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Aux sources profondes du Brexit

LIVRE. Derrière le « non » d'une majorité d'Anglais à l'Europe se cache aussi une douloureuse quête d'identité. A l'heure où l'on cherche à mettre un prix sur le Brexit, un lumineux essai décrypte l'essence même de l'anglicité et de son culte de la différence.

Par Pierre de Gasquet

Publié le 7 déc. 2017 à 21:40

La capitale du Brexit n'est pas celle que vous croyez. On y cultive la pomme de terre, les choux et les poireaux. On y croise surtout des Polonais, des Lituaniens, des Roumains et des Bulgares… C'est la petite ville de Boston, dans le Lincolnshire, qui n'est pas seulement fameuse pour le Stump de sa cathédrale (à ne pas confondre avec la Trump Tower), la plus haute tour de tout le Royaume-Uni. C'est aussi la ville britannique où l'on a voté le plus massivement en faveur du Brexi t, à 75,6 % des voix. Dans son brillant petit essai sur le « Brexit et [ses] conséquences », publiée dans la formidable collection « L'âme des peuples » de Richard Werly, Serge Enderlin, reporter à la Radio Télévision Suisse (RTS) et ancien correspondant du « Temps » à Londres, part de là : cette petite ville marchande que quittèrent une poignée de puritains, excédés par les discriminations de l'Eglise d'Angleterre, pour fonder l'« autre » Boston, en 1620.

« Henri VIII considérait les monarques catholiques du continent comme des esclaves de la papauté, les Brexiters d'aujourd'hui tiennent les gouvernements européens pour des laquais de la Commission de Bruxelles », explique l'historien Norman Davies dans un entretien qui constitue le  « clou » de ce petit vade-mecum. Audacieux parallélisme. Comme si l'on pouvait voir dans la Réforme anglaise, conséquence du schisme de Henry VIII avec Rome en 1534, une première forme de « Brexit » prémonitoire. Sauf qu'à l'époque, c'était une décision politique « délibérée, assumée », en vue de rétablir la souveraineté du royaume.

La face obscure de l'Angleterre

 Aux yeux de l'historien d'Oxford (auteur de « The Isles »), plus encore que la peur de l'immigration incontrôlée , c'est le culte de la « différence » (et le mythe de la singularité) des Anglais, entretenu depuis cinq siècles, qui a fini par s'exprimer dans le vote pour le Brexit. « Une pierre précieuse dans une mer d' argent », disait Shakespeare dans « Richard II ».

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Pour Norman Davies, amorcé dès 1947 avec l'indépendance de l'Inde et la dislocation de l'Empire, l'effondrement des 18 piliers de l'identité britannique (« britishness ») est d'autant plus inéluctable que la succession d'Elisabeth II n'est pas vraiment assurée.

Comment en est-on arrivé là ? Il fallait la curiosité d'un journaliste suisse, passionné d' « englishness » (anglicité), pour tenter d'y voir clair. « On ne peut pas comprendre l'Angleterre sans mesurer l'immense violence des rapports entre les classes sociales. » D'une certaine manière, Serge Enderlin voit dans l'appauvrissement de la classe moyenne britannique, à la base de ce grand malentendu, la rançon des « années frime » de Tony Blair et du mythe de la « Cool Britannia ». Pour lui, le destin d'une ville comme Newcastle, berceau supposé de la renaissance des « creative industries », incarne parfaitement cette désillusion. A partir de la faillite de la banque Northern Rock, Newcastle s'effondre en l'espace de quelques mois et le Royaume-Uni sera le pays le plus touché en Europe par la tourmente financière.

Dix ans plus tard, le film de Ken Loach, « Moi, Daniel Blake » , Palme d'or au festival de Cannes 2016, vient illustrer amèrement les limites de la « révolution blairiste » et du légendaire flegme britannique : « keep calm and carry on » (rester calme et suivre son chemin). « Cette culture sociale sans pitié pour les plus faibles est la face obscure de la brillante Angleterre, dont se contentent en général les visiteurs cantonnés au quadrilatère Londres-Bath-Oxford-Cambridge. »

No future ?

Alors quoi ? Faut-il voir dans le Brexit, et son héros « débraillé » Boris Johnson, une forme de révolte et de retour à l'esprit punk des Sex Pistols ? Ne rêvons pas, répond Jon Henley, responsable de la rubrique Brexit du grand quotidien progressiste britannique « The Guardian ». « Les Sex Pistols exprimaient une volonté de changement, un rejet de l'autorité, de la société ringarde et coincée et de ses codes. C'était agressif et ça posait quelques bonnes questions. Aujourd'hui, c'est régressif. » L'idée est plus de se réclamer de « l'esprit de Dunkerque, remarquablement illustré par le dernier film de Christopher Nolan, 'Dunkirk' : 'reculer pour mieux sauter' ». Transformer une « sacrée débâcle » en victoire. Un leurre basé sur l'exceptionnalisme et une « mauvaise lecture de l'histoire ».

« Brexit et Conséquences », Serge Enderlin, collection « L'Ame des Peuples », 87 pages, 9 euros. Editions Nevicata.

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