Espionnage sexuel : comment la Corée du Sud lutte contre le vol d’images intimes

Le phénomène n’est pas nouveau mais il ne cesse de croître en Corée du Sud. Des photos ou des films pris à l’insu de femmes dans leur intimité circulent sur Internet. Dans tout le pays, la lutte contre l’espionnage sexuel s’organise.

Par Pablo Maillé

Publié le 02 décembre 2017 à 12h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h38

Jungsoo, étudiante en lettres de 22 ans, rencontrée sur le campus de son université à Séoul, confie « ne plus du tout utiliser les toilettes publiques » : « Je crains d’être filmée et de me retrouver sur Internet. C’est devenu trop risqué. » Comme elle, en Corée du Sud, des milliers de femmes se méfient de certains espaces publics, les évitent le plus possible ou s’y rendent en faisant preuve d’une certaine prudence. De peur d’y être photographiées ou filmées à leur insu, et notamment dans leur intimité.

Car s’il n’est pas totalement nouveau, ce phénomène du « 몰카 » (molka) – que l’on peut traduire en français par « espionnage sexuel » –  est aujourd’hui en progression en Corée du Sud : d’après les chiffres de la police nationale, le nombre de crimes (déclarés) consistant à diffuser en ligne des vidéos intimes d’une personne sans son consentement est passé d’environ 2 400 en 2012 à plus de 6 600 deux ans plus tard – et 3286 cas ont été recensés rien qu’entre janvier et juillet cette année.

Des chiffres qui ne surprennent guère Sumin Song, membre de l’association féministe étudiante Red Pill in SKKU  : « Ce problème fait partie de notre quotidien. Des caméras peuvent se trouver n’importe où, sous les lunettes des toilettes, attachées aux cravates des hommes… On ne peut jamais savoir, en fait. Nous en venons à nous méfier de nos propres amis, de nos compagnons. »

Conscient de l’ampleur du problème, le président démocrate Moon Jae-in avait cet été promis un plan d’action : « Nous devons trouver des punitions plus fortes contre les criminels et proposer des dispositions spéciales pour les victimes », avait-il alors déclaré. Un discours très différent de celui du précédent gouvernement conservateur, qui avait, en 2016, lancé une campagne invitant les femmes à éviter de porter des mini-jupes dans le métro – plutôt que de dissuader les coupables potentiels de passer à l’acte…

Fin septembre, le nouveau gouvernement a donc annoncé un ensemble de mesures, incluant, entre autres, des restrictions plus fortes sur l’importation et la vente de certaines caméras miniatures, et le rehaussement des peines – jusqu’à sept ans de prison – pour les crimes concernant les diffusions de vidéos sans le consentement de la personne filmée.

Internet, c’est précisément le terrain d’activité principal de l’association féministe Digital Sexual Crime Out. Actuellement la plus active sur le sujet en Corée du Sud, elle se propose notamment d’accompagner les victimes en essayant – gratuitement – de faire disparaître de la Toile les images diffusées à leur insu. Sa fondatrice, Ha Yena, nous explique de quand date l’émergence de l’espionnage sexuel : « Dans les années 90, au moment du développement de l’industrie du sexe en Corée, les sites qui ont été créés n’avaient de “pornographique” que le nom : ils étaient déjà en réalité remplis de vidéos intimes, volées, de femmes ordinaires ». 

“Les titres des vidéos les plus populaires contiennent les mots ‘lycéenne’ ou ‘petite amie’,  comme pour signifier une proximité avec la victime”

Aujourd’hui encore, le sexe reste largement tabou dans le pays, et très peu évoqué à l'école, ce qui n’est pas sans contribuer à la confusion générale et à la « fétichisation » des femmes ordinaires, que souligne Ha Yena : « Les titres des vidéos les plus populaires sur ces sites pornographiques contiennent les mots “lycéenne”, “petite amie”, “femme à l’école”, comme pour signifier au coupable une proximité avec sa victime. On trouve même des photos de femmes banales, issues des réseaux sociaux, consommées comme de la pornographie. »

Selon Lee Su-jeong, professeure de psychologie criminologique à l’université Kyonggi de Suwon, le problème renvoie ainsi à la façon dont ces actes sont virtualisés, « dé-réalisés » par ceux qui les commettent : « Bien sûr, les risques encourus par les coupables ne sont pas suffisamment élevés. Mais surtout, à partir du moment où ces hommes achètent leurs caméras jusqu’à celui où ils commettent le crime, ils n’ont besoin d’aucun contact physique, réel, avec qui que ce soit [puisque la plupart des caméras sont achetées sur Internet, ndlr]. Ils ne ressentent donc aucune inhibition, aucune culpabilité. Pour eux, ils ne violent même pas l’intimité des femmes ; ils utilisent juste des outils technologiques. »

Dans l’objectif, justement, d’éclairer une partie des conséquences des actes commis par les coupables, la police de Busan a récemment lancé une campagne de sensibilisation en ligne, « Stop Downloadkill ». Pour piéger (et effrayer) les amateurs de contenus relatifs à l’espionnage sexuel, elle a ainsi posté une série de vidéos chocs directement sur les sites concernés, avertissant les utilisateurs mal intentionnés : « Vous pourriez être celui qui la pousse au suicide… » Le tout à grand renfort d’images et de bruitages horrifiques, qui rappellent volontiers ceux du film japonais The Ring. Si elle peut, à première vue, surprendre, la démarche pourrait bien se révéler efficace : d’après Korea Daily, les partages de ce type de contenus ont déjà chuté de 11%.

 

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