« J’ai vu cette photo qui circulait sur les réseaux sociaux et je redoutais le jour où un journaliste m’appellerait pour m’en parler… » Celle qui nous répond ainsi, à l’autre bout du fil, s’appelle Claire Dufour. Elle est aujourd’hui institutrice en banlieue parisienne. Et elle nous éconduit gentiment, mais fermement. « J’ai refait ma vie, je n’ai aucun regret. » Pourquoi rouvrir le livre des souvenirs amers ?
Sur ce fameux cliché, pris il y a vingt-cinq ans, elle pose avec un sourire gauche, un peu crispé, mais pas plus que celui de la petite bande qui l’entoure. De gauche à droite, autour de Michel Rocard, sont rassemblés Benoît Hamon, Jean-Christophe Cambadélis, Jean-Luc Mélenchon, Pierre Moscovici, Claude Bartolone, Jean Glavany et Manuel Valls. La fine fleur de jeunes talents qui va faire plus tard les beaux et les mauvais jours du Parti socialiste.
Il y a aussi deux femmes, qui ont un point commun : ce sont les deux seules à être tombées dans l’oubli. Sur le cliché, Claire Dufour et Geneviève Domenach-Chich flanquent Michel Rocard. À l’époque, ajouter une petite touche féminine, symboliquement à la bonne place, suffisait à faire la maille.
Podcast de l’entretien exclusif avec Geneviève Domenach-Chich produit par Binge Audio pour « M Le magazine du Monde » (en Edition abonnés)
Cette image, prise dans le bureau du patron du PS, rue de Solférino, date donc de 1993, peu de temps après la prise de pouvoir éphémère de Michel Rocard. Elle a été exhumée par quelques tweetos début 2017, pendant que la primaire socialiste faisait rage entre Hamon et Valls, sous le regard désormais rival de Jean-Luc Mélenchon l’« insoumis », et s’est taillé un petit succès sur les réseaux sociaux.
Quoi de plus amusant, en effet, que cette comédie désuète de la camaraderie, à l’heure où ces trois-là se déchiraient sur les plateaux télé ? Et Valls et Hamon n’étaient-ils pas truculents, avec leurs faux airs de responsables du Bureau des étudiants de n’importe quelle fac de province ? Quelques curieux se sont bien demandé qui étaient ces deux femmes inconnues, au milieu de tous ces ténors de la gauche. Mais ils n’ont pas poussé l’investigation plus avant. Le croustillant était ailleurs.
« Ils ont l’air tellement sage, on dirait qu’ils sont à l’école », sourit aujourd’hui Marie Bertin, ancienne responsable de la presse de Michel Rocard en regardant le cliché de la bande de chérubins. La plupart d’entre eux, alors des novices, semblent respecter leur professeur principal, qui s’est enfin débarrassé de son pire cauchemar, François Mitterrand. « C’est Michel Rocard qui a voulu cette photo, raconte Jean-Christophe Cambadélis, qui a occupé ce même bureau de 2014 à septembre 2017. Il fallait incarner l’après-Mitterrand, mettre en scène les jeunes, cette nouvelle génération qui allait s’imposer. »
Il vous reste 80.68% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.