Arabie saoudite: comment le prince ben Salmane érode le pouvoir des oulémas
Le prince Mohammed ben Salmane, dit MBS, est en train de changer la nature du pouvoir saoudien et sa relation avec les religieux dans " une forme de modernisation autoritaire" de l’Arabie saoudite qu’il " faut prendre au sérieux".
- Publié le 13-12-2017 à 16h19
- Mis à jour le 13-12-2017 à 16h23
Le prince Mohammed ben Salmane, dit MBS, est en train de changer la nature du pouvoir saoudien et sa relation avec les religieux dans "une forme de modernisation autoritaire" de l’Arabie saoudite qu’il "faut prendre au sérieux".
Tel est le diagnostic du politologue de Sciences Po, Stéphane Lacroix, l’un des rares spécialistes de ce pays jusqu’ici très fermé, où le fils du Roi, qui n’a que 32 ans, abat l’un après l’autre certains des tabous les plus endurcis de la vieille monarchie saoudienne.
"MBS a été plus rapide, plus malin, plus brutal que tous ses concurrents ces dernières années. Les oulémas essaient de sauver ce qu’ils peuvent", a dit récemment l’expert français à la tribune du Centre interdisciplinaire d’études de l’Islam dans le monde contemporain (Cismoc) de l’UCL à Louvain-la-Neuve. "La vraie nouveauté, c’est que MBS modifie la nature du régime saoudien. Il a accumulé dans ses mains l’essentiel du pouvoir. Il a constitué un exécutif à sa botte. Il est en charge de tous les domaines qui comptent, dont la société Aramco."
Un pacte historique
C’est sans doute à l’égard des oulémas que la partie est la plus risquée. Elle requiert de l’habileté. Pourquoi ? Parce que le royaume saoudien est fondé sur un pacte conclu en 1744 entre Mohammed ben Saoud et le prédicateur Ibn Abdelwahhab. De ce pacte va découler la relation entre le clan Saoud et les oulémas, qui vont former une sorte d’aristocratie religieuse au sein du royaume. En vertu de ce pacte, "les oulémas ne critiquent pas le pouvoir politique car il représente le bien public", a expliqué Stéphane Lacroix. "En échange, les oulémas sont les seuls maî tres du savoir religieux."
Ceci donnera naissance à deux polices, l’une appartenant à l’Etat, l’autre ayant une fonction religieuse.
Le pouvoir saoudien va toutefois chercher à accentuer son contrôle des religieux. En 1971, le roi Fayçal crée le conseil des oulémas. Partisan du panislamisme pour faire contrepoids aux régimes arabes laïcs soutenus par l’Union soviétique, il va aussi accueillir dans le royaume des islamistes conservateurs, notamment des Frères musulmans venus d’Egypte.
De contestations en répressions, ces islamistes vont progressivement s’implanter en Arabie saoudite, occupant des positions clé dans l’enseignement ou l’administration. Le dernier soubresaut date de 2013, quand Riyad "s’en prend à tous les contestataires, dont les islamistes" et classe un an plus tard les Frères musulmans parmi les groupes "terroristes".
Le roi Salmane est arrivé au pouvoir en 2015 - et son fils a entamé les réformes que l’on connaît, pariant sur la jeunesse plutôt que sur le pouvoir chancelant des barbus.
Un prince sur le terrain des oulémas
L’une d’elles, passée inaperçue en 2016, est qu’il a retiré à la police religieuse le droit d’arrêter les gens, les cantonnant à une simple réprimande des comportements anticharia. En autorisant cette année les femmes à conduire, l’organisation de concerts, puis ce 11 décembre, l’ouverture de salles de cinéma à partir du début 2018, "MBS va sur le terrain des oulémas. C’est assez révolutionnaire", constate le politologue.
Le 24 octobre dernier, devant un parterre d’hommes d’affaires, le jeune prétendant au trône est allé plus loin encore en déclarant : "Nous n’allons pas passer 30 ans de plus de notre vie à nous accommoder d’idées extrémistes et nous allons les détruire maintenant."
Mohammed ben Salmane aurait l’intention d’écarter certains hadiths, ces récits de la vie du prophète Mahomet qui ont été transmis de génération en génération et dont certains ont été surexploités par des groupes comme Al-Qaïda et Daech. L’an dernier, il a également nommé un nouveau secrétaire général, plutôt modéré, à la Ligue islamique mondiale, l’ancien ministre de la Justice Mohammed al-Issa. Ce dernier a déclaré en novembre à Paris que les minorités musulmanes "doivent s’adapter à la culture, à la législation" des pays où elles vivent. Des dizaines de religieux ultraconservateurs ont également été arrêtés, incitant ceux qui restent libres à faire profil bas.
Stéphane Lacroix prédit une "certaine instabilité" dans le Royaume, voire "un courant djihadiste" dans la foulée des réformes amorcées par le prince. Mais il note aussi que MBS prend garde de ne pas toucher à certains fondements : le budget de la Ligue islamique reste inchangé malgré la crise financière que connaît le pays tandis qu’"i l ne touche pas au magistère de Riyad sur l’islam." Enfin, il prend soin de désigner des ennemis extérieurs (comme le Qatar, l’Iran, le Yémen) tout en flattant le sentiment national, une façon d’épargner ces oulémas dont il a aussi besoin.