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Transports

Comment le RER B est devenu un enfer pour ses passagers

VIDÉO. La grève conjointe des conducteurs des RER A et B vient tout juste de commencer sur la deuxième ligne la plus fréquentée d'Europe. Les usagers sont au bord de l'explosion. Après 40 ans de service, focus sur une ligne devenue un enfer pour ses passagers.

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Grève sur le RER B

La galère du RER B ne connaît pas d’interruption pour les damnés qui empruntent la deuxième ligne la plus fréquentée d'Europe (875.000 passagers par jour)

POUZET/SIPA

Le RER B déraille. Depuis trop longtemps. Le 12 décembre, les conducteurs des lignes A et B sont en grève. Ils dénoncent notamment "une offre de transport aux antipodes du service que sont en droit d’attendre les usagers". La question était déjà politique, elle devient aussi sociale. Car la galère du RER B ne connaît pas d’interruption pour les damnés qui empruntent la deuxième ligne la plus fréquentée d'Europe (875.000 passagers par jour). Au fil des rup’cat (ruptures de caténaires, pour les initiés), malaises graves de voyageurs, pannes de signalisation et autres colis présumés piégés, le mécontentement s’accumule autour du service proposé conjointement par la RATP (de Châtelet-Les Halles à Saint-Rémy-les-Chevreuse/Robinson) et la SNCF (de Gare du Nord à Mitry-Claye/Aéroport CDG).

Officiellement pourtant, le taux de ponctualité du RER B s’est amélioré depuis quatre ans. En 2013, la SNCF déclarait un taux de 80,1 % des trains à l’heure (soit 1 train sur 5 supprimé ou retardé par semaine). En septembre 2017, l’indicateur de ponctualité est même monté à 87,3%. Circulez, y’a rien à voir... Pourtant les voyageurs, eux, dénoncent des conditions de transports toujours dégradées, des trains toujours plus bondés, des incidents toujours plus nombreux et donc des trajets toujours plus longs entre Paris et sa banlieue.  "Le RER B est une ligne difficile, une des plus difficiles en Ile-de-France, reconnaît Laurent Probst, directeur général d’IDF Mobilités (ex STIF). Le vrai problème qu'on a, c'est l'état du réseau, mal entretenu pendant des décennies. Aujourd'hui, on hérite d'une situation d'urgence et on lance des grands travaux". "On a fait le RER B Nord +, les voies ont été rénovées mais on n'a pas encore remplacé les caténaires. En ce moment, on investit aussi beaucoup dans le matériel roulant, on va remplacer les trains à un étage par des trains à deux étages d'ici 2028", explique-t-il. Mais ces grands chantiers ont beau avoir été lancés, les passagers n'en voient malheureusement pas encore les fruits.

"Des wagons à bestiaux"

Certains usagers (qui préfèrent la dénomination de clients pour rappeler qu’ils payent très cher un trafic déplorable) n’hésitent pas à créer des comités, des pétitions et à épier le moindre dysfonctionnement de ce qu’ils appellent souvent "des wagons à bestiaux". C’est le cas de Jean, 55 ans, consultant en informatique à Paris. Tous les jours, il se lève à l'aube pour attraper son RER à Orsay et descendre à Châtelet. Il prend le RER B depuis 1988 et se demande parfois si la ligne a été rénovée depuis cette date. "Pour moi, la dégradation du service a commencé en 2011-2012, au moment des travaux de désamiantage sur certaines parties de la ligne. Avant cela, je comptais 40 minutes pour mon trajet. Depuis cet épisode, ce sont 70 minutes un soir sur deux, debout, compressé", raconte-t-il, blasé. Aujourd'hui, il s’active sur Le blog d’en Face, un site sur lequel il relève méthodiquement tous les incidents et retards de sa ligne. Cette activité lui prend 2 à 3 heures tous les soirs. "Je pense qu’il y a beaucoup de voyageurs qui souffrent et se sentent abandonnés", explique-t-il pour justifier ce reporting devenu obsessionnel. En creux, c’est aussi et surtout une guerre des chiffres qui se joue entre les transportés et le transporteur. Les usagers, rendus paranos par le manque de transparence et d’information, ne croient plus aux chiffres d’IDF Mobilités qui gère la ligne. Le comptage de Jean est édifiant. En 2007, il relevait sur son blog 97 incidents sur la ligne imputables à la SNCF et la RATP. En 2017, ce chiffre caracole à 291 incidents.

