Le quotidien Público a rendu compte samedi 9 décembre d’un procès qui s’est récemment tenu au tribunal de Viseu, dans la région Centre. Une femme accusait son ex-mari de l’avoir violentée durant six années. Le collectif de juges n’a pas pris en compte les témoignages de la plaignante car elle leur est apparue, durant l’audience, “moderne, consciente de ses droits, autonome, non soumise, percevant son propre salaire, indépendante de son mari”. Ainsi, selon la justice, elle n’aurait pu, avec un aussi “fort caractère”, “accepter tant d’abus, et durant si longtemps, sans les dénoncer”. D’ailleurs, “elle n’avait pas d’enfants, donc la première chose qu’elle pouvait faire, c’était quitter le foyer”.

Et le journal de décrire les faits :

Ângelo et Susana, mariés le 24 août 2002, ont vécu dix ans chez les parents de Susana avant de s’installer en 2012 dans une maison qu’ils ont fait construire. Le 7 juillet 2014, Susana quitte le domicile conjugal et va déposer une plainte pour violence domestique. Au domicile, les gendarmes trouvent un fusil de chasse et un pistolet à air comprimé appartenant à Ângelo. Des mois durant, Ângelo contacte Susana avec des messages et des appels insistants, sur son portable, chez elle et à son travail […]. Il sera fiché au système national de surveillance électronique, qui veille à l’exécution de plus de 500 décisions de justice dans des affaires de violences conjugales avec interdiction pour l’agresseur d’entrer en relation avec sa victime.”

Au terme du procès, le mari a été acquitté de différents crimes de violence domestique, d’atteinte à la vie privée et d’injures. Il a seulement été condamné pour possession d’armes à feu. La plaignante, elle, a décidé de faire appel. Selon le Correio da Manhã, le même tribunal de Viseu a récemment innocenté un homme accusé de violence domestique et a reproché à la plaignante de ne pas avoir pris de photos des marques d’agression et d’être tombée enceinte de l’agresseur présumé.

Des juges vus comme sexistes ou sous pression

Les réactions ne se sont pas fait attendre. “Ça fait froid dans le dos, ce jugement est chargé de stéréotypes, d’idées préconçues, s’est émue dans Público Sofia Neves, chercheuse à l’université de Lisbonne et présidente de Plano i, une association qui promeut l’égalité.

De son côté, Manuela Paupério, présidente de l’Association syndicale des juges, dénonce ce lundi 10 décembre dans le Diário de Notícias “la mode du politiquement correct” qui nuit à “l’indépendance des juges”, lesquels sont “sous pression” et “ont peur”, affirme-t-elle.

Déjà une décision polémique fin octobre

Si cette décision suscite l’indignation, c’est qu’elle fait écho à une autre décision de justice, rendue fin octobre. La cour d’appel de Porto a en effet accordé des circonstances atténuantes (et réduit la peine à du sursis) à un homme qui avait frappé sa femme infidèle à coups de bâton clouté.

“L’adultère commis par une femme est une conduite que la société condamne et condamne fortement”, ont décidé les juges, qui ont rappelé que “dans la Bible, nous pouvons lire que la femme adultère devait être punie par la peine de mort”, et ont expliqué “comprendre la violence de l’homme, victime de cette trahison après avoir été vexé et humilié par sa femme”.

“On ne peut pas confondre la loi et la morale”

Ces deux cas sont marquants, relève le rédacteur en chef de Público, dans son édito du week-end :

Des affaires qui en disent long sur la méconnaissance des dynamiques à l’œuvre dans les violences conjugales, sur le mépris pour les experts judiciaires et sur les profonds stéréotypes qui pèsent sur les femmes ‘modernes et indépendantes’. On ne peut pas confondre l’indépendance et l’impunité. On ne peut pas confondre la loi et la morale. Ce qu’on attend des juges, c’est qu’ils appliquent la première et ignorent la seconde.”

Après avoir reçu des centaines de plaintes concernant cette décision de la cour d’appel de Porto, le Conseil supérieur de la magistrature a fait savoir mardi 5 décembre qu’il avait engagé une procédure disciplinaire à l’encontre de ces juges.