Sa disparition est presque passée inaperçue. Pourtant Yahoo! n’existe plus vraiment depuis janvier, date de son rachat par Verizon. Si la marque Yahoo! demeure pour le moment sur le Net, d’un côté les activités Internet de Yahoo! ont été regroupées avec celles d’AOL sous la marque Oath. De l’autre subsiste une société baptisée Altaba, chargée de gérer les actifs financiers de Yahoo! non repris par Verizon (principalement des parts dans Alibaba et des brevets). Et alors que Microsoft était prêt à débourser 44,6 milliards de dollars en 2008 pour acquérir cette entreprise, Verizon n’aura finalement dépensé que 4,8 milliards de dollars pour se l’offrir. C’est dire l’ampleur de la chute…

Aujourd’hui, Yahoo! ne compte plus que 8.500 employés contre 15.000 au faîte de sa puissance. Son chiffre d’affaires opérationnel a reculé de 3% à 834 millions de dollars au premier trimestre 2017 et son résultat opérationnel est tombé dans le rouge. Le site le plus visité au monde au début des années 2000 n’occupe plus que la quatrième place avec 4,93 milliards de visites sur les six premiers mois de l’année 2017, selon la société d’études SimilarWeb. Et sur les critères qui comptent le plus pour les publicitaires (nombre de pages consultées, temps passé sur le site), Yahoo! arrive loin derrière Google, Facebook et YouTube. Inquiétant quand les revenus dépendent surtout de la pub.

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  • Yahoo! en cinq dates. 1995 : David Filo et Jerry Yang créent en Californie la société Yahoo! qui se positionne à l’origine comme un annuaire des sites Internet. 2003-2007 : Yahoo! est le site le plus consulté au monde selon comScore. 2012 : Marissa Mayer, débauchée de Google, devient présidente de Yahoo!. 2016 : Yahoo! reconnaît le piratage de 1,5 milliard de comptes. 2017 : Verizon rachète Yahoo! et envisage de le fusionner avec AOL, le portail et fournisseur d’accès Internet qu’il possède par ailleurs.

La raison principale de cette chute tient en un proverbe : qui trop embrasse mal étreint. Yahoo! Search est un moteur de recherche. Yahoo! News agrège des contenus des médias. Yahoo! Mail offre un service de messagerie. Yahoo! Maps cartographie les déplacements. Yahoo! Messenger fait de la messagerie instantanée. On peut y partager des photos avec Flickr acquis en 2005. Et Tumblr permet à Yahoo! de proposer une alternative à Twitter. Mais à force de se disperser, Yahoo! n’est leader dans aucun des domaines où il a investi. L’entreprise est devenue un objet volant mal identifié qui erre d’une galaxie à l’autre dans l’univers Internet. Elle aura pourtant tout essayé pour enrayer son déclin.

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Marissa Meyer, l'espoir décue

De 2007 à 2012, Yahoo! a changé presque une fois par an de président, sans qu’aucun parvienne à redresser la barre, les P-DG arrivant et repartant avec des émoluments extravagants. Cette surenchère a contaminé toute la chaîne hiérarchique, obligeant Yahoo! à surpayer ses ingénieurs et marketers pour qu’ils restent malgré les incertitudes sur l’avenir de l’entreprise. En 2012, Yahoo! crut trouver la martingale en débauchant Marissa Mayer, précédée par sa flatteuse réputation de bâtisseuse de l’empire Google. A l’époque, les ingénieurs et développeurs de Yahoo! se réjouissaient de l’arrivée de cette femme "workaholic" et portée vers l’innovation. "Nous sommes la plus grande start-up du monde. Nous faisons 5 milliards de chiffre d’affaires, mais il peut disparaître en un clin d’oeil si nous ne faisons pas correctement notre job", les avertissait-elle pourtant lors d’une conférence interne. Prémonitoire.

