Le plan hollywoodien de Fritz Lang pour que Bertolt Brecht échappe aux nazis

Dans son exil américain, Bertolt Brecht a signé le scénario des “Bourreaux meurent aussi”. Ce ne fut pas simple, explique Flore Garcin-Marrou.

Par Jérémie Couston

Publié le 30 novembre 2017 à 17h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h38

Comment Bertolt Brecht s’est-il retrouvé à Hollywood ?

Brecht décide de s’exiler le lendemain de l’incendie du Reichstag, en 1933. Il parcourt l’Europe avant de rejoindre les Etats-Unis en 1941. Il en sera chassé six ans plus tard par le maccarthysme. Irène Bonnaud, dans une thèse de doctorat sur la période américaine de Brecht, a pu consulter les archives du FBI, qui racontent comment Fritz Lang a sollicité le comité antifasciste de Hollywood pour que Brecht et sa femme, l’actrice Helen Weigel, puissent trouver du travail sur le sol américain. Même exilés, en cette année 1941, Fritz Lang et Bertolt Brecht continuent à mobiliser l’opinion contre l’Allemagne nazie : dans Chasse à l’homme, Lang filme un chasseur de fauves tirant sur Hitler, pendant que Brecht tente de faire jouer à Broadway La Résistible Ascension d’Arturo Ui, pièce parabole sur la prise de pouvoir de Hitler, transposée dans le milieu du crime de Chicago.

“Fritz Lang n’engagera pas moins de deux autres scénaristes pour travailler avec Brecht”

Brecht s’est-il bien entendu avec Fritz Lang ?

Dès juin 1942, Lang engage Brecht pour travailler sur le synopsis des Bourreaux meurent aussi. Le point de départ est l’assassinat, perpétré quelques semaines auparavant, de Reinhard Heydrich, vice-gouverneur du Reich, par la résistance tchécoslovaque. Des divergences de vue entre Lang et Brecht apparaissent, même si cela n’entache pas leur amitié et le profond respect qu’ils se vouent. Lang veut faire un film grand public d’une heure et demie pour mobiliser l’opinion américaine, construit selon les principes du genre dramatique aristotélicien, prisé à Hollywood : l’histoire d’amour d’une jeune fille et de son fiancé dans un pays occupé. Brecht, lui, ne l’entend pas de cette oreille et écrit un film politique de plus de trois heures, selon les principes de son théâtre épique : on passe d’une histoire à une autre (la destinée de l’assassin, des otages, de la fille de l’otage, du traître), les nombreuses scènes du peuple sont des appels à la résistance. Fritz Lang n’engagera pas moins de deux autres scénaristes pour travailler avec Brecht, afin de remettre le scénario dans le droit chemin de Hollywood !

En quoi ce film est-il brechtien ?

Quand le film sort en Europe à la Libération, en 1947, le distributeur français en coupe quinze minutes. Cette mouture circule jusqu’en 1963, où la version intégrale ressort. On y redécouvre les scènes coupées, les scènes brechtiennes les plus politiques, comme la défenestration d’un chauffeur de taxi, torturé par la Gestapo, symbole du peuple tchèque qui préfère mourir que collaborer, ou la scène de lynchage de la jeune demoiselle Novotny dans la rue, alors qu’elle se rend à la Gestapo pour dénoncer l’assassin, tentant de sauver son père, détenu et menacé d’exécution. Ce n’est en effet pas la bluette entre les deux jeunes gens qui fait la grandeur du film de Lang, mais bien, dans la version longue, la grandeur d’âme du peuple tchèque, terrorisé, mais refusant de capituler et prêt à lutter pour la liberté. 

Flore Garcin-Marrou est maître de conférences en études théâtrales à l’université Toulouse-Jean-Jaurès.


Les bourreaux meurent aussi, en version intégrale, au cinéma Grand Action, 5, rue des Ecoles, 5e.

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