Un poids sur la vie professionnelle des usagers

Des incidents fréquents, qui au-delà de l’exaspération ponctuelle ont des conséquences très concrètes sur la vie des usagers. En 2012, un rapport parlementaire notait les conséquences graves que pouvaient avoir les irrégularités et les retards permanents du service: "Les salariés ont déjà l’impression d’avoir fait leur journée de travail au moment où ils arrivent au bureau", déplorait Jean-Pierre Orfeuil, ingénieur des mines et docteur en statistiques et professeur d'aménagement à l'Institut d'urbanisme de Paris (IUP). "Les salariés qui se sentent responsables de leur retard recourent à des stratégies compensatoires, par exemple en travaillant pendant leur pause déjeuner", expliquait-il. Et en effet, une personne sur deux qui déclarent rencontrer des désagréments sur le trajet de RER considèrent que cela pèse sur leur vie professionnelle. 

C'est le cas de Maëlle. A 28 ans, elle est chargée de communication en région parisienne. Départ Denfert-Rochereau, terminus Massy-Palaiseau ou Lozère. Si tout va bien, son temps de trajet est d'une heure porte à porte. En moyenne, elle en a pour 15 minutes de plus, en comptant les incidents. Elle est ce qu'on appelle "une captive du RER B", c'est à dire qu'en cas de panne, elle n'a aucun itinéraire bis pour rallier son domicile à son lieu de travail. À force, les imprévus sur la ligne représentent une perte de temps non négligeable et jouent sur ses performances au travail. Elle évoque même "un état de fatigue persistant" à cause de ses conditions de transports.

50 millions d'euros pour mieux informer les voyageurs

Ce grand blues des passagers, Laurent Gallois le comprend parfaitement, même de l'autre côté du wagon. Il est conducteur sur le RER B depuis des années, et son jugement sur la qualité du service est tout aussi sévère que les passagers. Pour lui, ce sont aussi les objectifs fixés par IDF Mobilités aux opérateurs (SNCF et RATP) qui dégradent le service. "On a des chiffres et des objectifs, issus des contrats signés avec IDF Mobilités qui sont irréalistes. Le nombre de trains que l'on doit faire circuler est trop élevé donc le système est hyper tendu et à la moindre petite panne, il y a une répercussion flagrante pour l'usager. Un exemple? Souvent, en cas d'incident, on nous demande de conduire notre train directement au terminus sans s'arrêter aux arrêts prévus, pour rattraper la cadence. Les usagers doivent se débrouiller", explique-t-il. Des critiques balayées par IDF Mobilités : "Les Franciliens demandent une qualité de service et quand les opérateurs s’engagent, il est normal que les élus demandent à ce que celle-ci soit au rendez-vous. C’est à eux d’organiser leur management", rétorque Laurent Probst.

Reste que, il y a quelques jours, le directeur du RER Cyril Condé, annonçait un espacement des horaires de la ligne A pour mettre en place  "des conditions de circulation beaucoup plus réalistes et qui permettront de respecter les temps de circulation affichés". Une idée qui pourrait également faire son chemin pour le RER B? IDF Mobilités a d'autres projets plus prioritaires.

En plus des milliards investis pour rénover les rails et le matériel roulant (travaux qui devraient s'achever à horizon 2030), l'autorité des transports d'Ile-de-France est en train de mettre sur pied un système d'information voyageurs beaucoup plus performant. "On est en train d'améliorer le système d'informations à la fois pour les usagers et les agents, on investit plus de 50 millions d'euros. Dès qu’il y aura une perturbation, le central commande de la SNCF renverra une information identique à tous les terminaux. Les améliorations commenceront à être déployées à partir de 2018", explique le directeur général d'IDF Mobilités. Une main tendue qu'apprécieront tous les damnés du RER B. 

Les prochains grands travaux du RER B:

D’ici 2020. Création d’une voie de tiroir supplémentaire en gare d’Orsay pour fluidifier le trafic (lorsqu’un train retourne au tiroir, il libère le quai d’arrivée qui peut aussitôt admettre un nouveau train pendant la manœuvre du premier, ce qui facilite beaucoup l’exploitation en cas de perturbations).

D’ici 2021. Rénovation de rames anciennes (148 circulent actuellement sur le RER B). 37 sont en cours de rénovation, 6 ont déjà été livrées, 31 attendent d’être rénovées.

D’ici 2025-2028. Dans le cadre du projet NExTEO, automatisation de la conduite (sans conducteur) notamment dans le tunnel Gare du Nord/ Châtelet-les-Halles. Cela permettra de fiabiliser le parcours sur ce tronçon, un des plus saturés de la ligne.

D’ici 2030. Remplacement de tous les trains existants pour mettre en service des trains à deux étages (comme sur le RER A), beaucoup plus capacitaires.
 

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