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Pour relancer l’entreprise, Marissa Mayer fit alors feu de tout bois. Elle orienta Yahoo! vers le "native advertising", un type de publicité plus efficace misant sur des formes, emplacements ou contenus qui s’intègrent mieux aux contenus éditoriaux. Elle accéléra la transition vers l’Internet mobile. Ces décisions et son allure glamour lui valurent au début une grande popularité parmi les salariés et dans les médias. Mais elle a aussi commis "des erreurs coûteuses dont elle est responsable depuis son arrivée. L’état de grâce est terminé", martèle dès 2014 Eric Jackson, patron du fonds spéculatif SpringOwl. Et de lui reprocher ses investissements de 3 milliards de dollars dans une trentaine de start-up dont aucune ne tiendra ses promesses. De fait, le site de microblogging Tumblr, racheté 1,1 milliard, n’a jamais dégagé de profit.

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Frénésie des dépenses

La patronne de Yahoo! débaucha aussi à grands frais des stars de la Silicon Valley et de l’information qui se montrèrent tout aussi incapables de redresser le business. Et elle réduisit insuffisamment les coûts. Même ses rares succès ne trouvent pas grâce aux yeux d’Eric Jackson : le fort développement sur le mobile se serait produit sans elle, tant il va dans le sens de l’histoire. Une telle frénésie de dépenses dans une entreprise déjà mal en point n’a en tout cas été possible que parce que Yahoo! détenait depuis 2005 20% du chinois Alibaba. Avant l’introduction en Bourse en 2014 de ce fleuron de l’e-commerce, les investisseurs devaient acheter des actions Yahoo! pour s’octroyer une part d’Alibaba. L’attractivité de la firme chinoise, l’aura de Marissa Mayer et la bonne santé des valeurs du secteur high-tech ont un temps contribué à soutenir le cours de Bourse de Yahoo! et à faire illusion.

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Mais la descente de Yahoo! se poursuit. Dès 2013, Marissa Mayer admet devant son comité de direction n’avoir pas trouvé de "produit révolutionnaire" susceptible de redresser la barre. Nouveau coup dur pour son image, Yahoo! reconnaît fin 2016 le piratage de 1,5 milliard de ses comptes, ce qui amène Verizon à renégocier le prix d’achat à la baisse et la dirigeante à renoncer à ses bonus. Certains traits de caractère lui sont aussi reprochés. En posant langoureusement pour Vogue alors que Yahoo! est dans l’ornière, Marissa Mayer se décrédibilise et, en interne, son obsession du détail et de tout contrôler agace. La tension monte à la fin 2015 quand elle se fait photographier au cours d’une "Christmas Party", trônant au milieu de ses employés dans un décor Années folles avec une Rolls vintage et du champagne qui coule à flots. L’événement fait scandale auprès des actionnaires, alors même que le groupe déficitaire s’apprête de nouveau à licencier.

Jeffrey Smith, directeur d’un autre fonds spéculatif qui a forcé la porte de son conseil d’administration, réclame à son tour sa tête. "Les investisseurs ont perdu toute confiance dans le management de Yahoo!. Il faut des changements significatifs, y compris dans l’équipe dirigeante", écrit-il à la présidente. Il lui faudra encore un an pour parvenir à ses fins. Mais Marissa Mayer est loin d’être à plaindre : l’enfant prodig(u)e de la Silicon Valley a perçu cet été une indemnité de départ de 190 millions de dollars qu’elle avait pris soin de négocier avant son arrivée chez Yahoo! pour prix de renonciation à la poursuite de sa lucrative carrière chez Google. A croire que l’expression "too big to fail" (trop gros pour faire faillite ou échouer) concerne non seulement les entreprises mais aussi les dirigeants millionnaires qu’il faut toujours renouer, quelles que soient leurs performances.

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Oath : Oublié le fameux logo avec le "!". Les services de Yahoo! et d’AOL sont désormais regroupés sous la marque "Oath", qui signifie serment en anglais.