Licenciée de sa boulangerie, Christine, 59 ans, peinait à actualiser sa situation à Pôle emploi et à faire les démarches pour retrouver du travail : « Je n’avais jamais ouvert un ordinateur de ma vie, j’étais toujours tributaire d’amis ou d’anciens collègues, alors on m’a aiguillé vers Emmaüs Connect », explique-t-elle. Depuis le mois de juin, elle se rend donc une à deux fois par semaine dans les locaux de cette association, ouverts en juin dernier aux Aubiers, un quartier d’habitat social de Bordeaux. Et elle y suit des ateliers pour utiliser un ordinateur, faire des recherches d’emploi ou surfer sur le Web.

Plus de six millions de Français ne se connectent jamais à Internet

Ce mardi, Christine est le « témoin modèle » pour la présentation à la presse de la stratégie nationale d’inclusion numérique de Mounir Mahjoubi. Le secrétaire d’État chargé du numérique veut en effet « répondre à l’urgence primordiale d’accompagner nos 13 millions de concitoyens en difficulté face au développement toujours plus rapide des technologies et usages numériques ».

Alors que les administrations publiques dématérialisent de plus en plus les démarches, 39 % des Français se disent inquiets à l’idée de devoir réaliser celles-ci en ligne. Car une part importante de la population – 20 % – reste au bord de la route : selon une étude de l’Agence du numérique, 13 % des plus de 18 ans ne se connectent jamais à Internet, soit 6,7 millions de personnes, faute d’équipement, de compétences ou d’intérêt. Et plus de 7 millions d’internautes sont dits « distants » – 1/3 d’entre eux n’ont pas d’adresse mail, les trois quarts ne font pas de démarche administrative en ligne.

La fracture est autant territoriale que sociale et générationnelle : 50 % des non-internautes résident dans des communes de moins de 20 000 habitants ; 66 % ont plus de 65 ans ; et 74 % des non-diplômés s’estiment peu ou pas compétents pour utiliser un ordinateur. Mais si 41 % des personnes ayant de bas revenus n’ont jamais appris à se servir des outils numériques, près de la moitié d’entre eux souhaitent être formés.

Un investissement de plus d’un milliard d’euros

Pour répondre à cette demande ou donner un coup de pouce aux utilisateurs occasionnels, une autre étude, réalisée par CapGemini Consulting pour WeTechCare (association lancée par Emmaüs et Google pour favoriser l’accès de tous à Internet), estime qu’il faudrait investir 1,05 milliard d’euros en 6 ans. Une somme qui serait rapidement rentable : l’augmentation de l’usage des procédures dématérialisées permettrait aux opérateurs et ministères d’économiser 465 millions d’euros par an.

Au risque de déshumaniser encore plus certains services publics en occasionnant de nouvelles fermetures de guichets ? « Au contraire, veut croire Mounir Mahjoubi. La numérisation des démarches doit amener plus de valeur au citoyen, en permettant aux conseillers CAF ou Pôle emploi de passer plus de temps avec une personne cumulant des handicaps sociaux ».

Pour l’heure, le financement de cette stratégie nationale reste à trouver. Le secrétaire d’État estime qu’il faut commencer par en identifier les bénéficiaires potentiels, puis choisir les structures accompagnatrices (associations, entreprises, services publics) et enfin celles qui seront disposées à mettre la main à la poche. Alors que les élus locaux critiquent le modèle de déploiement de la fibre optique en France, uniquement supporté par les opérateurs Internet dans les zones les plus rentables, Mounir Mahjoubi n’a pas exclu de mettre aussi ces entreprises à contribution.