ministérielle [qui dépend du Procureur général de la République, NDLR]. Mais ils m’ont dit qu’ils ne recherchaient pas les disparus. Du coup, j’ai décidé de rechercher mon fils moi-même.

Mirna Nereida Medina Quiñónez à la recherche de restes humains. Photo envoyée par elle-même.

 

Au début, j’ai fait des recherches uniquement avec ma famille. Puis j’ai utilisé les réseaux sociaux pour trouver d’autres familles dans la même situation : c’est ainsi que j’ai rencontré 14 femmes d'El Fuerte et que j’ai constitué le groupe des "Rastreadoras". Puis, le groupe s’est agrandi petit à petit. Appartenir à ce groupe permet de bénéficier d’un soutien énorme, notamment psychologique.

Actuellement, 60 femmes vivant dans quatre villes différentes – El Fuerte, Los Mochis, Guasave et Choix – participent régulièrement aux recherches. Mais nous sommes seulement 25 à prendre part à toute les fouilles. Les autres y participent uniquement quand elles ont lieu près de chez elles. En moyenne, nous sommes 40 lors de chaque sortie.

Recherches dans un trou de six mètres de profondeur. Vidéo publiée le 31 août sur la page Facebook "Las Rastreadoras del Fuerte".

 

"Nous recherchons actuellement 594 disparus"

Notre groupe est essentiellement constitué de femmes car la personne disparue est généralement le mari, le fils ou le frère. Parmi les 594 disparus que nous recherchons actuellement, 570 sont des hommes. [À l’échelle nationale, 74 % des disparus sont des hommes, NDLR.]

Le groupe de Mirna Nereida Medina Quiñónez diffuse des avis de recherche, notamment sur les réseaux sociaux.

 

Voici comment nous organisons nos recherches : chaque lundi et vendredi, nous allons à des endroits où nous pensons que des corps pourraient être ensevelis : sorties des villes, berges de rivières, etc.

Par ailleurs, chaque mercredi et dimanche, nous nous rendons sur des sites où nous sommes quasiment sûres de retrouver des corps. D’une part, nous nous basons sur les articles publiés dans les médias, évoquant des zones où des cadavres ont déjà été retrouvés.

D’autre part, des gens viennent régulièrement nous voir ou nous contactent via Facebook pour nous dire qu’ils ont vu des choses suspectes à tel ou tel endroit. Il arrive même que des personnes affirmant avoir participé aux crimes nous disent où les corps ont été enterrés, en nous laissant un mot sous la porte de notre bureau. C’est d’ailleurs pour cela que nous n’avons pas installé de caméra : nous voulons que les gens puissent venir nous donner des informations, sans craindre d’être identifiés. C’est important car notre priorité est vraiment de retrouver nos proches, et non les coupables.

Recherches près d'une lagune située au nord-ouest de Los Mochis. Photo publiée le 6 septembre sur la page Facebook "Las Rastreadoras del Fuerte".

Recherches à côté d'une maison abandonnée à Los Mochis, où trois cadavres se trouveraient, selon les informations collectées par le groupe. Vidéo publiée le 10 septembre sur la page Facebook "Las Rastreadoras del Fuerte".

 

Le bureau des "Rastreadoras del Fuerte". Photo envoyée par Mirna Nereida Medina Quiñónez.

 

"L’odeur permet de savoir s’il y a un cadavre sous terre"

Lorsque nous effectuons des recherches, nous introduisons des baguettes dans la terre. Quand nous les retirons, si elles ont une odeur particulière, nous savons qu’il y a un cadavre en-dessous.

Quand nous en trouvons un, nous regardons s’il y a des indices permettant de l’identifier : vêtements, etc. Cela permet ensuite de recouper ces informations avec celles données par les familles de disparus. Nous regardons aussi s’il y a des balles ou des menottes à côté. Puis un médecin légiste procède à l’enlèvement du corps. Celui-ci part alors aux pompes funèbres, des tests ADN sont réalisés, et s’il est identifié, il est remis à la famille.

"On pourrait croire que c’est un soulagement de retrouver un corps, mais pas du tout"

Cet été, j’ai retrouvé le corps de mon fils, trois ans exactement après sa disparition. J’ai donc pu l’enterrer le 28 juillet.

La tombe du fils de Mirna Nereida Medina Quiñónez. Photo envoyée par elle-même.

 

On pourrait croire que c’est un soulagement de retrouver un corps, mais pas du tout. En fait, tant qu’on cherche, on a toujours l’espoir de retrouver la personne vivante, même si cet espoir est infime. D’ailleurs, avant de faire des fouilles dans les fosses clandestines, on commence toujours les recherches dans la rue, les hôpitaux, les prisons, les bars, sur les réseaux sociaux…

Par contre, une fois qu’on retrouve le corps dans une fosse commune, on réalise que la personne ne va jamais revenir. Cela permet de faire le deuil, mais c’est très douloureux. C’est comme si on tournait la page d’un livre qu’on n’avait jamais voulu ouvrir.

Des funérailles organisées, à la suite de la localisation d'un cadavre. Photo publiée le 24 août sur la page Facebook "Las Rastreadoras del Fuerte".

 

"Durant les fouilles, nous nous sommes déjà fait tirer dessus à quatre reprises"

Notre travail est dangereux. Durant les fouilles, nous nous sommes déjà fait tirer dessus à quatre reprises, pour nous faire partir. Heureusement, nous n’avons jamais eu de blessés. Nous avons également reçu des appels et des messages menaçants, nous disant d’arrêter notre travail si nous ne voulions pas avoir de problèmes. Certains disent que nous sommes courageuses, mais nous avons toujours peur. Néanmoins, le besoin de retrouver nos proches est plus fort que la peur.

Afin d’assurer notre sécurité, des policiers rattachés au Procureur général de la République nous accompagnent quand même chaque mercredi. Mais nous sommes seules les autres jours. Par contre, les policiers municipaux ne nous accompagnent jamais, puisque ce sont eux qui sont responsables directement ou indirectement de l’immense majorité des disparitions, d’après ce que j’ai pu constater au sein de mon groupe depuis trois ans.

Nous ne recevons aucun soutien économique pour réaliser nos recherches. Du coup, chaque membre du groupe donne un peu d’argent pour les financer, pour payer l’essence de la camionnette notamment. Chaque sortie coûte 3000 pesos [136 euros, NDLR].

Photo publiée le 6 septembre sur la page Facebook "Las Rastreadoras del Fuerte".

 

En 2014, d’autres citoyens avaient également commencé à réaliser des fouilles dans l’État de Guerrero, à la suite de la disparition des 43 étudiants de l’École normale rurale d'Ayotzinapa, exaspérés par le manque d’efficacité des autorités.

>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : À Iguala, les habitants creusent eux-mêmes pour trouver les disparus

Une nouvelle loi générale sur les disparitions forcées, promulguée le 16 novembre, pourrait néanmoins légèrement changer la donne. Saluée par l’ONU, elle prévoit notamment la création d’un système national de recherche des disparus, un point essentiel pour Mirna Nereida Medina Quiñónez.

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