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ÉGYPTE

Égypte : "L'émancipation des femmes ne peut venir que de nous, les Égyptiennes"

Deux ans de prison pour une chanson, trois ans pour avoir évoqué la grossesse hors mariage à la télévision... La répression contre les femmes militantes se poursuit en Égypte. L'écrivaine égyptienne Mona Eltahawy dénonce "l'hypocrisie" du régime.

Des Égyptiennes se baladent dans une rue du Caire, en avril 2017.
Des Égyptiennes se baladent dans une rue du Caire, en avril 2017. Thomas Coex, AFP
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Emprisonner pour mieux museler. Cette semaine, le gouvernement égyptien a condamné à deux ans de prison la chanteuse Shyma, 21 ans, pour "atteinte aux mœurs". Son apparition dans le clip d’une de ses chansons était jugée trop suggestive. Début novembre, la présentatrice du talk-show "Dody Show", diffusé sur Al Nahar TV, Doaa Salah écopait de trois ans de prison pour avoir débattu autour de la grossesse hors mariage.

L’Égypte continue doucement et sûrement la répression à l’égard de la société civile, et en particulier des femmes militantes, alors que les ONG locales, qui n’ont plus le droit, depuis avril dernier, de publier sondages et études sans le feu vert des autorités, peinent à tirer la sonnette d’alarme.

Malgré ce lourd silence, des voix féministes se font entendre. Parmi elles, l’auteure engagée Mona Eltahawy, qui avait révélé avoir été agressée sexuellement au Caire en 2011. Celle qui vit aujourd’hui entre New York et Le Caire nous livre son regard acéré sur ce régime qu'elle considère comme "l'antithèse du féminisme".

>> À lire aussi : Le Caire, ville la plus dangereuse au monde pour les femmes

Le président Abdel Fattah al-Sissi a décrété 2017, année de la femme. Pourtant, dans les faits, la répression contre les Égyptiennes n'a jamais été si forte. Qu'est-ce que cette dissonance vous inspire ?

Mona Eltahawy : Tout le discours de Sissi n'est qu'hypocrisie ! Il faut se souvenir que c’est avant tout un maréchal, un militaire de carrière, il est donc l’antithèse du féminisme. Il ne faut pas oublier non plus qu’à l’époque de la révolution, moins d'un mois après la démission forcée de Hosni Moubarak, l'armée a contraint les militantes à des agressions sexuelles en leur faisant des 'tests de virginité'. À ce moment-là, Sisi était chef des renseignements militaires, il faisait partie du Conseil supérieur des forces armées (2011-2012), avant de devenir chef des armées (2012-2014). Une chose est sûre : les droits des femmes ne pourront pas progresser en Égypte tant que les militaires, les dictateurs, les fondamentalistes religieux ou les Frères musulmans seront au pouvoir. L’émancipation des femmes ne peut venir que de nous, les féministes égyptiennes et les Égyptiennes qui se battent pour leurs droits au quotidien.

La nouvelle Constitution de 2014 accorde pourtant plus de droits aux femmes ?

Le texte prévoit également plus de liberté d’expression et de liberté de religion... Tout cela fait rêver mais au final, on se rend compte que ce n’est que de l’encre sur du papier. Aucune de ces libertés fondamentales n'est respectée au quotidien. Et ce sera ainsi tant qu'un régime militaire ou religieux restera en place. Voilà pourquoi la chanteuse et la journaliste sont emprisonnées. Il ne faut pas non plus oublier la plus grande chasse aux homosexuels qui a eu lieu, en octobre dernier, dans le pays.

L'État s’appuie sur les trois piliers de la misogynie : l'État, la rue et le foyer. C'est sa façon de détourner la population de la mauvaise gestion économique du pays. Les Égyptiens vivent dans de terribles conditions ; ils arrivent à peine à s'acheter les biens de première nécessité. Mais c’est aussi une façon de faire oublier la situation sécuritaire qui est une totale catastrophe. Le Sinaï a connu le mois dernier l'attaque la plus sanglante d'une entité non-étatique.

Toutes les libertés gagnées lors du soulèvement populaire de 2011, auquel les femmes ont largement contribué, n'étaient qu'une parenthèse ?

Ce qui s'est passé durant ce mouvement insurrectionnel est similaire aux révolutions française ou algérienne : les femmes s’insurgent contre l’oppression aux côtés des hommes, elles risquent aussi leur vie pour une société meilleure. Mais dès qu’une partie des récriminations semble être obtenues, les hommes renvoient les femmes aux fourneaux ou à la maison. Il faut cesser cela. Tant que les femmes ne seront pas libres en Égypte, la société ne sera pas libre.

Tout cela se passe sous le regard indifférent de la communauté internationale….

C'est de l'hypocrisie pure de la part des alliés occidentaux de l'Égypte. Que ce soit la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et bien d’autres, leur seule préoccupation est de faire des affaires avec l'Égypte, et notamment de leur vendre des armes. En échange, Sissi leur promet la stabilité et la paix. Mais le pire, c’est que cette situation n’a rien de nouveau. Les meilleurs amis de l'Égypte agissaient déjà ainsi avec les anciens dirigeants, comme Hosni Moubarak ou Mohamed Morsi. Il serait bon de rappeler que la stabilité ne peut pas venir d’une dictature.

>> À lire aussi : Le président égyptien Sissi entame une visite officielle en France, des ONG interpellent Macron

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