Tomi Ungerer, auteur des “Trois Brigands” : “Je ne pense pas être pervers, mais subversif”

Tout petit, il était déjà révolté par la bêtise des grands. A 86 ans, le dessinateur est toujours un rebelle.

Par Françoise Sabatier-Morel

Publié le 16 décembre 2017 à 12h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h37

Le 28 novembre 1931 naît, à Strasbourg, Tomi Ungerer, l'un des plus importants auteurs de littérature jeunesse. Ses ouvrages, devenus pour certains des classiques (Les Trois Brigands, Le Géant de Zéralda, Jean de la Lune), sont traduits en plus de quarante langues. Il est choisi comme premier ambassadeur pour l'enfance et l'éducation, par le Conseil de l'Europe, en 2003. Admiré, mais aussi controversé pour certaines de ses œuvres adultes (livres, affiches publicitaires, politiques, dessins satiriques...), Tomi Ungerer a depuis 2007 son musée à Strasbourg.

Ses livres ont été adaptés de nombreuses fois au cinéma et à la scène. Pendant les vacances de Noël, se jouent sur les scènes parisiennes deux spectacles d'après son best-seller Les Trois Brigands. C'est à cette occasion que le rebelle Tomi Ungerer a accepté de répondre à quelques questions.

Que veut dire “être subversif” quand on crée des livres pour les enfants (1) ?

Je suis comme ça, depuis que le proviseur de mon lycée a écrit sur mon bulletin “ pervers et subversif ”. Cela m'a poussé à la révolte. Je ne pense pas être pervers, mais subversif, oui. Dans mes livres pour les enfants, c'est une sorte de conseil que je leur donne : connaître et se rebeller contre l'imbécillité des adultes... par l'imagination. Les enfants n'ont pas d'a priori, c'est pourquoi on peut avoir avec eux des conversations intéressantes. La vérité n'est que l'ombre d'une innocence

Dès le début de votre carrière, vous avez écrit un premier livre pour enfants “Les Mellops font de l'avion” qui paraît en 1957. Qu'est-ce qui vous intéresse dans ce travail ?

C'est une distraction pour moi. Cela amuse l'enfant que je suis resté. De plus, je suis persuadé que les adultes ont énormément de choses à apprendre des enfants, ne serait-ce que par les questions qu'ils posent. Car, répondre à une question d'enfant suppose de se la poser au préalable. Pendant plusieurs années, j'ai répondu aux interrogations des enfants pour Philosophie Magazine. Pour leur répondre, il fallait bien que je m'interroge d'abord (sur l'existence du Père Noël, ou sur le fait que l'on ait qu'une seule vie... ndlr). Souvent, il s'agissait de la mort. Je ne cache pas la réalité aux enfants, et j'aime jouer avec la peur. Ainsi dans mes livres, les brigands attaquent les gens, les ogres, couteau à la main, mangent les enfants, ou la guerre sévit. 

“Les mal-aimés sont absents des livres pour enfants”

Etes-vous toujours d’accord avec votre phrase : “Il faut traumatiser les enfants pour leur donner une individualité” ?

Oui, plus que jamais. Mais peut-être faudrait-il remplacer le terme « traumatiser » par « marquer ». Je crois à la transmission par osmose. Si vous montrez, par exemple, à vos enfants — ce que j’ai fait — un chat écrasé sur la route, ils feront sans aucun doute attention en traversant ! Je n’aime pas la sensiblerie de la pédagogie. Je suis un enfant de la guerre et j’ai vu des choses terribles, qui m’ont appris à me prémunir des dangers.

Que pensez-vous des adaptations de vos livres ? Cela vous flatte, vous énerve ?

Non, ça me rassure. Les Trois Brigands ont été mis à toutes les sauces, mais je n'ai rien à dire, on en a toujours fait des choses bien. Comme quoi, un livre fait son chemin tout seul ! Moi, quand un livre est publié, je ne veux plus m'en occuper, je ne vois plus que les défauts ! Ça me rassure, aussi, car j'ai toujours eu un complexe d'infériorité. Surtout vis-à-vis du français. Je suis trilingue et je cherche toujours le mot juste. Par exemple, en allemand, je prends deux mots et j'en invente un autre. En français, ce n'est pas possible. C'est devenu une langue de bons élèves, avec des mots figés. Il n'y a que Céline qui a fait bouger un peu la langue. C'est là qu'on a de la chance d'être, comme moi, dyslexique - je l'ai été avant même que le mot apparaisse!- et différent des autres. Avoir une perception autre des choses, c'est un avantage : plus on a de problème, plus on a des idées pour les surmonter. Le sens de la vie, c'est de relever le défi.

“J’ai été un artiste contestataire toute ma vie”

Avec l’histoire des « Trois Brigands » [adaptée actuellement sur deux scènes parisiennes, nldr], qui enlèvent, ou plutôt adoptent, la petite Tiffany, aviez-vous une cause à défendre ?

La réhabilitation des mal-aimés, des absents des livres pour enfants. Déjà, dans mes premiers livres, j’ai voulu réhabiliter des animaux comme le serpent, la chauve-souris ou la pieuvre. C’est tout de même plus facile de vivre avec huit bras que deux ! Les défauts sont bien souvent des qualités : une mauvaise herbe, par exemple, est aussi une plante médicinale. Chacun a une singularité que nul autre ne possède. Dans le cas des brigands, je voulais montrer que l’on peut toujours devenir meilleur. C’est d’autant plus intéressant quand il s’agit de personnages vraiment méchants au départ. La petite fille a découvert l’élixir qui transforme les brigands. C’est une histoire de rédemption, en somme. Et quel ennui d'être toujours gentil !

Y a-t-il un fait dans l’actualité qui vous révolte tout particulièrement ?

Tout m’a toujours révolté. Tout petit déjà, le comportement des hommes vis-à-vis des femmes me répugnait. Il y a aussi le manque d’eau dans le monde, les réfugiés, tout cela me préoccupe… J’ai été un artiste contestataire toute ma vie, mais aujourd’hui, on ne sait plus à quelle horreur se vouer ! 


surprise Les Trois Brigands. A partir de 4 ans. Du 15 décembre au 7 janvier. Théâtre Paris-Villette, 211, av. Jean-Jaurès, 19e. 

blush Jusqu’au 14 janvier. Lucernaire, 53, rue Notre-Dame-des-Champs, 6e. Tarifs : 11-14 €.

Expo à Moulins jusqu’au 7 janvier.

(1) La plupart sont édités à L’Ecole des Loisirs.

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