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«Je suis un douanier de l'interdit»

«Voici le dessin le plus grossier et le plus méchant que j'ai fait de ma vie. C'est un dessin d'homme fâché. Et il m'en faut énormément pour me mettre en colère. Je ne peux pas lutter contre Trump, mais il me reste le pouvoir de l'impuissant: gagner dans l'imaginaire.»

Sur la couverture du nouveau recueil de dessins de presse d'Herrmann, Johann Schneider-Ammann apparaît en bonne place, entouré des grandes figures qui font ou ont fait l'actualité, d'Obama à Poutine, en passant par Doris Leuthard, Roger Federer ou Pierre Maudet. «Rire, c'est bon pour la santé!» se gausse le cartooniste de la Tribune de Genève, reprenant à son compte et en titre la célèbre saillie du conseiller fédéral libéral-radical. Piochant dans ses cartons, Herrmann en a extrait la quintessence. On y trouve à penser. Et à pouffer…

Votre précédente compilation est parue en 2012. Un album tous les cinq ans, c'est le bon rythme pour faire rire les lecteurs?

Je pense, oui. Il faut beaucoup écrémer. Dessinateur de presse, c'est un boulot moitié artiste, moitié journaliste. Il s'agit de composer avec la matière quotidienne de l'actualité. Parfois, on a des mauvais sujets, parfois on est en petite forme, parfois le temps manque. Sur cent dessins, il y en a dix dont je suis très content. Peut-être vingt à trente qui me satisfont. Après, ça se délite un petit peu.

Le monde a-t-il beaucoup changé en cinq ans?

Je perçois deux changements significatifs. L'arrivée de Donald Trump au pouvoir, en premier lieu. Pas évident de se positionner par rapport à lui, parce qu'il est une caricature de lui-même. On aurait facilement la tentation de le haïr. Or, pour un humoriste, la pire des choses consiste à haïr quelqu'un. On risque alors de se montrer plus méchant que drôle. Le deuxième changement, c'est l'avènement de Twitter, qui crée une petite accélération. On a vu récemment ce qui est arrivé avec le fameux «Balance ton porc». Une histoire de sexe aux États-Unis se transforme en une affaire de harcèlement dans le monde, avant d'aboutir à un cas Ramadan à Genève, qui devient presque une discussion sur l'Islam.

Certains sujets reviennent-ils de manière récurrente?

Je crois que ces trente dernières années, je n'ai pas arrêté de dessiner sur la relation de la Suisse avec l'Europe. Et je pense que j'en ai encore au moins pour une dizaine d'années. D'une manière générale, je trouve que tout est assez cyclique, à l'image du débat sur les armes aux États-Unis.

Hormis Trump, qui sont vos nouvelles têtes de Turc?

Dans son rôle, Guy Parmelin a très bien remplacé Ueli Maurer. Au niveau genevois, Luc Barthassat possède un certain potentiel. J'essaie de ne jamais faire de l'humour de meute, de ne pas chasser avec les autres. J'aime bien faire entendre une petite note discordante, rire de ce qui ne fait pas forcément rire les autres. J'avoue qu'avec Trump, je suis avec la meute. Quand c'est la bêtise qui s'impose, cela touche quelque chose d'assez profond en moi.

«En utilisant habilement les médias, les terroristes parviennent aujourd'hui à obtenir un impact disproportionné par rapport à leur force réelle et leurs moyens logistiques. Cela pose des questions sur notre travail de journaliste. On n'a pas encore trouvé de bonnes solutions.» HERRMANN

Votre nouvel album contient peu de dessins sur Pierre Maudet, alors que ce dernier fait la pluie et le beau temps dans l'actualité genevoise…

C'est vrai. Maudet serait a priori un assez bon client. Peut-être tout simplement n'ai-je pas été assez bon à son sujet. J'ai réalisé pas mal de dessins sur lui, mais je n'en ai pas gardé énormément. Une des raisons à cela, c'est que j'ai conservé relativement peu de dessins sur Genève. Ils vieillissent moins bien. J'ai l'impression que l'actualité locale disparaît plus vite que l'actualité suisse et internationale. Ce sont des petits problèmes, qui s'oublient assez rapidement.

Y a-t-il des thèmes que vous peinez à traiter?

Il est difficile de rendre drôle des sujets assez techniques. Voilà une des grandes limites du dessin de presse. On n'a qu'une seconde pour convaincre. À part cela, il y a des thèmes avec lesquels on ne peut pas – et on ne doit pas – faire rire. Le tabou des tabous, encore pour une centaine d'années je pense, c'est la Shoah. Sinon, le nouveau sujet sacré, désormais, c'est l'enfant. Actuellement, jamais je ne pourrais faire rire sur la pédophilie. Le politiquement correct fait qu'il est plus difficile aujourd'hui de rire du faible. Autrefois, le tabou, c'était le fort. Le roi décapitait si l'on osait des gags sur lui. Désormais, on subit une décapitation médiatique si l'on se moque du faible.

En 2017, on ne peut donc pas rire de tout?

Bien sûr que non. Le dessinateur de presse est une espèce de douanier de l'interdit. On sent à travers les réactions des lecteurs ce qui, à un moment donné, s'avère dangereux. J'ai senti ces limites bouger au cours de mes trente ans de carrière. Il y a des moments de constriction, des moments de développement. Actuellement, on se trouve dans une période de constriction.

Comment sait-on qu'une idée de dessin est bonne?

On ne le sait jamais complètement. Avec l'expérience, je sais comment éviter la nullité. J'assure toujours un dessin au moins médiocre. En revanche, j'ignore toujours comment réussir un très bon dessin, et ça, c'est génial. Si je le savais, tout serait trop facile. J‘ai parfois de bonnes sensations. Mais il m'arrive encore de me planter, d'être fier d'une idée et de me ramasser un bide monumental.

Comment procédez-vous?

J'effectue un tour dans la rédaction et je demande à différents interlocuteurs de choisir deux bonnes idées. Après, en fonction des résultats obtenus, je tranche. Je ne choisis pas forcément le dessin qui a obtenu le plus de suffrages. Je pourrais très bien ne réaliser que des dessins qui plaisent. Mais si je choisis celui qui séduit tout le monde, je n'avance pas. J'essaie de me renouveler. Mon but, c'est quand même d'essayer de me surprendre.

Vous vous mettez volontiers en scène dans vos dessins. Une manière de cultiver l'autodérision?

Je suis naturellement très beauf, avec des pulsions égoïstes, des préjugés. Professionnellement – c'est quand même magnifique – on me paie pour observer ce beauf. L'humour est une façon de garder de la distance par rapport au con qui est en moi.

«Rire, c'est bon pour la santé», Herrmann, Ed. Slatkine, 120 p. Herrmann

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