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Justice : les travaux plutôt que la prison

Le gouvernement entend développer les travaux d’intérêt général (TIG) comme alternative à la prison.

Marie Quenet , Mis à jour le
Opération peinture dans un hall d'immeuble, vendredi à Bordeaux.
Opération peinture dans un hall d'immeuble, vendredi à Bordeaux. © Rodolphe Escher/DIVERGENCE POUR LE JDD

"Sur la vie de ma mère, je préfère me taper quarante heures de TIG que la prison." Assis sur un pot de peinture, casquette et jogging siglés, Matt* s'offre une pause cigarette dans la cité du Grand-Parc à Bordeaux. Le jeune homme effectue un travail d'intérêt général (TIG). Depuis deux semaines, une équipe de quatre "tigistes" doit rafraîchir les halls dans une barre HLM. Ce vendredi, l'un d'eux manque à l'appel (en arrêt maladie). Les autres débarquent à 8 heures. Matt, 20 ans, a été condamné pour recel ; Adam*, 34 ans, pour ­violence ; Jean-Louis*, 37 ans, refuse d'en parler. Tous n'ont pas le même nombre d'heures à exécuter (280 au ­maximum, selon la loi). Mais chacun a donné son accord. "Je préfère travailler un mois gratuitement plutôt que perdre mon temps trois mois en cellule", affirme Adam, qui a déjà été incarcéré. "Là, je me lève, je vais travailler, et le soir, je retrouve ma famille."

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Une alternative qui a de quoi séduire

Au moment où les prisons françaises sont surpeuplées, cette peine alternative a de quoi séduire… En 2016, les juridictions en ont délivré près de 26.000, soit 7% des peines prononcées. Sanctionnant ainsi des vols et recels (29%), des délits routiers (un peu moins de 25%), des infractions liées aux stupéfiants (11,5%) ou des outrages et rebellions (9%). Mais Emmanuel Macron entend les développer : une mission sera très prochainement confiée à un parlementaire et à un chef d'entreprise pour créer une agence nationale des TIG. "Celle-ci, précise Youssef Badr, le porte-parole du ministère de la Justice, sera chargée de recenser les tâches pouvant faire l'objet d'un travail d'intérêt général – l'objectif étant d'arriver à 50.000 en 2020 – et d'assurer une meilleure répartition géographique."

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Si j'avais mis toute mon énergie à d'autres choses qu'à des conneries, j'aurais bac + 15

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A Bordeaux, ce jour-là, il s'agit de repeindre les halls. L' association d'insertion Les Compagnons bâtisseurs encadre les tigistes. "Bon, les petits loups, lance Didier Mouchot, 58 ans, leur tuteur, prenez les cartons, les rouleaux et les pinceaux, qu'on puisse finir la cage d'escalier!" A ses yeux, ce TIG peut apporter "une première expérience professionnelle à des gens qui n'ont jamais travaillé". Les trois hommes, sans diplôme, se marrent : "On ne va pas marquer TIG dans notre CV!" Mais l'activité a son utilité. "Cela me remet dans le rythme", estime Matt, qui doit démarrer un contrat d'insertion dans la peinture début décembre. "Cela permet de voir ses capacités", se félicite Jean-Louis, déménageur intérimaire, qui a posé deux semaines pour effectuer le TIG.

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Ce travail leur a-t-il permis de réfléchir? "Bien sûr, cela fait gamberger", réagit Matt, qui, depuis l'âge de 9 ans, a enchaîné familles d'accueil, foyers, centre éducatif fermé et prison. "Si j'avais mis toute mon énergie à d'autres choses qu'à des conneries, j'aurais bac + 15, la tête à ma daronne. J'ai gâché huit ans de ma vie!" A ses côté, Adam soupire : "La prochaine fois, je ne descendrai pas de voiture pour taper quelqu'un."

Trois ou quatre mois d'attente

Cette sanction – utile à la société et à la personne condamnée – fait sens. Depuis sa création en 1983, il a d'ailleurs déjà été question de la développer. Sans succès : on avoisine les 30.000 TIG les meilleures années. D'une part, l'emprisonnement reste encore la peine de référence pour tous les délits. D'autre part, les structures habilitées à recevoir des TIG (collectivités locales, associations ou entreprises privées chargées d'un service public) manquent. "J'ai des tigistes qui viennent de Toulouse – à deux heures de route – ou de Marmande parce qu'ils ne trouvent pas de chantiers là-bas", témoigne Didier Mouchot, l'encadrant bordelais. D'autres patientent trois ou quatre mois pour qu'un poste se libère.

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L'idéal serait de tenir compte de l'infraction commise pour que les TIG aient un sens

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Dans les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip), on se démène donc pour dénicher de nouveaux partenaires. "Ce travail de prospection prend beaucoup de temps. Il faut identifier le bon interlocuteur, se déplacer, expliquer ce qu'est un TIG…", explique Isabelle Ferrier, directrice pénitentiaire et chef d'antenne milieu ouvert à ­Bordeaux. Il faut rassurer : accueillir une personne condamnée fait peur à certains. Et trouver des tuteurs…

"L'idéal serait de tenir compte de l'infraction commise pour que les TIG aient un sens. Par exemple, pour quelqu'un condamné pour conduite en état d'ivresse, le mieux serait la Tour-de-Gassies, un établissement de santé qui reçoit les grands accidentés de la route, estime Patricia Salou, la conseillère ­pénitentiaire d'insertion et de probation. Ce centre est habilité, mais on n'a jamais pu travailler avec lui, tant les conditions définies sont strictes."

Peintre ou gardien de musée

A Bordeaux, les postes ­proposés – dans le bâtiment, les espaces verts, mais aussi en cuisine, maison de retraite ou bibliothèque… – se sont déjà un peu diversifiés. Matt peut en témoigner : ce travail de ­peinture est son sixième TIG. Avant, il en a effectué à la SNCF, avec des chiens d'aveugle, avec un non-voyant qui réparait des vélos ou, son préféré, comme surveillant dans un musée. Pour répondre aux différents profils des condamnés – des hommes (à 86,5%), jeunes (âge médian : 21,6 ans) ou non, sans diplômes ou bac + 5, primo-délinquants ou multirécidivistes… –, il est nécessaire de faire du sur-mesure.

Une agence nationale des TIG faciliterait-elle les choses? Les syndicats majoritaires chez les Spip (CGT Insertion probation et Snepap-FSU) craignent une privatisation de leurs missions. A Bordeaux, l'agent Patricia Salou attend de voir : "S'il s'agit de promouvoir de nouveaux partenariats, c'est oui. Mais nous devons rester maîtres d'œuvre. Nous connaissons les gens, nous pouvons les diriger vers ce qui correspond le mieux."

Ce vendredi, comme chaque fin de semaine, elle est sur le terrain. Jean-Louis termine [[aujourd'hui]] son TIG. Dernier bilan dans le local des femmes de ménage, entre chariots et balais-brosses. Le jeune homme signe son relevé d'heures, lit les observations de son tuteur – "autonome, très bon état d'esprit, travail soigné" – et sourit. Patricia Salou le libère : "Bonne continuation et, comme j'aime à dire, à jamais!" 

* Les prénoms ont été modifiés.

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