“J’ai remarqué qu’il y avait écrit ‘Poutine bye-bye’ sur l’affichette brandie par une jeune femme”, est intervenu le président russe au début de la conférence de presse, le 14 décembre. Alors la journaliste visée a pris le micro et précisé : “‘Poutine babaï’. ‘Babaï’ signifie ‘grand-père’ en langue tatare. C’est ainsi que les enfants vous appellent en République du Tatarstan.” Cette scène, écrit le quotidien Moskovski Komsomolets, résume, malgré quelques tentatives de provocation, la tonalité générale de l’échange entre le président et les journalistes, et symbolise la période politique actuelle :

Poutine n’a aucunement l’intention de nous dire ‘bye-bye’, il s’installe dans le rôle de ‘babaï’ de la politique russe : un homme d’État rompu à tout, qui sait tout d’avance et que rien ne peut surprendre.”

Quatre heures d’échanges avec quelque 1 600 journalistes accrédités, au cours desquelles le candidat à sa propre succession pour six nouvelles années a reconnu que son programme électoral n’était pas tout à fait finalisé. Cependant, il a annoncé les principales lignes de ce que le site Gazeta.ru analyse comme une tentative de définir un “nouveau cycle politique en Russie”.

Le “président des Affaires intérieures”

Tout d’abord, Vladimir Poutine s’est présenté comme le “président des Affaires intérieures” (alors que le mandat qui s’achève a été marqué par la place de la Russie à l’international). Sur le plan économique, dans un contexte de chute des revenus de la population depuis plusieurs années, il a insisté sur l’aide aux régions les plus pauvres, l’annulation d’une partie des arriérés d’impôts des citoyens en difficulté, l’allègement des impôts fonciers des retraités. L’effacement de cette ardoise concernera 42 millions de personnes pour un montant de 41 milliards de roubles [591 millions d’euros]. Le président n’a pas donné de précisions sur une éventuelle réforme fiscale, mais a laissé entendre que l’âge de la retraite serait progressivement repoussé.

Concernant la politique extérieure, Vladimir Poutine n’a fait aucune déclaration sur un quelconque changement de ligne du Kremlin, ce qui est “logique”, estime le site, puisqu’elle contribue à sa popularité, et continuera “tant que cela n’aura pas d’impact négatif sur l’économie au point de déstabiliser le pouvoir”.

En revanche, le président a très clairement exprimé sa position sur le terrain de la politique intérieure. À la question de Ksenia Sobtchak, candidate à la présidentielle (et journaliste accréditée à la conférence de presse), demandant pourquoi “le pouvoir refuse une compétition politique normale”, notamment en n’enregistrant pas la candidature de l’opposant Alexeï Navalny, il a répondu sans hésitation :

Vous voulez que des Saakachvili déstabilisent la situation du pays ? Vous voulez qu’on saute d’un Maïdan à un autre, qu’on subisse des coups d’État ? [Allusion aux révolutions ukrainiennes et aux récentes frasques politiques de Mikheïl Saakachvili, l’ancien président géorgien et ex-gouverneur d’Odessa devenu opposant au régime de Kiev.] Je suis convaincu que l’écrasante majorité des citoyens russes ne veut pas et n’acceptera pas l’apparition en Russie de gens comme Saakachvili. Nous ne voulons pas que la Russie devienne une deuxième Ukraine et nous ne le tolérerons pas.”

Gazeta.ru relève au passage le glissement lexical qu’opère le président de la “majorité des citoyens” vers le pronom personnel “nous”. Il a également lâché à Ksenia Sobtchak : “Le pouvoir n’a jamais craint personne, et ne craint toujours personne.” On comprend pourquoi, si le pouvoir c’est lui et la majorité des citoyens c’est “nous”, Vladimir Poutine n’a plus besoin des structures d’un parti politique et se présentera comme candidat “indépendant”.